ALICE WINOCOUR : « Revoir Paris parle plus de la vie que de la mort »

Revoir Paris revient dans les bacs en DVD ce 11 janvier. Dans ce film « de l’après », Alice Winocour s’intéresse au processus de reconstruction post-attentat, mettant en parallèle mémoire intime et expérience collective. Virginie Efira incarne Mia, interprète de russe rescapée d’une attaque terroriste dans une brasserie parisienne. Trois mois après le drame, elle tente de dépasser l’amnésie en reconstituant ses souvenirs, grâce à une association d’aide aux victimes. Elle y rencontre Thomas (Benoît Magimel), lui aussi rescapé, qui préférerait oublier les images qui le hantent. Pour écrire ce quatrième long-métrage, présélectionné pour représenter la France aux Oscars 2023, Alice Winocour s’est inspirée de sa propre expérience. Elle nous l’avait racontée cet été lors du Sofilm Summercamp, où elle était venue présenter le film. 

Comment avez-vous envisagé de porter à l’écran un sujet aussi sensible que les attentats ?
Le film n’est pas vraiment un film sur les attentats, c’est plutôt sur les traces qui sont laissées par un événement traumatique. Il se trouve que c’est un attentat dans le film mais c’est vraiment un film de l’après, sur la reconstruction. J’ai un rapport personnel à cet événement puisque mon frère était dans le Bataclan, il a survécu. Ce qui m’a inspiré, c’est ma propre mémoire de ce trauma. J’ai pu observer sur moi comment la mémoire construisait et déconstruisait les événements. Même si le film est une fiction, j’ai essayé d’être le plus fidèle possible à l’humanité des gens que j’ai pu rencontrer.

D’où l’idée de croiser l’expérience de plusieurs personnages ? 
Certains psychiatres parlent de cette notion de diamant dans le trauma, c’est-à-dire tout ce qu’il y a derrière l’événement. Il a mis en relation des gens qui ne se seraient jamais rencontrés autrement. J’ai voulu que Mia fasse cette enquête en rencontrant des gens qui venaient de classes sociales, de mondes très différents. Donc j’ai aussi choisi des acteurs qui venaient de mondes différents. Il y a Amadou Mbow, qu’on a pu voir dans Atlantique, qui vient vraiment de Dakar. Pour moi, c’était important que ce ne soit pas un Français d’origine sénégalaise, mais qu’il vienne vraiment du Sénégal. 

Revoir Paris (2022)

N’aviez-vous pas peur de faire un film trop sombre ?  
J’ai l’impression que c’est un film qui parle plus de la vie que de la mort. En tout cas, il parle du bonheur. Le personnage de Virginie Efira se pose beaucoup de questions, elle fait une sorte de trajet presque à son insu. Elle s’interroge sur sa vie, savoir si les choix qu’elle a fait étaient les bons. Il y a tout ce trajet d’une femme un peu en errance dans la ville qui se reconstruit. J’ai vraiment envisagé le personnage comme quelqu’un qui est dans les limbes. Elle est étrangère à la ville, à son propre corps, c’est comme un réapprentissage de rentrer à nouveau dans la vie. 

Paris occupe d’ailleurs un rôle à part entière dans le film…
C’était la première fois que je tournais dans cette ville. Il y a pas mal de plans en plongée, de point de vue aériens, parce que le personnage est un peu en dehors d’elle-même, en dehors des choses. On a tourné dans une situation un peu documentaire, sans bloquer les rues. On est vraiment allé au pied de la tour Eiffel, au milieu des vendeurs de Tours Eiffel. Il y avait une sorte de chaos. Je voulais montrer toutes ces lumières de la ville, cette espèce de chaleur, les liens entre les gens. Tout ce que les terroristes veulent détruire mais qu’ils n’ont pas détruit. Il y avait cette volonté de parler de la mémoire de la ville. La scène où les éboueurs retirent les fleurs et les jettent à la poubelle était extrêmement violente pour moi à tourner. C’était presque la scène la plus dure, parce que c’était sur la place de la République, à l’endroit même où l’hommage a été fait aux victimes du Bataclan et à tant d’autres victimes. 

Revoir Paris (2022)

Pourquoi avoir choisi de raconter un attentat dans une grande brasserie parisienne ?
J’avais cette envie de montrer les invisibles. Ces travailleurs sans papiers qui n’ont pas été répertoriés après l’attaque, c’est presque les vrais fantômes du film. Il y a cette phrase dans le film qui dit : « Si les Sénégalais, les Maliens et les Sri Lankais étaient en grève, on ne pourrait pas manger à Paris. » Je voulais représenter ce monde à l’arrière des cuisines, ou celui des vendeurs de tours Eiffel. La barbarie écrase un peu les différences sociales entre les gens. Comme on est tous égaux face à la mort, les barrières s’effondrent pour un instant. 

Comment avez-vous voulu matérialiser ce lien collectif ? 
Dans le film, j’ai beaucoup filmé les mains. Quand mon frère était dans le Bataclan, j’ai éteint la télé et les radios. Et avec mon copain, on s’est tenu les mains. Dans beaucoup de témoignages, j’ai lu cette chose autour des mains. Se les tenir dégage de l’ocytocine, cette hormone de bien-être, qui est celle que l’enfant produit quand il est sur le sein de sa mère. C’était vraiment ce que je voulais : parler du lien et de la chaleur humaine, et encore une fois exalter ce sentiment de fraternité. 

“Revoir Paris” (Pathé) de Alice Winocour, maintenant disponible en DVD Blu-ray.