ATLANTIC BAR de Fanny Molins

Avec beaucoup de pudeur et sans jamais entrer dans les clichés, la photographe et réalisatrice Fanny Molins nous emmène à la rencontre des patrons et habitués hauts en couleur de l’Atlantic Bar, commerce essentiel des ruelles d’Arles. Un premier long documentaire plein de panache (en salles ce 22 mars). 

« Il n’existe guère que deux arts de vivre : l’un consiste à se mettre à la place des autres, l’autre à la leur prendre », écrivait le romancier Antoine Blondin, qui n’aimait rien tant que de cacher sa renommée dans les bistrots de quartier. Avec ce premier long métrage documentaire, intime mais distancié, Fanny Molins s’inscrit clairement du côté des empathiques, de ceux qui savent se glisser dans un petit coin pour écouter sans se faire entendre, pour voir sans être vus, pour montrer sans se la raconter. « Je pense que quand on regarde intimement, on ne peut pas être voyeur », note la réalisatrice, tombée sur l’Atlantic Bar à l’occasion d’un atelier de photographie organisé à Arles. « Il y avait une lumière rasante assez incroyable qui structurait les visages et travaillait de jolis clairs-obscurs sur les peaux. Je me suis posée là tous les jours, toute la journée, d’abord sans faire de photos. » Une amitié nouée avec les patrons des lieux, Nathalie et Jean-Jacques, et trois ans d’allers-retours dans la ville des Rencontres plus tard, la photographe décide de transformer sa série de clichés en long métrage, sélectionné par l’ACID lors du dernier Festival de Cannes.  

Atlantic Bar (2022)

Service public 

À des kilomètres de la Croisette où artistes et festivaliers s’adonnent à un alcoolisme cérémonieux, les habitués de l’Atlantic Bar revendiquent un autre art de vivre à la française : l’ivresse de proximité. Un peu désuet, douteux sur le plan médical, franchement salvateur. Dans les ruelles d’Arles comme ailleurs, les bistrots, troquets et autres PMU ne sont ni plus ni moins qu’un service public au maillage complexe, où de faux solitaires viennent chercher le « verre de contact » (le facétieux Blondin toujours). Pas peu fiers d’avoir installé leur établissement sur l’emplacement exact d’un ancien QG du Parti communiste, Nathalie et Jean-Jacques pratiquent d’ailleurs une véritable politique de prix, « sinon, c’est plus un bar », confirme le patron derrière le zinc. Lorsque le propriétaire des murs annonce la mise en vente du local, le petit rade devient même une zone à défendre. Et si l’événement survenu au beau milieu du tournage aurait pu faire faire virer le documentaire au drame social, c’est bien la galerie de portraits qui reste le cœur du sujet. « Pour laisser aux patrons et aux habitués le contrôle de leur histoire », Fanny Molins a d’ailleurs la bonne idée de laisser ses protagonistes raconter leurs histoires, sobres, lors d’entretiens face caméra qui ponctuent le documentaire. L’ex-braqueur avec un jeu de cartes tatoué sur la main pour rouler ses camarades à la belote, le poète du dimanche qui médite devant son demi, le fils qu’il ne faut pas trop chauffer, Jean-Jacques et son cœur sur la main, leurs histoires flottent dans la pièce. Très vite, le personnage de Nathalie, son destin tortueux de patronne de bar en lutte contre son addiction à l’alcool et la possible fermeture de son établissement, emporte tout. « C’est de cette double bataille qu’émerge l’ambiguïté : Nathalie ne peut pas se passer de son bar, financièrement, affectivement, symboliquement, mais c’est précisément ce bar qui la tue. » Sa gouaille, sa beauté étrange à la Cassavetes – tendance Femme sous influence – bouleversent. Atlantic Bar le prouve, les histoires les plus captivantes à raconter se trouvent bien souvent au coin de la rue.