ALEKSEY GERMAN Jr : « Nous n’avons pas besoin de révolutions »

Avec Delo (A Résidence, en VF), le cinéaste et scénariste russe Aleksey German Jr met en scène un professeur d’université assigné à résidence lancé à plein régime dans sa lutte contre le système. Un sujet brûlant en Russie que le cinéaste a accepté d’évoquer à l’occasion de sa première apparition au Festival de Cannes, en sélection Un Certain Regard.


Delo évoque un intellectuel assigné à résidence, nous pensons forcément au réalisateur Kirill Serebrennikov, qui n’a pas été autorisé à se rendre à Cannes malgré sa présence en sélection officielle, cette affaire vous a-t-elle inspiré ? 
J’ai été témoin à décharge de Kirill Serebrennikov, je l’ai défendu au tribunal donc je connais donc très bien le sujet. Mais l’histoire de Delo est en réalité assez différente, je me suis plus inspiré d’autres personnes de mon entourage qui ont été accusées de manière injuste, comme l’un des producteurs de Dovlatov, mon précédent film, qui a fait de la prison et a été assigné à résidence pour des accusations douteuses de détournement de fonds. 

Le personnage du maire corrompu semble lui aussi venir tout droit de la réalité, on se trompe ?
L’idée du film m’est venue il y a 6 ans, j’étais parti avec ma femme dans une petite ville de province et nous avons en effet assisté à des manifestations contre le maire local, accusé de corruption. De manière plus générale, le scénario correspond à une certaine réalité vécue en Russie et au-delà d’ailleurs. Snowden et Assange sont eux aussi des individus piégés par le système qu’ils ont choisi de dénoncer. En Russie, il reste tout de même plus difficile d’afficher ses opinions que dans le monde occidental, beaucoup de gens en souffrent toujours. Néanmoins, on assiste ces dernières années à de nombreuses arrestations de maires ou de gouverneurs qui tombent pour avoir abusé des biens de l’État ou d’avoir détourné des fonds. 

Malgré son engagement radical, votre personnage principal affirme ne pas souhaiter la révolution, quelle est votre opinion sur le sujet ?
Si certaines apportent parfois du renouveau et des avancées vitales, les révolutions sont toujours sanguinaires et mènent les pays à leur effondrement, avec des conséquences terribles. La révolution russe de 1917 en est un bon exemple. Ces 20 dernières années, on a également pu constater que les révolutions au Proche-Orient ou en Égypte ont toutes été suivies par des contre-révolutions, qui n’ont fait qu’aggraver la situation. Nous n’avons pas besoin de révolutions, nous avons besoin d’évolutions. 

Des changements qui devraient donc être impulsés de manière plus individuelle ? 
Ce que le héros propose, c’est effectivement de sortir de sa zone de confort, mais cette idée est difficilement supportable pour la majorité des russes. Nos traditions et notre histoire au XXème siècle ont rendu les citoyens frileux. In fine, la politique n’intéresse plus grand nombre, ce qui importe aujourd’hui aux Russes, c’est d’avoir un travail, une maison etc. Et jamais la Russie n’a aussi bien vécu au sens matériel du terme, les gens ont des voitures, vont au restaurant, ont l’opportunité de voyager… des circonstances qui rendent difficile tout changement, les gens jugeant plus confortable de rester dans un système qu’ils connaissent. 

Dans le film, votre héros combat le système en publiant une caricature, un moyen d’expression qui nous tient à cœur en France, qu’en est-il en Russie ? 
On en voit quelques-unes, mais il faut tout de même préciser que la loi qui rend impossible le fait de s’attaquer directement à une religion par le dessin, on ne peut pas faire de caricature de Jésus, de Bouddha, de Mahomet ou des juifs. Chacun son opinion, mais j’estime que s’immiscer dans la foi des gens est en effet un manque de respect, qu’il faut chercher à éviter. Évidemment, on a beaucoup moins de libertés. Concernant la réaction de la population dans le film, ce sont des choses que l’ont voit principalement en région, à Moscou et dans les grandes villes, les gens sont plus ouverts à la caricature. 

Avant de finir, on voulait évoquer la consommation excessive de cigarettes de votre héros, qui va jusqu’à fumer pendant ses séances d’exercice, que vouliez-vous montrer ? 
Cela s’est fait de manière très naturelle. Je pense que j’avais besoin d’être un personnage qui n’imagine pas et ne pense pas aux conséquences de ses actes sur le moment, à aucun moment il ne lui vient à l’esprit que fumer est mauvais pour sa santé. C’était aussi lié à sa nervosité, à son hyper-activité, car fumer est sans aucun doute une activité à part entière lorsqu’on est assignés à résidence.