FABCARO : « Je pourrais tuer quelqu’un qui rentre pendant le générique »

Avec la BD Zaï zaï zaï zaï (dont l’adaptation par François Desagnat est actuellement en salles), road-movie à pied absurde et grinçant, Fabrice Caro aka Fabcaro est devenu l’un des hommes les plus drôles de France, adulé par les meilleurs – de Blanche Gardin à Alain Chabat. Ce grand amoureux des figures lunaires et poétiques raconte sa cinéphilie vécue comme une longue traversée en solitaire, naviguant à vue entre Pierre Richard, Retour vers le futur et Coup de foudre à Notting Hill.

Le héros du Discours déprime à 30 ans chez ses parents devant Le Gendarme de Saint-Tropez. Ce ne sont pas des bons souvenirs, les films du dimanche soir à la télé ?
Ah, non, je ne suis pas traumatisé ! C’était le sacro-saint film du dimanche soir et le mardi soir, La Dernière Séance, présentée par Eddy Mitchell. J’ai des super souvenirs de comédies populaires. C’était les années 70 et il y avait toujours une deuxième lecture sociale derrière, une espèce de critique de la société de consommation… Le Gendarme, ça a mal vieilli mais De Funès, qui était associé à une culture plus beauf, a été un peu réhabilité. Pierre Richard, aussi, j’aimais bien. Son duo avec Depardieu fonctionnait à mort. Après, Francis Veber a essayé de reproduire ça plusieurs fois mais ça n’a jamais été égalé. Et puis, Pierre Richard, c’est un personnage attachant en soi. Ça amenait quelque chose de poétique et de burlesque, ce qui n’est pas si courant dans les comédies françaises. On a un peu perdu ça, je trouve. Maintenant, les grosses comédies françaises sont très calibrées et on a perdu en expérimentation, en poésie…

Une fois que tu aimes un acteur, tu le suis de près pour longtemps ?
C’est vraiment par période. Quand j’étais plus jeune, j’avais un goût pour les acteurs avec un jeu plus extraverti comme Depardieu, De Niro, même Luchini. Je connaissais La Discrète par cœur ! Je suis passé complètement à côté d’autres acteurs avec un jeu plus intériorisé, comme Trintignant et Mastroianni. Je me disais : « Mais pourquoi les gens aiment-ils ? Ils ne jouent pas ces mecs… » C’est venu avec l’âge et en les revoyant dans des rôles plus vieux, comme Trintignant dans Regarde les hommes tomber, d’Audiard et surtout dans Ceux qui m’aiment prendront le train,de Chéreau. Là, j’ai eu une révélation et j’ai revu quelques films. Et quand j’aime bien un acteur, je creuse. Alors je me suis fait un tas de bio de Trintignant et Mastroianni. Même quand je bosse, en fond, souvent je me mets des interviews. J’adore les interviews de Godard, je crois que je me les suis toutes faites. J’adore Godard, mais je crois que je le préfère à ses films. J’ai dû en voir trois ou quatre, ce n’est pas énorme…

Jean-Louis Trintignant dans Ceux qui m’aiment prendront le train (1998)

Et Blier ?
J’adore, notamment Les Acteurs, qui est hyper expérimental. C’est un de mes films cultes. Il s’est permis des libertés folles dans ce film. Les acteurs jouent leur propre rôle mais à un moment Balasko peut jouer le rôle de Dussollier. Rien que pour ça, Blier est un génie. On n’a jamais été aussi loin dans l’expérimentation avec les acteurs. Aussi, Blier a su rester vert. Avec l’âge, il aurait pu s’assagir mais il a gardé cette folie qui manque un petit peu au cinéma français. Parce qu’avoir des idées à la con, tout le monde en est capable, mais les tenir sur un film entier, c’est autre chose.

Tu aimes encore découvrir les films en salles ?
Je ne devrais pas dire ça dans un magazine de cinéma, mais j’ai du mal à aller en salle. Parce que j’ai du mal à partager le visionnage d’un film avec quelqu’un d’autre. Pour moi, c’est un plaisir solitaire. Il y a des films comme Au poste ! ou En liberté ! que j’ai très envie de voir, mais je me dis : « Bon, je vais attendre le DVD… » C’est idiot… J’ai un côté un peu stalinien, un peu puriste : je ne supporte pas les gens qui regardent leur portable et je pourrais tuer quelqu’un qui rentre pendant le générique. La meilleure façon pour moi d’apprécier un film, c’est quand je suis seul et que personne ne me parasite. C’est comme si je lisais un roman et que quelqu’un regardait par-dessus mon épaule, tu vois ?

