C’EST CA L’AMOUR de Claire Burger

– En salles : C'EST CA L'AMOUR –

C’est ça l’amour ? C’est en tout cas le feel good movie du mois. L’occasion de se laisser aller enfin en compagnie de personnages aussi attachants que détachés de la vie. Et en premier lieu un Bouli Lanners plus fragile que jamais. En solitaire après l’inégal Party Girl, Claire Burger réussit un pari difficile : construire un film sur la logique illogique des sentiments.

 
Titre en apparence contradictoire, C’est ça l’amour raconte l’histoire d’une rupture familiale. Le début du film, c’est la fin d’une relation. Celle d’Armelle qui décide de quitter (sans qu’on n’en connaisse trop les raisons) Mario, qui restera à la maison avec leurs deux filles, Niki et Frida, le temps que les choses s’éclaircissent. C’est le temps aussi pour elle de quitter le film, un peu, de laisser le spectateur en compagnie de cet homme et de ces deux jeunes filles. Peut-être surtout de cet homme. Nombreux sont les films où le personnage central masculin se trouve à l’origine d’un récit marqué par la séparation et l’absence (récemment La Mule). Beaucoup plus rares sont ceux qui décident de présenter leur protagoniste sous la forme de l’« handicapé sentimental ». Mario n’est pas la victime d’un monde qu’il ne comprend pas, mais celle d’un amour qu’il ne sait pas exprimer. Et la rupture ? Elle offre au trio familial formé par le père et ses deux filles de se reconstruire chacun, dans la douleur et dans la joie. C’est Niki, l’aînée, qui se sent enfin capable de tracer son chemin de façon indépendante (quitte à blesser son premier et naïf amoureux). C’est Frida, l’ado qui découvre comment on déchire facilement la fine frontière séparant l’amitié de l’amour et l’amertume qui en découle parfois.

 
Une tisane et au lit
Toute famille est une histoire de binômes. Sauf que c’est le binôme qui est la source du conflit : car on se reconnaît trop dans l’autre. Niki reproche à sa mère de vouloir suivre son propre chemin. Frida reproche à Mario de rester attaché à Armelle. Alors que c’est elle, justement, qui continue à porter la robe de nuit de sa mère parce que cela lui rappelle son odeur. Une odeur qui n’est autre que celle de la cigarette, la même que sa camarade d’école va partager avec elle, enclenchant ainsi un tourbillon de sentiments.

Se reconstruire, se chercher, trouver son indépendance… C’est désormais un cliché d’appeler cela « devenir acteur de sa propre vie ». Le début du film, précisément, nous présente Mario lors de la première réunion d’une pièce de théâtre expérimentale qui cherche à faire des spectateurs ses protagonistes et les pousse à s’exprimer en public. Sa place dans ce dispositif ? Celle du mari qui veut de nouveau communiquer avec sa femme, laquelle, on l’apprend vite, travaille dans ce même théâtre. De cette scène résulte un message bouleversant : on se trompe à vouloir devenir « les acteurs de nos propres vies », à l’instar de Mario et Frida qui veulent devenir les metteurs en scène de leurs vies. D’où une certaine décontraction du côté de la cinéaste. Ce sera justement à eux de prendre le pouvoir, presque comme s’ils se trouvaient à leur tour dans une pièce expérimentale. D’où cette séquence étonnante dans laquelle Mario, dans son travail à la préfecture, décide d’intervenir dans un conflit entre une employée et un citoyen : incapable de se faire entendre au milieu des cris, il décide de placer une énorme plante entre les deux protagonistes. Enfin, il y a la séquence décisive du film où Frida, qui ne supporte plus l’attitude de son père, décide de « l’empoisonner » en versant de la MDMA, parfois surnommée « la drogue de l'amour », dans sa tisane. Plutôt qu’un clin d’œil au Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, c’est surtout l’occasion pour Frida de rejouer la mise en scène de son propre foyer, ce qu’elle n’a jamais pu faire, elle, qui voyait comment son père écartait son lit de celui de sa copine, rendant la proximité des corps impossible. La drogue, la maladie et le trip mettent Mario à terre, l’alitent, et permettent aux corps enfin de s’approcher en douceur. C’est la scène que cette drôle de famille n’avait jamais pu vivre jusque-là. Une étreinte dans un lit où les masques tombent. Car en fin de compte, c’est peut-être surtout ça l’amour. Fernando Ganzo