Festival Même pas peur (jour 1) : un cyclone, un volcan et de l’horreur à toutes les sauces
Du 22 au 25 février a lieu la 13e édition du festival fantastique Même pas peur à La Réunion. Compte-rendu au jour le jour.
Vous êtes un cinéphile parisien, invité à couvrir un festival de cinéma fantastique à quelque 11 000 km de chez vous. À Roissy–Charles-de-Gaulle, vous prenez l’avion, direction Saint-Denis, capitale de La Réunion. L’avion part avec quatre heures de retard car un cyclone terrifiant, le bien nommé Freddy, qualifié de « monstre » par Météo France, menace de ravager l’île. Quand vous décollez de Paris, l’aéroport d’arrivée est encore fermé, le temps que Freddy aille voir ailleurs, par exemple à Madagascar, où il a fait depuis plusieurs victimes. Onze heures plus tard, vous voilà à destination, avec trois heures de décalage horaire et vingt degrés de décalage climatique. Vous tombez la doudoune, embarquez dans une voiture de location et traversez l’île du nord au sud pendant une bonne heure et demie, passant Sainte-Marie, Sainte-Suzanne, Saint-André, Saint-Benoît, Sainte-Anne. Votre terminus est un autre saint : Saint-Philippe, 5 000 habitants, coincé entre le littoral et surtout le piton de la Fournaise, un volcan non seulement actif mais qui trône au premier rang mondial par la fréquence de ses éruptions – le paysage alentour, semé de roches volcaniques et de coulées de lave où pousse malgré tout la végétation, en témoigne abondamment. C’est là, dans le sud sauvage de l’île, que s’ouvre, ce mercredi 22 février, la 13e édition du festival Même pas peur qui lui aussi, décidément, porte bien son nom.
Les cyclones, et avec eux la menace d’une panne d’électricité, ne sont pas rares à cette saison dans la région. On a appris à vivre avec. Ce qui n’est pas rare non plus, ce sont les remarques du type : un festival dans le sud de l’île, pour quoi faire ? Vous ne voulez pas faire ça à Saint-Denis plutôt ? Il a fallu batailler pour imposer le choix de Saint-Philippe, et la lutte n’est toujours pas définitivement gagnée. Depuis 13 ans, la remarque revient inlassablement, avec la même régularité que les vagues qui fouettent la côte déchiquetée du cap Méchant, à quelques pas de votre bungalow. Aurélia Mengin, la fondatrice du festival et par ailleurs, c’est notable, première femme cinéaste réunionnaise, tient bon. Même pas peur a germé un jour de 2009, lors d’un déjeuner au restaurant avec Olivier Rivière, le maire de Saint-Philippe, et Jackie Berroyer, qui tournait alors dans un court métrage d’Aurélia. Le nom est venu comme ça, entre la poire et le fromage. « Même pas peur », comme un défi, comme on dirait : « Cap ou pas cap ? » Cap ou pas cap, à 29 ans, de lancer un festival de cinéma de genre dans le sud de La Réunion, à une centaine de kilomètres du centre économique et culturel de l’île ? Le maire pose une seule condition : la gratuité pour tous, afin d’attirer les spectateurs locaux vers des films différents, en marge du tout-venant, parfois pointus. Et ça marche. En une grosse décennie, Même pas peur a rassemblé un groupe de fidèles, que vous pouvez croiser à la sortie de la soirée d’ouverture. Le festival tient son cap, malgré les embûches qui se dressent invariablement et qui transforment chaque nouvelle édition en petite aventure épique, avec son lot de contrariétés, de craintes, d’emmerdements de dernière minute (l’an dernier encore, alors que la « métropole », comme on dit, avait retrouvé une vie à peu près normale, le couvre-feu toujours appliqué sur l’île avait imposé de décaler toutes les séances pour finir avant 21h et laisser aux spectateurs le temps de rentrer fissa chez eux).
Comme en écho au métissage si caractéristique de l’île, la programmation est variée, éclectique, brassant les formats (courts et longs métrages), les nationalités, les genres, les tons. Cette année, 24 pays sont représentés, d’Andorre au Rwanda en passant par la Lituanie. Lucile Hadzihalilovic (Earwig) y croise Ti West (X), l’expérimental succède à l’animation, un enfant-salamandre partage l’affiche avec des zombies taïwanais. Il y en a pour tous les goûts, ou tous les dégoûts, si on n’a pas le cœur bien accroché. La soirée d’ouverture donne le la : un programme de six courts métrages qui joue sur les contrastes, souffle le chaud et le froid, la couleur et le noir et blanc, le rire et le malaise.
Deux films en particulier retiennent votre attention. Growing de la Polonaise Agata Wieczorek (armée d’un beau CV : le Fresnoy et l’école de cinéma de Lodz, entre autres), grand prix il y a quelques mois au festival Court Métrange, joue la carte de l’horreur clinique, un peu façon Cronenberg. Clinique est bien le mot : on y suit le personnage trouble d’Ewa, apprentie sage-femme qui s’exerce aux gestes de l’accouchement sur des sortes de mannequins robotisés, avant de se découvrir elle-même enceinte, d’un bébé qu’elle ne désire pas, dans une société qui ne veut pas lui laisser le choix – ça finit mal. Sous le conte horrifique glacé se profile une charge contre les lois anti-IVG revenues en force en Pologne, comme ailleurs dans le monde, ces dernières années. Si la fin (le basculement dans l’horreur) est assez attendue, Growing séduit par sa manière de faire sourdre l’inquiétude à partir d’éléments documentaires (il a été tourné dans une véritable unité de simulation médicale à Lille, et les mannequins en silicone sont réels).
A l’opposé de ce film plutôt mutique, Stuffed du Britannique Theo Rhys a conclu la soirée en fanfare, ou du moins en musique. Une taxidermiste d’âge mûr, lasse d’empailler des animaux, rêve de faire la même chose à un cobaye humain volontaire, qu’elle finit par trouver sur Internet : un homme d’âge mûr lui aussi, inquiet de voir son physique s’affaisser, ses rides se creuser. Comme si le pitch n’était pas en lui-même assez excentrique, le film enrobe le tout d’un vernis de comédie musicale gothique. Il fallait y penser : le genre par excellence du mouvement, de l’exaltation de la vie, de la joie d’avoir un corps pour chanter et danser, au service d’un récit guetté par la mort, pire, l’immobilisation totale, définitive, les traits et les gestes figés à jamais. Stuffed est aussi une comédie romantique assez tordue, un boy meets girl funèbre et grinçant. De quoi faire de beaux rêves en attendant le programme du lendemain.