THE RAFT de Marcus Lindeen

– En salles : THE RAFT –

En 2015, The Prison Experiment racontait comment l'expérience de Stanford menée en 1971 avait tourné au drame : les volontaires étaient répartis en prisonniers et en geôliers. Ces derniers s'étaient découverts une âme de tortionnaires qu’ils ne soupçonnaient pas… L’expérience psy de The Raft a eu lieu deux ans après et c'est un récit bien plus passionnant : celui d’un scientifique qui a prouvé l’inverse de ce qu’il voulait démontrer.
 

En 1973, le docteur en psychologie Santiago Genovés souhaite comprendre comment naissent les conflits. Son idée : partir avec cinq hommes et six femmes sur un radeau de sa propre conception, baptisé Acali (« la maison sur l’eau ») et dériver sur l’Atlantique sans moteur pendant plusieurs mois. Dans un cadre isolé, sans échappatoire et sans intervention extérieure, il pourra filmer et observer comment naissent les conflits et comment la violence s’exerce, afin de pouvoir ensuite proposer des solutions pour mieux la contenir. Quarante-cinq ans plus tard, Marcus Lindeen a retrouvé les sept participants encore vivants afin de leur faire raconter, à l’intérieur d’une réplique exacte de l’embarcation construite pour l’occasion dans un studio, ce qu’il s’est vraiment passé sur le radeau que la presse de l’époque avait surnommé « the sex raft ».


« All is lost »
L’intérêt majeur de cette histoire réside dans l’échec gigantesque de l’expérience. Genovés cherche par tous les moyens à créer les conditions du conflit : il choisit des participants qui sont attirants physiquement, espérant que des jalousies s’expriment, les conditions de vie sont spartiates afin de maximiser la mauvaise humeur (même les toilettes sont soumises aux regards de tous, le sommet de l’enfer), et il impose une interdiction formelle d’appeler à l’aide en cas de danger de mort, pour que tout le monde soit bien à cran. On a l’impression d'assister à la mise en place d’une télé-réalité de type « L’Île de la tentation de la séduction des secrets du cul », et on n’est pas surpris d’apprendre que l’expérience de Genovés a inspiré un reality show du National Geographic Channel en 2015, où un homme et une femme doivent survivre une semaine ensemble sur un minuscule radeau de fortune en pleine mer, une sorte de « Vis ma vie » de migrant en méditerranée de très mauvais goût. D’ailleurs, The Raft ne se prive pas de jouer avec nos attentes perverses et voyeuristes, car comme le psychologue, on ne peut pas s’empêcher d'espérer voir exploser le chaos, et d’avoir sous nos yeux la démonstration de l’abjection humaine des personnages. Mais le conflit ne prend pas la forme qui avait été anticipée. L’abjection, bien présente, se niche en fait ailleurs et le film, sans tirer de conclusions, propose un questionnement très juste sur ce qui nous attire dans la violence, sur nos propres envies de voir une violence s’exercer sans avoir à y participer personnellement.
Car c’est dans l’âme de Santiago Genovés, décédé en 2013, que le réalisateur tente de fouiller. Loin d’être un observateur neutre, c’est sa propre vision biaisée du monde qui fait échouer son projet. On ne peut pas s’empêcher de sourire en découvrant que le scientifique, espérant générer un maximum de tension, a choisi de mettre les femmes à tous les postes de commandes. Les hommes ne le supporteront pas, dit-il, cela va créer des drames. La suite du film ressemble à un pamphlet en faveur d’un commandement 100 % féminin. Maxime Donzel