THE OUTSIDER

– À voir sur OCS : THE OUTSIDER –

Entre les tours de force récents de Chernobyl, Succession et Watchmen, on en aurait presque oublié qu'HBO n'avait pas son pareil pour trousser le polar slowburn et saumâtre dont on avait besoin pour passer l'hiver. The Outsider arrive donc à point nommé.
 

« La comparaison avec True Detective, je ne pige pas. (…) Apparemment c’est au sujet de deux flics qui philosophent et tirent la tronche. Pas ma tasse de thé. » Pendant la promotion de The Outsider, l’écrivain et scénariste Richard Price a tout de suite voulu désamorcer : non, cette adaptation d'un Stephen King récent n’est pas exactement faite du même bois bluesy que la fameuse anthologie. Pour autant, Price a tort d’évacuer d’un revers de la main ce qui pourrait rapprocher The Outsider des récentes embardées de la chaîne sur le terrain du polar ; de Sharp Objects à The Night Of en passant par les trois saisons en montagnes russes de True Detective, donc. Car pour le dire autrement, HBO apparaît à la lumière de ces très longs métrages (10 heures chacun) comme la chaîne ayant parfaitement saisi le groove lent et atmosphérique de la bonne littérature de genre. Le malaise existentiel qui sous-tend chacun de ses personnages principaux aussi.

Comme souvent chez Stephen King, c’est une mécanique littéraire de perfection qui se déploie. D’abord exposer la tension cachée dans la banalité provinciale. Ensuite, mettre en scène les frayeurs intimes de nature à imploser en un cauchemar XXL. The Outsider s’ouvre donc sur la découverte du cadavre dépecé d’un enfant dans les sous-bois d’une petite ville de l’État de Géorgie. « Animal ? », s’enquiert un flic devant la dépouille. « No ! », répond un deuxième enquêteur sur un ton morne. Il s’agit d’un assassinat et même d’un viol. On le sait, cet argument aurait pu donner Broadchurch dans le meilleur des cas et dans le pire, Les Experts. Pour cette mini-série, c’est encore autre chose. Le temps d’un premier épisode, la tension gonfle lentement, explose à plusieurs reprises, puis se teinte aux couleurs de l’effroi distillé petite touche par petite touche. Le professeur d’anglais et coach de baseball Terry Maitland, que tous les témoignages accusent (ses empreintes ont été retrouvées sur la scène du crime) nie farouchement être le responsable de la mort du petit Frankie Peterson. Au moment du meurtre, il se trouvait à quelques centaines de kilomètres et peut le prouver. Stupéfaction des enquêteurs face à une hypothèse impossible à envisager rationnellement puis contre-enquête. Maitland n’y était pas. Place maintenant à un scénario de nature à accrocher les nostalgiques de X-Files. Mais pour le coup, un X-Files au ralenti. Un X-Files, sans Mulder ni Scully, dont la mise en scène apparaît assez aérée pour ne pas rebuter, au hasard, les amateurs de Derek Cianfrance, Kelly Reichardt ou Jeff Nichols. Un X-Files surtout dont le personnage principal, le détective Ralph Anderson (toujours parfait Ben Mendelsohn et sa gueule de traviole, mi-retraité du punk, mi-Nick Nolte rachitique) synthétiserait toute la tristesse du monde. Pourquoi prend-il cette enquête à cœur ? Car il a lui-même perdu son fils, mort d’une leucémie. Et ces longues minutes passées à fumer des clopes dans la demi-obscurité d’un salon, ou à rêvasser allongé devant des posters de Mozart ? Tout simplement, c’est un homme qui a perdu le sens du temps. Belle idée que de faire progresser une enquête avec la lenteur proverbiale de ce genre de personnage. Encore mieux de lui faire croiser la route d’une véritable « créature d’ailleurs » et de le voir rendre les armes à mesure que l’irrationnel devient la seule grille de lecture possible à son enquête. À travers Ralph Anderson, l’écrivain Richard Price (The Wire, Clockers, The Night Of) fait émerger une évidence : les héros obligés de croire au surnaturel des romans de King et les flics maussades du polar nordique à la Arnaldur Indridason appartiennent à la même famille. Il fallait juste leur trouver un True Detective inversé pour s’en rendre compte. Jean-Vic Chapus