BARRY JENKINS parle Baldwin, Oscars & black power

– Entretien : BARRY JENKINS parle Baldwin, Oscars & black power –

Avec ou sans la bourde de Warren Beatty, la surprise pouvait se lire sur son visage au moment de recevoir l’oscar du meilleur film pour Moonlight. Aujourd’hui, rien ne semble pouvoir arrêter Barry Jenkins, 39 ans. Il revient avec Si Beale Street pouvait parler, soyeuse adaptation d’un des grands livres signés James Baldwin qui relate une histoire d’amour, sur fond de ségrégation et d’erreur judiciaire. Comme il le sous-entend, Jenkins avait besoin de se connecter à la rage de l’écrivain pour affirmer le type de cinéaste qu’il veut être. Ni une bête de concours, ni le prochain Spike Lee. Par Jean-Vic Chapus.

 
Barry Jenkins : Le script de l’adaptation de Si Beale Street pouvait parler et celui de Moonlight ont été écrits au même moment, pendant l’été 2013. Je trouve ça plus rassurant de travailler sur deux histoires en parallèle. Ça permet de ne pas se retrouver à court de solution de rechange si les choses merdent. En vérité, je ne me sens pas si attendu au tournant que ça. Après, j’imagine parfaitement que plusieurs critiques pensent que j’en fais trop, que je ne vais pas tenir le rythme, etc. (il prend une voix déformée)« Oh, la hype Barry Jenkins ne va pas durer. » Dans le contexte de l’après Moonlight, les gens n’attendent pas de moi un film : ils attendent une confirmation ou une chute. C’est le jeu.
 
À l’époque de la sortie de Moonlight vous parliez déjà de ce projet d’adapter James Baldwin, mais sans garantie d’arriver à vos fins. Qu’est-ce qui coinçait ?
Eh bien, la même chose qui coince toujours à Hollywood : l’argent. Ce n’est pas une nouveauté, mais le monde de la production est devenu de plus en plus frileux. Avant même de lire un script, les gens de l’industrie réfléchissent en terme de budget. Vous racontez votre traitement de l’histoire et en à peine une minute ils vous disent : « Attends, je t’arrête tout de suite, Barry, tu es en train de me parler d’une scène d’époque, là ? Tu as idée du budget pour les costumes ? » Vous aurez beau leur expliquer qu’un romancier comme James Baldwin est important au sein de la communauté afro-américaine, ils auront quand même peur de ne pas couvrir leurs dépenses. Et quand une maison de production a peur pour son porte-monnaie, elle peut intervenir énormément pendant le tournage. Il y a toujours cette petite voix qui vous murmure : « N’oublie jamais que tu coûtes du fric. » Vous n’êtes, en aucun cas, un homme libre. Il faut donc sans cesse rassurer vos producteurs, leur prouver que vous savez tenir un budget, inventer des stratagèmes… Donc, pour Beale Street, les choses se sont réellement confirmées dès le lendemain des Oscars. Là, les producteurs n’ont plus peur. Ils se disent : « Ce film n’est pas une adaptation de James Baldwin. Ce film, c’est le nouveau long métrage du mec qui a fait Moonlight. »
 
Un cinéaste comme vous peut se sentir esclave du système financier que sous-tend l’industrie du cinéma ?
Justement, j’essaye de me battre pour ne pas l’être. Du mieux que je peux. Jusqu’ici, je ne crois pas complètement à l’indépendance, et même, je dirais que je n’ai pas encore fait assez de chemin pour être parfaitement indépendant des productions : je suis encore un jeune réalisateur. Je pense qu’il est du devoir d’un cinéaste de vérifier s’il se sent en adéquation avec l’argent qu’on lui propose. À mon sens, c’est comme ça qu’on travaille le mieux. D’autant qu’il est devenu de plus en plus difficile de trouver ce que j’appelle « l’argent juste ». Si un producteur ou un financier te propose de l’argent, tu n’es pas obligé de l’accepter du premier coup. Tu dois d’abord te poser, réfléchir et essayer de comprendre de quelle poche vient cet argent. L’indépendance, c’est être capable de dire à quelqu’un qui est d’accord pour te financer : « Ton fric, c’est le fric que je veux, car je me sens à l’aise avec. C’est un fric qui intègre ma vision créative en tant que metteur en scène. » La relation ne doit pas être à sens unique.


