EN THERAPIE : entretien avec Hagai Levi
Diffusée pour la première fois en 2008 à la télé israélienne, la série En analyse, créée par Hagai Levi,a cartonné au point de compter aujourd’hui dix-neuf adaptations à l’étranger. La version française – pilotée par le tandem Toledano/Nakache avec un casting XXL – cartonne actuellement sur Arte. Vingt ans après son premier succès, Levi fait désormais partie des showrunners que l’on s’arrache. Après avoir lancé Our Boys, Hatufim (devenu Homeland aux États-Unis) ou encore The Affair, il est actuellement en plein tournage pour HBO de son prochain projet, revisite du chef-d’œuvre bergmanien ultime, Scènes de la vie conjugale. Son secret pour arriver au sommet ? « Cela prend beaucoup de temps… »
Comment expliquez-vous le succès incroyable d’En Thérapie à l’étranger ?
Cela reste assez énigmatique pour moi… La forme narrative est attirante, car le spectateur a l’impression de regarder une série de détective : le patient arrive avec une problématique et au fur et à mesure, on se rapproche de la « solution ». Mais le format est innovant au sens où il n’y a pas de réel conflit entre les personnages, ce qui change de la narration habituelle. Généralement, tout le monde se cache des choses, ment… Là, même si le patient peut se cacher des choses à lui-même, il n’a aucun intérêt à les cacher à son thérapeute et donc aux spectateurs. La série est donc facilement adaptable car elle répond à une question qui nous concerne tous : ce que c’est d’être un homme. Nous partageons tous cette quête de vérité. Et de fait, En analyse a marché dans beaucoup de pays où la thérapie n’est pas forcément populaire, ni même pratiquée.
L’intrigue de la version française, baptisée En thérapie, tourne autour des attentats du Bataclan. Qu’en attendez-vous ?
À un moment de ma vie, j’étais obsédé par la culture française et je me suis même mis à apprendre la langue. Donc c’est une des adaptations que j’attendais le plus. Il y a eu au moins quatre tentatives avant qu’En analyse voit enfin le jour en France. Dès les premières discussions avec les producteurs et scénaristes, je les ai beaucoup encouragés à explorer le traumatisme du Bataclan. Cela ne devait pas se résoudre à quelques scènes, il fallait que l’événement définisse entièrement la série et lui donne une raison d’être. Dans les précédentes adaptations, chaque personnage avait également un cadre, des repères, une actualité politique parfois, mais ça leur était personnel. La grande nouveauté de cette version est que le Bataclan va englober l’histoire de tous les personnages. Je crois que la France entière a été traumatisée par ces événements, et aurait pu avoir besoin d’une thérapie pour survivre à ce traumatisme…
Vous plongez systématiquement vos personnages dans un combat entre le désir et la morale, dans The Affair par exemple. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette dualité ?
Je pense que ça vient de ma propre histoire. J’ai grandi dans un milieu très orthodoxe et mes vingt premières années ont été régies par ce conflit. Dans la religion, il y a des milliers de choses que pouvez et ne pouvez pas faire et en même temps vous avez votre propre volonté, vos passions, vous devez apprendre à gérer les deux en permanence. Je crois sincèrement que ce conflit intérieur entre le désir et la morale est le plus fondamental de tous. Si vous ne le ressentez pas, vous êtes sûrement un psychopathe. Et une œuvre qui ne le traite pas me semblerait étrange. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé avec House of Cards, j’ai vu quelques épisodes et j’ai arrêté : les personnages sont méchants et cruels, mais ça ne leur pose jamais problème. De mon côté, j’ai souvent essayé de créer des personnages « mauvais », mais même dans Our Boys, il y a trois meurtriers, et le personnage principal est un jeune Israélien, qui a plus le rôle d’un complice que d’un assassin. J’ai voulu que ce soit lui le héros car c’est celui auquel on peut le plus s’identifier : il a énormément de regrets, de culpabilité, et ça j’arrive à le comprendre.
