BERLIN ALEXANDERPLATZ : « Il faut subir beaucoup de racisme avant d’avoir le droit de vivre le rêve allemand »
Dans Berlin Alexanderplatz, en salles le 11 août, le Germano-Afghan Burhan Qurbani transpose le roman d’Alfred Döblin de nos jours et sonde l’ascension puis la chute de Francis, un jeune réfugié guinéen, au gré de ses bonnes et mauvaises rencontres. Une épopée dans les méandres berlinois sur fond de trafic de drogue. Rencontre.
Contrairement au roman, dans lequel Francis tue sa première femme, vous l’avez plutôt suggéré dans votre film. Comme si, dès le début, vous vouliez le réhabiliter…
Francis a l’impression d’avoir tué sa femme et, en arrivant à Berlin, cherche quelqu’un pour le punir de ça. C’est là qu’il rencontre Reinhold, un dealer, un Allemand pure souche, qui le fait plonger peu à peu. Mais Francis accepte les souffrances infligées, pour pouvoir se racheter. C’est la culpabilité du survivant.
Vous parlez aussi de la place des migrants en Allemagne…
Ça fait partie de mon héritage. Mes parents sont arrivés ici dans les années 80. C’est la raison pour laquelle je suis assez familier de la question des réfugiés et de ce que c’est d’être un étranger en Allemagne… d’être même discriminé pour ça. Même si, à l’époque de mes parents, les réfugiés étaient plutôt les bienvenus.
Est-ce qu’il y a un « rêve allemand », comme l’American Dream a pu l’être ?
Oui, c’est certain, comme une promesse d’un bel avenir. Mais il y a un prix à payer et c’est le racisme. Il faut se prendre malheureusement beaucoup de racisme dans la figure pour avoir droit à une nouvelle vie ici et pour vivre le rêve allemand. C’est le revers de la médaille. Heureusement, beaucoup de gens se battent contre ça. J’apprécie la manière dont notre pays regarde son passé et se remet en cause. Même si ces dernières années, j’ai pu ressentir une lassitude et, par là même, un nouvel élan raciste, emmené par les partis populistes. Mais c’est un phénomène global en Europe et pas spécifique à l’Allemagne.
Le pays fait figure de bon élève sur la question de l’immigration. Mais dans le film, il y a une ambivalence. D’un côté, Reinhold baptise Francis avec un nom parfaitement allemand, « Franz », mais d’un autre côté, il lui demande de porter un costume de gorille. Est-ce qu’il représente le point de vue complexe de l’Allemagne à cet égard ?
Pour moi, Reinhold est le dernier colonialiste. C’est comme s’il disait à Franz : « Tu es mon ami, mais j’ai le pouvoir, je suis blanc et je serai toujours supérieur à toi. » À chaque fois que Franz le surpasse, il cherche à l’humilier. Mais il y a une deuxième lecture. Reinhold incarne aussi Thanatos, la mort, la volonté de destruction, tandis que Mieze – la femme allemande dont Francis tombe amoureux – incarne Eros et l’envie de vivre. Il est pris en étau entre ces deux énergies. Ça va donc au-delà de la différence entre Blanc et Noir.
Il y a une scène assez forte dans le film, dans laquelle Francis discute avec Eva, une femme métisse patronne d’un bar, qui lui sauve la vie. Ensemble, ils parlent de ce que c’est d’être noir et allemand, de ne pas être totalement acceptés…
C’est sans doute la scène la plus personnelle de mon film, car très proche de mon expérience. Je ne ressemble pas à un Allemand, mais je pense comme tel. Je suis imprégné de ce pays et pourtant on continue à me percevoir comme un étranger. Mais l’Allemagne est ma maison. Je suis né ici, je mourrai ici.