ANATOMIE D’UNE CHUTE de Justine Triet
En compétition officielle, Justine Triet revient avec un film de procès au cordeau, porté par la trop rare Sandra Hüller.
Ces dernières années, le cinéma français connait une « Efira-mania », une de ces frénésies cycliques symptomatiques de cette époque où une poignée de noms bankables se retrouvent partout. Tout le monde a eu son petit bout de la star belge, estampillée « auteur » mais plus « populaire » que jamais, avec elle, on gagne à tous les coups ou presque. Et Justine Triet n’est pas étrangère au phénomène, l’ayant convoquée dans ses deux très bons derniers films (Victoria puis Sibyl).
Ce coup-ci, elle a la bonne idée de retravailler avec la géniale Allemande Sandra Hüller (révélée par Toni Erdmann) à qui elle avait déjà confié un second rôle marquant de cinéaste un poil tyrannique dans Sibyl. Un choix qui acte aussi un virage plus sec pour la cinéaste. Dans Anatomie d’une chute – à la fois drame familial sur le deuil et film de procès – Hüller incarne une romancière confrontée à la mort sanglante de son mari (Samuel Theis) au pied du chalet de montagne où ils se sont installés avec leur fils de 11 ans, malvoyant. D’emblée, on comprend que la chute du titre ne concerne pas l’héroïne mais bien son mari. Et l’on s’efforce dans un premier temps de reconstituer scientifiquement la trajectoire fatale pour déterminer si on l’a frappé et poussé ou s’il s’est jeté pour en finir. Sandra (c’est aussi le nom de l’écrivaine), elle, ne peut tout simplement pas s’effondrer. En 2h30 de film, le temps long et laborieux de l’enquête pèse de tout son poids sur la mère et son fils.
Justine Triet avance méticuleusement dans l’affaire sans aucun effet de manche, se contentant d’entretenir le doute sur la culpabilité de Sandra. Et glisse habilement son scalpel dans l’histoire de ce couple miné par ses ambitions respectives : elle est une autrice prolifique et à succès qui s’inspire de sa propre vie, lui un écrivain frustré incapable de ne rien produire. Mécanique du fait divers qui s’emballe, description méthodique du travail de la justice (Antoine Reinartz, délicieusement vipère en avocat général), jeux de vases communicants dangereux entre la littérature et la vie… Ce faisant, elle signe sans doute la meilleure adaptation d’Emmanuel Carrère jamais portée à l’écran.