DISCO BOY de Giacomo Abbruzzese

Avec ce premier long en compétition à la dernière Berlinale (en salles ce 3 mai), Giacomo Abbruzzese mêle le mystique au politique. À la suite de Claire Denis (Beau Travail) ou Clément Cogitore (Ni le ciel ni la terre), Abbruzzese traite de la camaraderie militaire, du rapport au supérieur hiérarchique et de la façon d’habiter un territoire. Le tout dans un environnement mâtiné de fantastique, soutenu par une somptueuse bande originale de Vitalic.

D’un côté, Aleksei quitte sa Biélorussie natale. Il espère gagner ses papiers en France en intégrant la Légion étrangère. De l’autre, Jomo prend les armes pour défendre son village, victime des compagnies pétrolières au Niger. Avant de les réunir, divers motifs viennent mêler les trajectoires de ces deux personnages principaux. Leurs points de vue vont ainsi se répondre jusqu’à se confondre. Des soldats d’un même village, dont Jomo, dorment au milieu de la jungle. Les fusils mitrailleurs débordent des corps entremêlés. Ailleurs, en France, Aleksei et d’autres bleus rampent dans la boue. Comme le dit leur devise, « la Légion est ma patrie ». En deux séquences, le repos du guerrier croise le parcours du combattant. Disco Boy déploie ainsi, à travers deux trajectoires distinctes, la même énergie : celle d’individus qui cherchent à survivre en combattant. À trouver ou garder leur place face à la violence d’un système qui les repousse à la marge. Dans les deux cas, ils sont prêts à payer le prix du sang. Dans une hallucinante séquence de lutte à mort filmée à la caméra thermique, ils se réinventent. Aleksei, alors en pleine opération de sauvetage au Niger, devient le réceptacle de Jomo pour l’aider à réaliser un rêve impossible.  

Disco Boy (2023)

Body doubles
De tous les espaces qu’on cherche à occuper, défendre ou s’approprier dans le film, un en particulier sert de contrepoids : il se trouve dans une boîte de nuit parisienne logée au cœur d’une église, où Aleksei traîne en permission. Ce dernier territoire où exister, c’est une piste de danse. Au bar, Aleksei se fait servir deux verres de vin rouge pour trinquer seul au nom d’un camarade disparu. Dans son village, Jomo évoque ce lieu de fête comme un lointain mirage. S’il avait été blanc, il aurait voulu être un danseur. Un « Disco Boy, comme un ange ». Suite à leur affrontement, le vide laissé en Aleksei par la disparition d’un frère de galère se voit comblé par la présence du fantôme de Jomo. Le motif de la possession mute peu à peu. De l’idée de posséder quelque chose (des papiers, un village à sauver), on finit par posséder quelqu’un. Jomo n’habite plus un territoire mais une personne. Aleksei ne cherche plus à s’ancrer quelque part. Il est la demeure. La piste de danse devient l’espace de renaissance où les spectres font une entrée spectaculaire et cinégénique à souhait. Suite à l’opération au Niger, le supérieur d’Aleksei constate sa nature troublée. Il lui lance un avertissement : il doit se reprendre. S’il ne gagne pas ses papiers, il restera un clandestin. C’est-à-dire, « un fantôme ». Ce qui devrait tomber comme une sentence permet au militaire de se réinventer ailleurs. La possession devient une nouvelle identité ; un nouveau moteur. Ce mix étrange du fantastique et du politique fait de Disco Boy un objet esthétique à la fois maîtrisé et très singulier. Un film de guerre moderne, sans héros ni ennemis, où un même corps devient un havre de paix pour deux soldats disparus.