L’ETRANGE HISTOIRE DU COUPEUR DE BOIS de Mikko Myllylahti

Lors de son second passage à la Semaine de la Critique au printemps dernier, Mikko Myllylahti présentait L’étrange histoire du coupeur de bois (en salles ce 4 janvier), une tragi-comédie en chapka et Moon Boots, mais aussi un joli coup d’essai existentialiste et poétique en provenance des forêts finlandaises.

Parlons peu, parlons lapon. Nouveau venu dans la Scandinavian Connection, Mikko Myllylahti marche sur les pas de Kaurismäki. L’étrange histoire du coupeur de bois narre en deux chapitres les tribulations du bûcheron Pepe (Jarkko Lahti, formidable champion de boxe dans le biopic Olli Mäki, scénarisé par Myllylahti en 2016), indécrottable optimiste ballotté par les vicissitudes de l’existence, dans une petite bourgade à l’extrême nord de la Finlande. Myllylahti prend un malin plaisir à semer la poisse sur le chemin de son Job en chapka : chômage, adultère, dépression, suicide, etc. Le lot de tout autochtone lessivé par d’interminables soirées jeux de cartes au coin du feu et un Dieu aux abonnés absents. Comment donc croire l’ONU quand elle place encore cette année la Finlande en tête de son classement des pays les plus heureux au monde ? Ce bonheur impossible, la femme de Pepe s’en va le grappiller dans les bras d’un coiffeur d’opérette, triste viatique dans un village où l’on ne s’excite guère que pour la pêche sur glace et la virilité bafouée. Un mineur rongé par une « crise de foi » s’en remet, lui, à un chanteur médium, prophète de foire doublé d’un prédicateur bouffon. Mines impassibles, personnages peu diserts et humour à froid enserrés dans de sublimes cadrages au cordeau : pas de doute, Mikko Myllylahti a bien révisé son petit Kaurismäki illustré (en plus de lorgner chez Buster Keaton et Robert Bresson). Ce plaisir de cinéphile qui flatte la rétine cache pourtant en son cœur un tout autre film. Soldée par une intrigante ascension mystique, l’étrange histoire que nous raconte le jeune cinéaste-poète risque en effet de laisser sur le carreau les amateurs de burlesque minimaliste. Il faut peut-être s’imprégner de philosophie existentialiste pour pleinement apprécier ce petit délice scandinave faussement limpide.

Cimes du désespoir
Sous couvert de raconter deux historiettes teintées de réalisme magique, Mikko Myllylahti entre à grands fracas sur un territoire déjà arpenté par Bergman et Tarkovski avant lui. Une lande de désolation où l’appel désespéré à la transcendance ne trouve pour seul écho que le silence des forêts enneigées. « Sans Dieu tout est néant ; et Dieu ? Néant suprême. » L’aphorisme de Cioran résonne dans ces trois questions débitées machinalement par un ouvrier comme on fredonne une vieille rengaine : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? » Et un ouvrier au chômage de répondre : « Nous sommes ballotés par le destin. Notre vie a un sens pour nous, mais je crains que ça soit une illusion. » Une angoisse métaphysique sourde bouillonne sous le tapis neigeux de cette Woodcutter Story. Projetés dans un monde brinquebalant, les personnages de Mikko Myllylahti n’ont d’autre choix que celui d’exister sans aucun déterminisme mystique (« Où est la sainteté quand on en a besoin ? ») Le choix de déterminer sa vie comme seule garantie du bonheur et de la liberté individuelle ? « Si vraiment l’existence précède l’essence, l’homme est responsable de ce qu’il est », écrit Sartre dans L’existentialisme est un humanisme. C’est peut-être le secret caché dans la béatitude de Pepe, le genre d’homme à voir toujours le verre à moitié plein. Un bûcheron qui ne se coupe pas les cheveux en quatre pour comprendre la grande équation de l’univers. Sur les cimes du désespoir, Pepe ne renonce jamais à retrouver la moindre étincelle de vie. À l’écran, des surgissements fantastiques, lointaines réminiscences d’un certain cinéma de genre avec lequel flirte discrètement Mikko Myllylahti. Ainsi d’une voiture en flammes qui renvoie à la Christine de John Carpenter, ou à ce mystérieux cochon sauvage, cousin finlandais du Razorback de Russell Mulcahy. L’étrange histoire du coupeur de bois se mue peu à peu en cauchemar biblique jusqu’à une coda énigmatique dont le film renferme la clef. Nous voilà cueillis !