 
À quel juste prix estimez-vous votre valeur de cinéaste actuellement ?
Question difficile. Disons que je coûte moins cher qu’un réalisateur qui aurait gagné un oscar dans les années 80 ou 90 (sourire). En tant que cinéaste, je ne peux pas faire comme si je n’étais pas au courant de tout ce qui s’est joué ces dernières années : le numérique, les petites caméras, les nouvelles techniques de montage, etc. La technologie vous fait gagner en liberté, mais elle exige en retour que vous sacrifiez certaines de vos prérogatives d’auteur. Je vais vous donner un exemple, si nous avions tourné Moonlight pour un budget de 20 millions de dollars, comme c’est la norme dans le cinéma dit indépendant, nous ne serions sans doute pas sortis du lot. Nous avons finalisé ce film pour 1 million et, en cela, il devient un symbole intéressant au moment où le film gagne l’oscar. Parce que c’est aussi intéressant de dire : « Le film qui a remporté l’oscar coûtait 1 million », que de dire : « Le film qui a remporté l’oscar racontait l’homosexualité du point de vue de la communauté noire. »
 
Accepter trop d’argent du système contribue à créer des mauvais films ?
À vrai dire, je ne suis pas du tout le mieux placé pour vous donner un avis de « spécialiste » sur l’industrie des blockbusters ou des franchises Marvel et DC Comics. C’est une bulle financière et en tant que bulle elle échappe aux lois du cinéma. En revanche, ce que je dis c’est que je pense de manière très claire qu’on réussit à conquérir une partie de sa liberté en restant raisonnable. Je n’ai pas un assez gros ego, en tout cas pas encore aujourd’hui, pour exiger des sommes folles pour mes films. Même, après les Oscars, mon ego n’a pas trop enflé. Si mon oscar doit me servir à quelque chose, ce n’est pas à exiger des zéros supplémentaires sur un chèque. De toute façon, nous sommes dans une économie du donnant-donnant. Il faut être prêt à poser le contrat en ces termes : « Ok, tu me fais confiance sur mes décisions artistiques, mais en échange, je te permets de rester dans un cadre budgétaire maîtrisé. »
 
Que pensez-vous du modèle d’un studio comme Miramax, censé produire des films différents des grosses productions, mais qui, au fur et à mesure, devient la norme ?
L’idée derrière Miramax et la Weinstein Company, c’était de fournir des produits calibrés pour les Oscars : des adaptations littéraires de prestige, des stars, un côté grande fresque, des réalisateurs qui savent diriger de grosses équipes, etc. Et il y a cinq ans, ça a moins marché pour leurs productions. Peut-être qu’il y a eu saturation. Peut-être aussi que d’autres compagnies se sont positionnées sur ce marché occupé par les Weinstein : Paramount Vantage, A24… Ces sociétés ont toutes contribué à un nouvel appel d’air pour le cinéma. Elles se sont mises à chercher partout les nouveaux talents. Cette histoire m’a sans doute été bénéfique, comme elle a bénéficié à Damien Chazelle. On avait tous les deux commencé par des films sans budget, Guy and Madeline on a Park Bench pour lui, Medicine for Melancholy pour moi. Puis on a enchaîné sur des œuvres là encore assez peu coûteuses : Whiplash pour lui, Moonlight pour moi. Et là encore, cette année on a dû passer un palier, enfin surtout lui puisqu’il envoie Ryan Gosling dans l’espace, ce n’est pas rien (sourire)
 
