Festival Même pas peur (jour 2) : des statues, un perce-oreille et des cyber-pirates rwandais

Du 22 au 25 février a lieu la 13e édition du festival fantastique Même pas peur à La Réunion. Compte-rendu au jour le jour.

On l’a échappé belle. Freddy, le fameux cyclone, n’aura fait qu’effleurer de ses griffes l’île de La Réunion, contrairement à Madagascar où le bilan est franchement chargé (7 décès, 78 000 sinistrés et 22 000 déplacés). Rentré d’ores et déjà dans l’histoire de la météorologie par sa durée et son intensité, le monstre tropical est loin désormais, en route vers le Mozambique à qui l’on souhaite bon courage. A Saint-Philippe, la peur a quitté les côtes pour se réfugier sur l’écran, dans la petite salle communale Henri Madoré où ont lieu toutes les projections du festival. Ce jeudi 23 février, les séances commencent dès l’après-midi pour une armada de collégiens venus assister à un programme hétéroclite de courts métrages. La capacité de la salle (200 places) étant vite atteinte, il a fallu rajouter des chaises. Certains s’assoient sur les marches. On avait un peu oublié l’ambiance d’une séance scolaire, ce sentiment d’une surréaction collective à tout – à l’ennui, à la peur, aux gags, à la moindre évocation de la nudité (fût-ce celle d’une simple statue de pierre). Ça murmure dans des coins, ça bavarde bruyamment, ça hurle d’effroi, ça roupille, ça part aux toilettes toutes les 5 minutes. Comme à Cannes, on mesure l’intérêt porté à chaque film à l’applaudimètre lors du générique de fin. A ce petit jeu, c’est L’Enfant salamandre de Théo Degen qui sort gagnant, probablement parce qu’il agit comme un miroir des angoisses de l’adolescence : l’histoire d’un garçon introverti, rejeté par ses camarades, qui pense pouvoir communiquer avec les morts. Un beau film sur le deuil, dédié au père du réalisateur, qui touche particulièrement Aurélia Mengin, la directrice du festival, dont le propre père est décédé il y a une semaine, alors qu’il restait tant à faire jusqu’à la soirée d’ouverture. Vincent Mengin-Lecreulx, artiste et fondateur, avec son épouse Roselyne, du Lieu d’Art Contemporain, était une figure bien connue des Réunionnais, saluée comme il se doit par tout ce que l’île compte de personnalités politiques, du préfet aux différents maires du coin. Son ombre plane sur le festival, jusqu’à l’entrée de la salle Henri Madoré où trône désormais sa dernière sculpture, Eruption de poissons pétrifiés. Sur scène, chaque jour, l’écran géant descend en recouvrant lentement trois autres sculptures, éclairées par des projecteurs, qui représentent les footballeurs préférés de l’artiste (dont les légendes Just Fontaine et Raymond Kopa). Durant quelques instants, avant que la salle ne plonge dans le noir, on distingue encore leurs silhouettes en transparence, fantomatiques, tels des esprits tutélaires.

© Pablo Mengin

Le programme du jeudi soir donne un bon aperçu de l’exigence des choix d’Aurélia Mengin, qui ne craint pas d’effaroucher son public d’habitués. Après une séance de courts métrages à 19 h, on enchaîne avec Earwig de Lucile Hadzihalilovic, déjà sorti en métropole, sorte de lent film-cauchemar aux tableaux soigneusement composés, où l’on se laisse porter sans trop chercher à comprendre (le mystère rôde partout, et jusque dans le titre, « Perce-oreille » en français) ; puis, un peu avant minuit, avec une authentique bizarrerie : Neptune Frost du duo Saul Williams et Anisia Uzeyman, qui ressemble un peu à ce que pourrait produire l’intelligence artificielle ChatGPT à qui l’on aurait confié la tâche d’écrire un scénario à partir de mots-clés aléatoires (comédie musicale + afro-futurisme + queer + anticapitalisme + cyber-pirates + Rwanda). C’est foutraque, séduisant par endroits et exaspérant à d’autres, parfois ingénieux et parfois très cheap. Vers la fin, c’est surtout un peu long. On s’étonne encore plus en apprenant à la sortie que Lin-Manuel Miranda, l’un des grands manitous de la comédie musicale à Broadway et à Hollywood, en est le producteur exécutif, et que Neptune Frost a eu les honneurs d’une sélection à la Quinzaine des réalisateurs en 2021, avant une sortie dans les salles françaises prévue en mai.

Neptune Frost

Deux objets étranges et difficiles, donc, en attendant les réjouissances du week-end, davantage porté sur le divertissement grand public avec du slasher à l’ancienne et du film de zombie bien gore. Même pas peur n’a pas fini de nous réserver ses surprises.