En tant que dessinateur de BD, est-ce que tu portes une attention particulière à la façon dont les films sont montés, cadrés, etc. ?
Oui, mais pas tant sur les plans, je suis plus critique sur le rythme. En France, on a une culture assez grosse cavalerie avec un déroulement et une chute. Quand je regarde des comédies, je me dis : « Quel gâchis, il aurait pu couper et laisser le truc en suspens. » Parfois, ça rate de peu. Je trouve qu’on se veut trop explicatif, on prend le spectateur par la main, en lui disant : « Tiens, c’est là qu’il faut rire. » Moi, je le vois en BD : c’est important les silences, les cases vides… C’est vraiment une histoire de rythme. L’humour, c’est de l’horlogerie, donc ça ne tient à rien. Moi j’aime bien qu’on me prenne de court et être perdu. Un cinéma burlesque dont tu n’as pas forcément tous les codes, mais ça marche. Quand je regarde un Dupieux, je ris parce que je perds mes repères. Réalité, en un sens, c’est du Lynch burlesque.

Laura Dern et David Lynch sur le tournage d’Inland Empire (2007)

Lynch, tu es très fan aussi ?
Oui, c’est comme en peinture, moi j’aime bien quand tu ne comprends pas, mais quand ça te happe. La trilogie Lost Highway – Mulholland Drive – Inland Empire, je ne comprends rien. Surtout Inland Empire, que j’ai vu plusieurs fois, toujours comme je regarderais un Picasso. Bon, je ne le revois pas tous les jours, faudrait être malade ! J’ai tapé sur Internet « analyse Inland Empire » et j’ai trouvé un mec qui avait fait trente pages là-dessus. Je me suis fait violence pour ne pas aller lire parce que je veux rester dans la magie du truc. J’ai eu le malheur d’aller lire des choses sur Mulholland Drive et ça casse un peu le regard sur le film. Après, je peux aussi adorer Retour vers le futur. Pour moi, c’est un chef-d’œuvre, mon premier choc. Je me suis identifié à mort au personnage de Michael J. Fox. Ça a été ma première idole de cinéma. J’étais ado, je jouais de la guitare… Les scénaristes ont été super malins parce que c’était l’époque des débuts de l’ordinateur et on commençait à en voir partout, typiquement dans Wargames. Mais dans Retour vers le futur, il n’y a aucun ordinateur : la machine à remonter le temps, c’est une vieille voiture, l’atelier du doc, c’est que des trucs de bricolage… Du coup ça n’a pas vieilli par rapport à ces autres films des années 80 avec des gros ordinateurs au milieu. Mine de rien, c’est aussi une histoire assez transgressive et œdipienne, parce qu’il y a quand même la mère qui tombe amoureuse de lui ! En tout cas, je pense que le cinéma m’a influencé autant que la BD ou le roman. Ça tient aussi à ma façon de travailler, parce que je travaille dans le désordre. Zaï zaï zaï zaï, je ne l’ai pas écrit chronologiquement, je l’ai ensuite monté pour que le rythme soit bon, j’ai aussi coupé des séquences que je trouvais drôles isolément mais qui cassaient un peu le rythme. Donc, c’est en ça que j’ai une manière plutôt cinématographique de travailler, c’est très séquentiel.

Tu as fait des rencontres marquantes dans ce petit milieu du cinéma ?
Oui, énormément. Bêtement, je me disais que les auteurs de BD lisent de la BD, les romanciers du roman… Et je me suis aperçu que non, il y a énormément de réalisateurs fans de BD. Podalydès est venu me voir à Angoulême, il tenait absolument à me rencontrer, du coup on est restés en contact. Laurent Tirard aussi. Alain Chabat aussi. J’ai réalisé que c’était assez poreux, tout ça, en fait.

Retour vers le futur (1985)

Et tu n’as jamais voulu réaliser ?
Depuis Zaï zaï zaï zaï, des producteurs et des réalisateurs m’ont contacté pour que j’écrive. Écrire du scénario, pourquoi pas, mais quand on m’a proposé de réaliser, ça m’a semblé titanesque. Déjà, je ne sais même pas faire une photo avec mon appareil photo… M’imaginer en train d’essayer d’imposer ma vision à des acteurs, de gérer toute une équipe… Je n’ai pas le tempérament, je suis assez timide, je n’ai pas l’âme d’un leader. C’est aussi que je me connais, je sais très bien que je lâcherais sur un tas de trucs, je ferais des concessions et au final j’arriverais à un truc qui ne me ressemblerait pas.

Qui est le roi ou la reine de l’humour aujourd’hui selon toi ?
Blanche Gardin, j’adore. Elle arrive à sortir des trucs hyper trash en tenant son micro, comme ça, avec ses airs de petite fille. Ça crée un super décalage. Là, j’ai vu qu’elle se faisait un petit peu chambrer parce qu’elle avait une histoire d’amour avec Louis C. K., moi j’ai du mal avec cette polémique. Elle se fait assassiner par les féministes, la pauvre… Mais elle l’idolâtrait, c’était son dieu, donc moi je trouve ça assez joli comme histoire, qu’elle finisse avec lui…

Entretien paru dans Sofilm n°66 (décembre 2018)