Il vous reste quoi de cette cérémonie des Oscars 2017 où Moonlight est reparti avec la statuette du meilleur film ?
Concourir aux Oscars avec Moonlight ce n’était pas exactement un objectif. Ce n’était pas ma place au départ, mais qui suis-je pour décider ce que devrait être ma place ? Le jour où j’ai appris qu’on irait aux Oscars je me suis répété : « Mais c’est insensé ! Insensé ! » Et puis j’ai pensé : après tout, c’est un peu normal que Moonlight en soit ; cette pauvre Académie n’a rien à se mettre sous la dent d’un peu conséquent : pas de Clint Eastwood, pas de Martin Scorsese, pas de Tarantino… Je me dis toujours que l’espace que j’occupe, je le dois à des défections. Comme cette année, si on nous nomine de nouveau avec Beale Street. Peut-être que ça arrivera, peut-être pas. Dans tous les cas, ça ne signifiera pas grand-chose. Sur le long terme, les récompenses ne signifient pas grand-chose. Elles facilitent juste la suite de ta carrière. Maintenant, qui sait, si ce nouveau statut de cinéaste à récompenses va durer. Laissez quelques années à Scorsese, et il reviendra pour botter le cul des petits cons dans mon genre qui lui ont piqué la place (rires sonores).
 
Est-ce qu’on a le cœur à faire la fête quand on gagne un oscar dans les conditions, un peu rocambolesques, où vous l’avez remporté ?
Pour vous dire la vérité, la fête d’après les Oscars n’a pas du tout été un moment agréable. D’abord, il y a eu cette drôle de culpabilité liée à la boulette de Warren Beatty et Faye Dunaway (Warren Beatty décachette l’enveloppe et Faye Dunaway annonce que l’oscar du meilleur film revient à La La Land. S’ensuit un long discours ému des producteurs du film de Damien Chazelle jusqu’à ce qu’on informe tout le monde que c’est Moonlight qui a gagné, ndlr). C’était tellement étrange. Vous venez de passer une des soirées les plus longues de votre vie. Quatre heures assis sans bouger, à vous tenir prêt à dégainer un sourire chaque fois qu’une caméra cadre sur vous. Vous êtes crevé. Votre adrénaline n’en finit pas de faire des montées, puis des descentes. Donc quand vous en sortez, vous êtes dans un état lamentable. À la fête, j’ai vu tout le monde danser, mais moi, j’en étais totalement incapable. Je suis persuadé que des invités ont dû se dire : « Il a gagné un oscar et il tire la gueule. Triste bonhomme ! » Je crois que c’est seulement le lendemain que je suis redevenu léger. Damien Chazelle et moi, on était invités à une interview pour le magazine Variety. Pendant la session photo sur un patio, on s’est mis à échanger sur « les événements » de la veille. Pouvoir parler de façon légère de cette drôle de soirée, ça m’a fait du bien. Parce que la veille, à la fête, on s’était un peu parlé avec Warren Beatty, et il faisait peine à voir. Il essayait de garder sa superbe, mais quand il est venu me féliciter, il m’a surtout parlé de sa bourde. Il avait la voix tremblante : « Ce n’est même pas de ma faute, ni celle de Faye. Mais qu’est-ce qui s’est passé nom de Dieu ?»


 
Comment avez-vous découvert la littérature de James Baldwin ?
À l’époque du lycée, en Floride. J’étais amoureux d’une fille un peu plus âgée que moi, et mille fois plus attirante et charismatique que je ne le serai jamais… Le gros souci, c’est qu’elle était clairement la superstar du lycée. Par je ne sais quel miracle, j’arrive à sortir avec elle. Sauf qu’à cette époque, j’étais sans doute immature. Donc, assez vite, elle me largue sans me laisser le moindre espoir qu’on se remette ensemble. On est restés en bon terme malgré ça. Et je me souviens parfaitement qu’à cette époque, elle me faisait souvent remarquer que j’étais un peu trop gamin. C’est là qu’elle m’a conseillé de lire James Baldwin et qu’elle m’a offert La Chambre de Giovanni. Et elle avait raison : lire ces mots tellement fiévreux a contribué à m’ouvrir plein de nouvelles perspectives et de nouvelles passions. Ça m’a rendu plus solide et ça m’a sans doute décidé à vivre ma vie selon les termes que je m’étais fixés. Baldwin, c’est aussi un apprentissage de l’indépendance. J’ai creusé en lisant Un autre pays, principalement, et à la fac de cinéma, j’ai découvert ses écrits cinéphiles et critiques, The Devil Finds Work (récemment édité en version française sous le titre Le diable trouve à faire, par Capricci, co-éditeur de Sofilm, ndlr). Si Beale Street pouvait parler, je l’ai découvert plus tard, en 2008 ou 2009, grâce à des amis.
 