Our Boys a mis quatre ans à voir le jour et vous avez dit que la série était « la chose la plus difficile» que vous ayez faite. Pourquoi ?
C’est celle qui m’a le plus sorti de ma zone de confort. Je n’étais pas habitué à ce genre de thématique, c’est une série criminelle et très politique, je n’avais jamais fait ça. Finalement, j’ai réalisé que le thème de la série était également universel : il s’agit de comprendre comment un environnement sociologique, religieux et psychologique a pu mener notre personnage au meurtre. L’idée était aussi de mettre de côté l’enjeu politique, et regarder la série en se questionnant soi-même : serais-je capable de commettre un tel acte ? Est-ce que mon fils en serait capable ? Mon voisin ?
À la sortie de Our Boys, vous avez été attaqué par le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, qui a appelé au boycott de la série…
On s’attendait à ce que la droite conservatrice n’apprécie pas Our Boys, mais on ne s’était jamais imaginé que le premier ministre allait faire une chose pareille. Cependant, quand vous créez quelque chose, la meilleure situation qui puisse vous arriver c’est d’avoir ce genre de réaction. Quelque part, on ne pouvait pas rêver mieux…
Qu’est-ce que la réussite des séries israéliennes dit du pays ?
Finalement, le plus intéressant n’est pas les séries que les Israéliens arrivent à vendre mais celles comme Fauda ou Shtisel qui s’exportent et sont diffusées en version originale. Et si les Israéliens voyaient des séries arabes, on s’habituerait plus à la culture, au langage… La sonorité d’une langue peut être effrayante ou menaçante et vous pouvez éprouver une sorte de résistance, il faut l’entendre pour s’y habituer. Aujourd’hui, le problème c’est que les Américains rachètent des séries israéliennes et les refont à leur sauce. Je ne peux pas m’en plaindre car je fais partie de ce système, mais ça peut également représenter un danger car les auteurs écrivent de plus en plus en ayant en tête la vente de leur série à l’étranger…
Quelles sont les différences majeures dans l’élaboration d’une série, entre Israël et les États-Unis ?
Le budget, évidemment. Aux États-Unis, le champ des possibles s’offre à vous : vous pouvez écrire un script où il neige dans une scène et ce ne sera pas un problème. En Israël, il ne neigera jamais dans la scène car vous n’aurez pas les moyens. Ceci dit, ça laisse moins de place à l’improvisation. Si je veux sortir dans la rue et tourner une scène spontanément aux États-Unis, je ne peux pas. Il faut passer par tout un tas de réunions, de validations…
Qu’est-ce qui fait un bon showrunner, d’après vous ?
Ça prend du temps… Je suis convaincu qu’il faut écrire pour d’autres gens, d’autres projets avant d’écrire pour soi-même. C’est en tout cas comme ça que ça fonctionne aux États-Unis et ça fait sens. Le métier de showrunner est une combinaison de plusieurs corps de métier : il faut être scénariste évidemment mais il faut également être capable de réaliser, produire, choisir le casting, les décors, le budget… Je pense que beaucoup de scénaristes n’ont pas la capacité d’être de bons showrunners car ce sont avant tout des écrivains. Ça a peut-être été plus simple pour moi car j’ai commencé avec la réalisation, j’ai fait une école de cinéma, et j’ai réalisé pratiquement tout ce que j’ai fait. Il faut aimer travailler étroitement avec les acteurs et y trouver de la joie. De nombreux scénaristes sont très défensifs sur ce qu’ils écrivent et veulent que les acteurs respectent leur scénario à la ligne près. Si on veut devenir showrunner, il faut sincèrement s’interroger sur ce désir. S’ils étaient vraiment honnêtes avec eux-mêmes, la majorité des scénaristes resteraient scénaristes car leur vraie passion est l’écriture. – Propos recueillis par Héloïse Sibony