L’ESPRIT SACRE de Chema García Ibarra
Dans une Espagne semi-aride, une association de passionnés d’ufologie perd subitement son président-gourou dont les mystérieux projets pour l’humanité incombent à l’un de ses maladroits disciples, tandis qu’une petite fille disparaît étrangement des radars. Entre comédie de mœurs azimutée et science-fiction fauchée, ce premier long sonde avec finesse l’ambivalence des croyances collectives.
Venu du court métrage, Chema García Ibarra ne sera assurément pas taxé d’avoir choisi la facilité pour son passage au format long. Teinté d’une délicatesse déglinguée, L’Esprit sacréne ménage pas son spectateur, l’emmenant résolument aux confins d’un monde malade. Le cinéaste plante son décor dans sa ville d’origine, Elche, dont il dresse le portrait avec une tendresse mordante qui évoque les récents élans burlesques de Bruno Dumont. À l’instar de son « homologue » flamand, l’Espagnol dirige essentiellement des acteurs non professionnels aux gueules improbables et à la cinégénie incontestable, au service d’un scénario fluide semblant s’écrire au fil des séquences, jusqu’à un ultime retournement de situation que l’on se gardera de dévoiler. Anti-héros puéril, touchant et dérangeant malgré lui, le personnage central José Manuel incarne à lui seul la complexité d’une certaine tranche de la population exposée aux théories du complot et autres dérives éthico-idéologiques, facilement manipulable par manque d’instruction mais dont la sincère volonté de bien faire la dédouanerait presque. Il personnifie cette frontière fine et dangereuse entre ignorance et ignominie. L’anecdote dit d’ailleurs que l’acteur principal ne connaissait pas la fin du film avant de le voir monté pour la première fois, ayant pu ainsi préserver la naïveté authentique de son interprétation.
Troisième type
En prenant pour prétexte une histoire a priori anodine de rencontre extraterrestre imminente, à coup de saynètes ubuesques (on oubliera difficilement cette reprise lunaire de « Zombies » des Cranberries sublimant une scène de parc d’attractions) et de direction artistique flamboyante, un brin camp, Chema García Ibarra explore les zones grises de la morale. Sa mise en scène méticuleuse lui permet de braquer sans prévenir ses projecteurs sur l’intrusion de l’extraordinaire dans tout ce qu’il y a de plus familier, de mettre en lumière l’irruption discrète de l’horreur dans le regard confus d’une enfant. Sous cet angle, L’Espritsacrés’appréhende comme une relecture sociale et kitsch de l’inquiétante étrangeté freudienne, façon David Lynch propulsé dans les rangs de la classe prolétaire ibérique. Fort de sa singularité esthétique, le film flirte avec le cinéma de genre sans se perdre dans ses citations et assume une conceptualité dénuée de poses arty. Attaché à l’expression d’un réalisme poétique, le cinéaste déroule sa comédie humaine en installant progressivement une sensation de malaise au cœur des paysages à la fois exotiques et désolés de sa région de naissance. Et c’est précisément parce qu’il ne prend jamais parti, y compris lors du dénouement choc de son récit, libérant ainsi le public d’une bonne parole imposée, qu’il évite les écueils des premières œuvres. Armé d’humour noir et de lucidité, Chema García Ibarra photographie l’indiscernable avec l’indépendance et l’instinct des futurs grands.