CAITI BLUES de Justine Harbonnier

Justine Harbonnier livre un portrait émouvant d’une jeune chanteuse dans un bled du Nouveau-Mexique, et interroge la complexité de s’intégrer dans une société où le passage à l’âge adulte semble être synonyme de renoncement. En salles ce 19 juillet.

Au début, on ne voit pas bien son visage. Cachée derrière de grandes lunettes de soleil, Caiti cède volontiers son identité aux grandes étendues du Nouveau-Mexique (lesquelles se reflètent, lumineuses, sur la vitre latérale de sa voiture). Ce n’est qu’une fois libérée d’un mal invisible, par une rebouteuse à laquelle Caiti rend visite, que la caméra s’autorise à nous révéler le visage de la jeune femme, soulagée et soudain plus vivante, prête à affronter le monde. Si le film de Justine Harbonnier démarre avec l’idée d’une renaissance, l’enjeu n’est pas pour autant ici de faire croire à la magie d’un mal uniquement combattu par des pouvoirs magnétiques. À presque 30 ans, Caiti bouillonne de se réinventer et de se consacrer à la musique. Quand elle n’est pas assignée au bar où elle travaille (et dont le maigre salaire lui permet seulement d’éponger la dette cumulée pour son prêt étudiant), elle tient une émission de radio et compose des morceaux qu’elle chante le plus souvent pour elle-même avec sa guitare, dans une pittoresque maison-cabane au bord de la Turquoise Trail. Son rêve : chanter à plein temps devant un public, avec la même insouciance qu’elle injectait dans les spectacles d’école de son enfance.

Caiti blues (2023)

America!
Le documentaire intègre de nombreux passages filmés avec le caméscope familial, dans lesquels Caiti se met en scène chez elle avec ses poupées Bratz, quand ce n’est pas sa mère qui la filme en train de chanter ou de faire le tour commenté du jardin. Des bribes de l’Amérique des années 2000 émergent à travers ces images et les souvenirs énoncés en voix off. Caiti évoque ses joies passées mais aussi leur point de bascule, la chape de plomb qui s’abat sur le pays lors de l’attaque du World Trade Center, son insouciance envolée, les infos saturées et l’instinct de survie qui pousse sa mère à ranger les téléviseurs dans l’armoire… « Tout est parti en vrille. » Aux remémorations chargées, Harbonnier offre les paysages de Madrid (la petite ville où vit Caiti, pas la capitale de l’Espagne) comme autant de contrepoints méditatifs. On ne se lasse pas de ce surcadrage dans la station radio, au milieu duquel Caiti parle au micro face à une grande baie vitrée donnant sur les hauts plateaux désertiques. Le 4/3 resserre l’horizon d’un cadre qui étend à perte de vue les possibles, dans un face-à-face presque psychanalytique entre Caiti et le désert, aussi vaste qu’aride et suffocant.

Can’t stay Can’t leave
I just need to breathe

Des paroles de chansons écrites par Caiti chapitrent le film sous forme d’intertitres. Les mots s’incorporent au langage filmique et reprennent l’esthétique vidéo du caméscope, construisant une passerelle entre les images d’enfance de Caiti et celles de la cinéaste. C’est un portrait à la fois pudique et sans fard, filmé au saut du lit jusque derrière le comptoir du bar, avec en sourdine la folie trumpienne qui agite les esprits. Le documentaire dépeint le quotidien de la jeune yankee (telle qu’elle se définit elle-même aux clients du bar, comme pour s’excuser de chercher sa place en dehors de New York) dans un mouvement de balancier porteur d’espoir. Car si le montage alterne des moments de sociabilisation heureuse avec d’autres plus teintés d’angoisse et de solitude, le rire optimiste de Caiti succède néanmoins toujours aux heures de découragement. Ainsi, quand la promesse d’un entretien d’embauche apparaît tel un phare dans la brume, Caiti tient la barre, encore et toujours déterminée à forcer le destin.