Athena : « Après 50 jours de tournage, on était chauds »

Dans chaque numéro de Sofilm, la rubrique « Le plan de la mort » est consacrée au récit d’un chef opérateur sur un plan qui a marqué sa carrière. Matias Boucard s’est prêté à l’exercice, choisissant de raconter les dessous de l’ouverture d’Athena de Romain Gavras (disponible sur Netflix). Cet impressionnant plan-séquence d’une dizaine de minutes, très remarqué à la sortie du film, relève sans aucun doute de la prouesse technique. Réalisé sans effets spéciaux, il a donné à l’équipe de tournage beaucoup de fil à retordre.

« La première fois que j’ai ouvert le script, j’ai vu « plan séquence 1« . J’ai commencé à lire, je tournais les pages, et je me suis rendu compte que ça ne s’arrêtait jamais. Au bout de la quinzième page, il y avait écrit stop. Je me suis dit : ‟Waouh, comment on va faire ?ˮ

Comme c’était le plus compliqué, on a vite pris la décision de le tourner à la fin, même si le reste du film était tourné dans l’ordre. Après cinquante jours de tournage, on était chauds et entraînés. Les figurants étaient formés, les acteurs savaient où se placer, les caméramans connaissaient le rythme du film. C’était une symphonie qui se faisait toute seule. Comme pour tout le film, on a essayé de le faire un peu old school, avec une grosse caméra Imax et des machineries. Romain voulait tout faire au tournage, sans SFX. Soy Cuba, c’est en quelque sorte la référence de ce plan : quand on le regarde, on a l’impression que la caméra est lourde, qu’elle va se casser la gueule ou se décrocher du câble.

Athéna (2022)

On a commencé par un processus de répétition. D’abord j’ai filmé Romain à l’iPhone, pendant qu’il mimait le film et me racontait comment devait se déplacer la caméra. Ensuite on a fait une répétition générale du film : on appelle ça le film nul. On tourne tout en version Dogville, avec des bouts de gaffer, beaucoup moins d’acteurs, des décors vides, des meubles en carton… Cela permet de designer tous les plans et d’identifier les futurs problèmes. Par exemple, les jeunes mettent dans le camion un énorme coffre. Puis le camion part les portes ouvertes. Il fallait que le coffre reste en place sans tomber sur les flics qui couraient derrière. Donc, l’accessoiriste a mis un système d’aimants hyper puissants pour qu’il ne bouge plus.  

Une fois qu’on a tourné cette version nulle, on a découpé en segments et répété chaque point compliqué du plan séquence : les déplacements, les explosions, la sécurité dans le camion. La partie la plus complexe : faire sortir puis re-rentrer la caméra du camion. Ça n’était pas indiqué dans le script. Il était juste écrit ‟Ils partent dans le camion de police et c’est la diligence du futurˮ. J’avais en tête ce plan de la diligence à fond la caisse, dans la ville western, avec les mecs qui tirent de tous les côtés. Cette diligence, on a envie de la voir de l’extérieur. Pour moi c’était une évidence que la caméra sortait et rentrait. Romain avait peur que ça fasse too much, mais il n’a pas été long à convaincre. 

Athéna (2022)

On a fait une répétition sur une piste d’aviation où on a matérialisé au mètre près le décor qu’on avait trouvé, avec les distances, les ronds-points… On avait aussi les camions de pompiers qui arrivaient en face, à fond la caisse, à contre sens. Une vraie chorégraphie. On a fait des tests et, à un moment donné, on a trouvé une technique pour que la caméra sorte puis re-rentre. Moi à ce moment, je suis dans le camion, caché au sol. Je donne la caméra à l’opérateur qui est à l’avant d’une moto, et qui va filmer de l’extérieur. Romain dirige tout le monde en chef d’orchestre depuis un van qui roule à fond. Quand la caméra revient dans le camion, par un endroit différent de celui d’où elle était sortie, j’arrive à réapparaître sans qu’on me voie, je la reprends et je continue le plan. 

La force de ce passage, c’est qu’on sort de la camionnette par un travelling arrière sur un visage, un plan de cinéma assez classique. Puis on se rend compte que le plan s’élargit, et d’un coup on est sorti du camion. Cet effet de surprise, c’est comme de la magie.

Athéna (2022)

On a ensuite enchaîné avec un long plan, très dur à faire, où on monte des escaliers, on rentre dans des couloirs… On a même dû élargir des portes ! Tout était une chorégraphie avec les jeunes, qui sont devenus de vrais pros. On a terminé avec le plan de drone : on décroche la caméra du steadicam, on l’accroche sur un drone et il part en l’air. Évidemment c’était un peu plus complexe que ça, mais un magicien ne révèle pas ses secrets ! Et le résultat est mieux que ce que j’avais imaginé. La première fois que je l’ai vu, je me suis dit : ‟Mais comment on a fait ça ?ˮ D’ailleurs, je crois que je ne saurais même pas le refaire ! »