Fainéant.es de Karim Dridi

« Assisté.es », « sans-dents », « ceux qui ne sont rien ». Ou « fainéant.es », donc. Il n’y a pas eu besoin d’une énième réforme de l’assurance chômage pour que les noms d’oiseaux arrosent celles et ceux qui ne rentreraient pas dans le moule de la France qui travaille, se démène, et traverse volontiers la rue pour trouver du boulot, elle. Au mot « marginalité », Karim Dridi préfère celui d’ « alternatif ». Par Amelia Dollah.

Les mots ont leur importance : c’est bien une autre conception de la liberté de vivre qui agite le moteur de Nina et Djoul, les deux protagonistes en voyage permanent à bord de leur fourgon aménagé, se nourrissant des invendus trouvés dans les poubelles des supermarchés ou d’une pizza généreusement offerte par un commerçant sensible à la galère. « J’emmerde le soleil. Je l’emmerde au possible. Rien à foutre », explose Djoul lorsque son amie entend se sédentariser dans un coin du Sud où elles ont trouvé du travail. Ce rejet d’une existence confortable avec « de l’eau, de l’électricité, un patron », sans doute faut-il oser le vivre pour le comprendre. Il a bien fallu près de trois ans de repérages et d’immersion auprès de ces personnages pour que Karim Dridi parvienne à capter sans jugement les pérégrinations de ses héroïnes.

Femmes au volant

Fainéantes, Djoul et Nina ? Pas vraiment. Elles aussi triment, dans les vignes ou à l’usine, quand il le faut ou quand elles le veulent, avant de reprendre leur fuite. Pas immobiles non plus, puisqu’elles ne font pas « rien » (le mot « fainéant » vient du rapprochement entre « faire » et « néant »). Filmées en Scope, les deux copines voient du pays, et nous avec elles, sous la lumière de l’aube ou du crépuscule, par tous les temps, pluie, neige ou brouillard. Elles font la fête. Lancent des pavés aux CRS. Jouent de l’accordéon en reprenant du Colette Magny, connue pour avoir chanté les luttes sociales depuis les années 60. Rendent une courte visite à la famille laissée derrière. Lisent. Délibèrent, même. Drôle de scène que celle où le collectif de leur squat se réunit pour déterminer si oui ou non, une teuf s’organisera en l’honneur du pote Gribouille, qui passera bientôt l’arme à gauche. Preuve que même dans ce qui semble être l’anarchie, l’organisation et la solidarité trouvent leur chemin. 

Pour dénicher Faddo Jullian (Nina), « .jU. » (Djoul) et les autres, Karim Dridi a repris sa formule habituelle : des acteur.ices non professionnel.les formé.es lors d’ateliers de comédie avec le réalisateur, qui tricote son scénario en parallèle, cette fois-ci avec l’aide d’Emma Soisson, co-scénariste et productrice du film. La méthode avait déjà fait ses preuves dans Chouf ou Khamsa, et convainc encore dans Fainéant.es, porté par un duo de femmes fortes et surprenantes de justesse dans cette première à l’écran. Surtout, Djoul/« .jU. » et Nina/Faddo sont belles. Disons-le honnêtement : sans la caméra de Dridi, peut-être que nous n’aurions jamais vu leur beauté. Le regard posé sur elles, tant il est bienveillant, en est presque politique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le film a remporté le Grand Prix du festival de cinéma queer Écrans Mixtes, présidé cette année par Sébastien Lifshitz. Car si les spectateur.ices et autres gens bien sous tous rapports retiendront une leçon de cette balade inclusive, c’est que la liberté appartient à celles et ceux qui choisissent leur propre route, même hors des sentiers battus.

Fainéant.es, en salles le 29 mai.