BELLE de Mamoru Hosoda

Après Miraï, ma petite sœur (Quinzaine des réalisateurs 2018), Mamoru Hosoda était de retour à Cannes en sélection officielle pour Belle, une première pour un cinéaste japonais d’animation. Mangas, documentaires, fiction classique… Hosoda insiste : peu importe la forme, c’est le contenu qui compte.

Suzu mène une double vie. Dans la réalité, c’est une adolescente timide à la limite de la pathologie habitant une petite ville du Japon. Depuis la mort de sa mère, elle ne chante plus et n’utilise son mince filet de voix que pour exprimer la peur : d’être ridicule, remarquée, détestée. Dans le monde virtuel « U » imaginé par l’architecte et designer londonien Eric Wong, accessible depuis un simple smartphone, Suzu est méconnaissable : son avatar, Belle, arbore une longue chevelure rose et des robes étincelantes. Une star de la chanson adulée, épiée, critiquée par cinq milliards de followers, qui n’hésite pas à se produire devant une foule vertigineuse plus ou moins bien disposée à son égard. Tout à coup, l’équilibre de ce monde digital ultra social se trouve menacé par l’intrusion d’une bête sombre et marginale aux comportements violents.

Sans la bête

Il faut mettre tout mauvais esprit sur pause pour entrer dans le film. Hosoda ne craint pas le premier degré et assume une bonne dose d’aventure et de looks de princesses, le tout agrémenté de personnages ultra émotifs, torturés par des préoccupations adolescentes. Ils pleurent, s’aiment, rougissent, se portent secours, voient au-delà des apparences… Si on se laisse emporter par ce tourbillon chamarré et qu’on abandonne tout désir de sobriété, on se retrouve alors submergé par une vague d’idéalisme juvénile émouvante aux larmes. Il faut donc regarder plus loin chez Hosoda, qui aborde notamment le thème des réseaux sociaux sans succomber aux discours alarmistes et culpabilisants, préférant acter que cela fait partie de nos vies et qu’on y retrouve les mêmes mesquineries, la même violence mais aussi parfois un peu de noblesse et d’autres formes de solidarité. Depuis le bouleversant Les Enfants loups en 2012, suivi trois ans plus tard du Garçon et la Bête, Belle creuse aussi un peu plus son obsession de la famille et du deuil sans pour autant donner l’impression de se répéter.

Ce rebelle de l’animation japonaise, fondateur de son propre studio (Studio Chizu), tient plus que tout à son indépendance et évite les films de commande. Il a choisi d’adapter une œuvre vue et revue : La Belle et la Bête. En allant au-delà : ici la Belle/Suzu gagne en consistance et transcende la simple allégorie de la beauté et de la douceur. Hosoda propose des personnages féminins réalistes, sincères et bourrés de contradictions, positifs mais sans angélisme, loin du fantasme de la demi-déesse guerrière inébranlable. Un sens de la nuance parfois difficile à retrouver dans l’univers des mangas… entre autres. Derrière la beauté ostentatoire de « U », sa débauche de mélodies sucrées, de couleurs vives, et d’arcs narratifs acrobatiques, Hosoda alterne et fusionne avec le monde réel plus ordinaire, tissant une réflexion sur les apparences trompeuses, les blessures familiales et les maltraitances bien moins simpliste qu’il n’y paraît…