Vous comprenez comment cet auteur, un peu souterrain il y a encore quelques années, est redevenu une des voix fortes de la communauté afro-américaine aujourd’hui ?
Deux phénomènes expliquent ça. Pour être brutalement honnête, je dirais : c’est ce putain d’Internet. James Baldwin a connu sa renaissance grâce à toutes ces vidéos d’interviews sur lesquelles vous pouvez cliquer. Même si vous n’êtes pas coutumier de sa littérature, vous pouvez ressentir quelque chose de très attirant en le regardant se raconter dans un programme comme le Dick Cavett Show. Il a ce magnétisme, cette force de conviction… Putain, oui… Ensuite, les problèmes que connaît la communauté noire aux États-Unis ces dernières années font ressurgir Baldwin. Le racisme policier, la paupérisation, les erreurs judiciaires, ce ne sont pas des choses qui se sont envolées avec sa mort. Un mouvement comme Black Lives Matter fait ressurgir les écrits de Baldwin. Un documentaire comme I Am Not Your Negro (Raoul Peck) fait résonner la voix de Baldwin. La liste est infinie… Mais le plus intéressant, c’est qu’aujourd’hui, plein de personnes recommencent à s’exprimer en tant que membres de cette communauté noire. J’ai l’impression que le soi-disant terrain commun entre tous les Américains, le discours de Barack Obama, « Yes we can, nous sommes une nation unie. Marchons ensemble, vers le changement », semble décalé actuellement. On peut être intégré parfaitement à l’Amérique tout en affirmant une appartenance très forte à la communauté noire.

« On peut être intégré parfaitement à l’Amérique en affirmant une appartenance forte à la communauté noire. »
 
Cette appartenance, c’est quelque chose qui vous travaille plus aujourd’hui qu’à la sortie de Moonlight ?
En un sens oui. L’Amérique a changé. Une partie de la population est pointée du doigt par les gens qui nous dirigent aujourd’hui. Même si j’ai gagné un oscar je fais partie de cette population que l’on montre du doigt. Époque différente, pays différent… J’ai mis du temps à m’en rendre compte, mais mon travail en tant que réalisateur, c’est le travail d’un homme noir. Que je le veuille ou non, mes films résonnent plus fort au sein de la communauté de cinéphiles noirs. Pour autant, ça ne me donne pas de mission, ni de rôle de porte-parole au sein de ma communauté d’origine. Je ne suis pas, et je ne veux pas devenir le cinéaste afro-américain qui envoie des messages aux Noirs américains. Ma sensibilité est implicite. Pas la peine de forcer le trait ou de me caricaturer, car il y aurait le risque de ressembler au Noir que les Blancs imaginent que nous sommes tous. Comme le disait Monsieur Baldwin : « Je n’écris pas pour aliéner ma communauté. » Pour en revenir à Beale Street, je vous assure qu’il y a plein de détails dans ce film que vous comprenez mieux si vous êtes Afro-Américain et que vous connaissez cette histoire. Je dis souvent que ma cinéaste préférée, c’est Claire Denis, et je le pense sincèrement, mais je sais aussi qu’il y a beaucoup de petites choses dans son cinéma à côté desquelles je passerai jusqu’à la fin de ma vie car je ne suis pas une femme française.
 
Vous disiez ne pas vous donner de mission. Mais le fait de réaliser des films en vous basant sur votre expérience d’Afro-Américain pourrait déjà être une mission.
Vous avez raison. En tant que cinéphile, j’ai été façonné par un imaginaire blanc. J’ai été le témoin de centaines d’histoires entre un Blanc et une Blanche ou un mec et une fille de Hong Kong dans le cas de Wong Kar-wai. Inconsciemment, cela a dû redéfinir la façon dont j’ai embrassé et flirté pendant ma jeunesse. Je ne vais pas vous l’apprendre, mais la majorité des films auxquels nous avons accès sur grand écran, en DVD ou en téléchargement sont des longs métrages réalisés par des Blancs avec des premiers rôles tenus par des acteurs blancs. Depuis le plus jeune âge, je suis conditionné par ce système à entrer en empathie avec des problèmes qui ne sont pas ceux de ma communauté. Je ne m’en plains pas, car cela a fait de moi un homme qui aime aller vers les autres, leur parler, les comprendre, ressentir leurs joies ou leurs douleurs. Maintenant, je trouve quand même que le déséquilibre est criant entre ce cinéma majoritaire et un cinéma qui raconterait des histoires fortes, mais avec une porte d’entrée « noire ».
 
