THE END de Guillaume Nicloux

Entre une pub ukrainienne pour des montres et deux sorties sur François Hollande, en passant par une panouille dans une comédie TF1 (La Dream Team), Depardieu retrouve Nicloux après Valley of Love, pour un film fantastique étonnant. 

Il est presque devenu un « mème », de ce nom que l’on donne aux célébrités, acteurs ou sportifs aux actions ou aux gueules si marquantes que les internautes les récupèrent pour les transformer en calicot numérique susceptible de commenter tel ou tel post. Gégé est partout, tout le temps. Quand il ne cachetonne pas chez les copains dans des direct to DVD douteux, il est sur Arte à dévorer tout ce qui lui passe sous le pif. Quand il n’intervient pas au JT pour une promo express, on le retrouve dans la presse pour ses frasques délirantes. Il est devenu total, si bien qu’on en a presque oublié qu’il est avant tout une créature de cinéma. Chose que Guillaume Nicloux, dans un geste un peu désuet mais désarmant de sincérité, aime à se rappeler et à rappeler à la mémoire des spectateurs.
 
Après avoir écrasé notre héros national avec le soleil de plomb de la vallée de la Mort dans l’émouvant Valley of Love, il l’exile dans une forêt anonyme avec ce The End qui sort en e-cinéma directement, même si le film aurait tout autant mérité l’ampleur de l’écran large, tant il aime à jouer avec le vide dans lequel le personnage, que l’on nomme simplement « l’homme » au générique, se perd. Mais le CinemaScope trouve son unique justification dans le corps de Depardieu, qu’il capte dans toute son amplitude morbide. Le ventre tendu, le geste peu sûr, le souffle court, l’acteur souffre, tousse et s’essouffle une bonne partie du long métrage, qu’il passe dans les bois, comme une bête apeurée, chasseur devenu proie une fois son fusil égaré dans les méandres de cette étendue verte qu’il est pourtant censé si bien connaître.
L'ogre
Le récit tient en grande partie parce que Nicloux oriente toute l’énergie de son film et la sécheresse de son synopsis sur Gérard. L’acteur bouffe littéralement l’écran, en cela qu’il l’occupe comme rarement auparavant. Débarrassé de la dimension malsaine du DSK de Welcome to New York et de l’humanité que lui apportait Isabelle Huppert dans Valley of Love, il est seul, dénudé face au néant, brouillant la frontière entre le personnage public ripailleur/acteur/grande gueule et le personnage privé plus sombre, plus mélancolique. La caméra de Nicloux scrute, fascinée par ce qu’elle filme, ce mastodonte qui se meut avec les plus grandes des difficultés dans la forêt. Dans cette lente agonie arrosée de Schweppes Agrum’ et ponctuée de clopes du condamné, Depardieu devient l’ogre de la forêt qu’il est supposé craindre, le monstre du conte de fées qu’on brandit aux enfants apeurés.
 
Cette incarnation de la bête féroce qui fait basculer le film dans le fantastique est l’une des grandes idées de The End. Déjà – un des éléments les plus réussis également de Valley of Love –, Nicloux amène l’angoisse et la terreur avec une discrète sobriété, lorgnant plus du côté de la tradition gothique que du gore bêta à la Eli Roth. Dans le rôle des apparitions ectoplasmiques, Swann Arlaud et surtout Audrey Bonnet tiennent tête au monstre, qu’on sent prêt à les dévorer. Ils sont aussi révélateurs : Arlaud, le « jeune homme », dépouille encore plus la bête qu’il laisse à terre ; Bonnet, la « jeune fille », met en lumière sa part d’humanité. Ces deux personnages permettent également à Nicloux d’échapper à l’écueil du « film concept » en réoxygénant l’ensemble avec une dose de dramaturgie – si infime soit-elle –, pour déployer un peu plus le potentiel de son acteur, qui s’abandonne totalement dans ce rôle taillé pour sa corpulence hors norme.
 
Ce qui aurait pu être le meilleur film fantastique français depuis des lustres n’évite pourtant pas un dernier piège. Au lieu de laisser The End se terminer sur une note de mystère, Nicloux conclut de manière décevante en appliquant à son récit un faux twist comme sorti d’une mauvaise série télé, qui rompt l’équilibre fin et fragile qui régnait alors depuis le début. Que ces cinq dernières minutes n’empêchent pas la découverte de cet OVNI inattendu qui pousse un homme bigger than life à mettre un genou à terre. C’est peut-être cela, l’avantage du e-cinéma, finalement : s’arrêter un peu avant la fin, et rester sur le souvenir d’un film envoûtant et surprenant. – Jules Perret
The End un film de Guillaume Nicloux. Avec Gérard Depardieu, Swann Arlaud, Audrey Bonnet… Sortie uniquement en e-cinéma le 8 avril.