Cela a une conséquence selon vous sur les tensions raciales qui peuvent encore s’exercer aujourd’hui aux États-Unis et ailleurs ?
Bien sûr que cela a un impact. Quand vous représentez un humain dans toute sa complexité, mais sans gommer ses particularismes, vous repoussez la peur et les stéréotypes. À cause de cette très faible représentation des Afro-Américains au cinéma, les Blancs peuvent moins entrer en empathie avec les Noirs que le contraire. Le cinéma et la télévision ne vous donnent pas les moyens de nous aimer. Donc, je vais vous rendre un service : je vais par mon cinéma vous donner les moyens d’entrer en empathie avec nous. Et comme l’Académie a récompensé ce projet en décernant une statuette à Moonlight, je vais continuer dans ce sens. Longtemps. Bon, dans un sens, je vous ai dit des conneries tout à l’heure : je suis un peu en mission (sourire).


 
L’énorme succès d’un film de super-héros comme Black Panther doit vous réjouir.
Je vais vous raconter un souvenir. Quand j’étais gamin, élevé dans les cités HLM de Floride, j’ai découvert 2001, l’Odyssée de l’espace et je ne m’en suis évidemment pas remis. Je n’étais pas un spécialiste de science-fiction et mon quotidien, c’était plus les dealers qui se tiraient dessus pour un oui pour un non et les toxicos. Pourtant, j’étais émerveillé au sens premier du terme. Ça a déclenché mon envie de faire du cinéma, et ça a nourri toute ma vie. Maintenant imaginez la même scène, mais avec un gamin pauvre et blanc qui grandit dans une ferme du Kansas. Le gamin pauvre découvre Black Panther et que se passe-t-il ? Eh bien, il vit, lui aussi, une épiphanie de cinéma. Je suis persuadé que cela va énormément changer les choses pour notre société.
 
Assiste-t-on selon vous à la naissance d’une vraie diversité de cinéastes afro-américains aujourd’hui ?
Je pense sincèrement que oui, et le grand tournant se trouve dans le fait que tous ces réalisateurs n’ont rien à voir les uns avec les autres. Ava DuVernay ne conçoit pas le cinéma, comme je le conçois, Ryan Coogler est différent, Jordan Peele ne fera jamais du Spike Lee et vice-versa… La liste pourrait être très longue. Et puis il y a les chiffres. Quand Black Panther génère 8 milliard de dollars au box-office mondial, tout le monde relève la tête. Pareil quand Get Out fait 300 millions. Et vous savez le mieux ? Nous commençons même à nous filer des coups de main, comme c’est le cas quand Jordan Peele, un des grands gagnants du cinéma actuel, pousse pour que BlacKkKlansman de Spike Lee soit produit. Pareil quand Ava DuVernay gagne assez d’argent avec Un raccourci dans le temps et le réinvestit dans une série où elle n’engage que des réalisatrices. Quand je regarde le futur, je vois Jordan, Ava et Ryan. On ne va pas s’arrêter là. En 1963, est sorti un documentaire autour de James Baldwin qui s’appelle Take This Hammer. La caméra le suit dans les quartiers pauvres de San Francisco. À un moment, Baldwin s’arrête. Il se met à parler avec les gamins de la rue. Ils n’ont rien, ne croient à rien, se sentent abandonnés de tous, et Baldwin leur explique de façon très rationnelle : « Même dans ce pays, il y aura un jour un président noir. » Les gamins le regardent et se marrent : « Jamais de la vie, ce genre de connerie n’aura lieu, bro’. » Baldwin ne se démonte pas et leur répond : « Vous ne pouvez pas dire ça. Bien sûr, l’Amérique ne nous ressemblera jamais totalement, mais nous aurons quand même un président noir. Si vous pensez que ce n’est pas possible, vous vous mettez d’ores et déjà dans la position du vaincu. » Et il avait raison. En 1963, Baldwin avait raison… Propos recueillis par J-V. C. – photo de Barry Jenkins : © Getty Images