Festival Même pas peur (jours 3 et 4) : des rires, du sang et des larmes

Du 22 au 25 février a lieu la 13e édition du festival fantastique Même pas peur à La Réunion. Compte-rendu au jour le jour.

Une chose ne laisse pas de surprendre au festival Même pas peur : chaque soir, on y aperçoit les mêmes têtes, le même noyau dur de spectateurs, d’âges et de profils variés, qu’il s’agisse d’aller voir un film « expérimental » bien perché, une comédie grinçante, un programme d’animation, un slasher ou un film gore. Il y là comme un goût du risque, de la découverte, un désir de voir des choses qu’on ne verrait pas ailleurs. Si la quasi-totalité des films présentés sont annoncés en première ou avant-première réunionnaise, il faut se rendre à l’évidence : la plupart d’entre eux n’ont aucune chance de sortir en salle dans l’île, où l’offre cinématographique est dramatiquement peu variée. Même pas peur est bien souvent l’unique occasion de les voir sur grand écran, en VO sous-titrée (chose assez rare à La Réunion). Alors on se motive, on fait parfois des heures de route, qu’il faudra avoir le courage de refaire en sens inverse à l’issue de la dernière séance (tard : souvent vers une heure du matin), on avale un sandwich entre deux films. Il y a là les fidèles des premiers jours, qui n’ont pas manqué une seule édition depuis, et puis tous ceux qui se sont agrégés au fil des ans, le bouche à oreille aidant. Certains ont même découvert le festival à l’occasion des séances scolaires, telle cette ex-collégienne, aujourd’hui âgée de 20 ans, qui a attrapé le virus du cinéma et va désormais voir tous les films, écrit dessus, synthétise le tout dans de longs mails envoyés à la directrice du festival.

Sick of Myself

A côté des habitués, les deux dernières journées voient aussi débarquer, week-end oblige, un public plus jeune et plus nombreux. Si le programme du jeudi était, on l’a dit, assez ardu, le vendredi donne l’occasion de se détendre un peu (enfin, façon de parler). D’abord avec la comédie satirique Sick of Myself du Norvégien Kristoffer Borgli, présentée à Un certain regard à Cannes 2022, dont le choix peut interroger : s’agit-il d’un film fantastique ? Certes non, à proprement parler. Et pourtant règne, dans ce récit d’une jeune femme dont le narcissisme et le besoin de se faire remarquer la mènent jusqu’à s’empoisonner volontairement, un parfum d’étrangeté, l’impression de vivre un cauchemar éveillé où le pire est toujours à venir. Toxicité du couple, tyrannie des réseaux sociaux, goût du buzz à tout prix : tout cela sonne très contemporain, à l’image de l’univers épuré et aseptisé du film, mais c’est finalement à une version revisitée du genre du body horror que l’on assiste, avec ses corps mutants, défigurés, masqués, bref monstrueux. Par le malaise continu qu’il distille (avec beaucoup d’humour) aussi bien que par ses quelques visions d’horreur, Sick of Myself a bien toute sa place à Même pas peur. Le film suivant, X de Ti West, paraît aux antipodes, sous ses airs de slasher à l’ancienne, et pourtant on ne rit pas moins dans la salle – on rit peut-être même plus. C’est en fait un pastiche très inspiré, qui passe à la moulinette pas mal de classiques de l’horreur (Massacre à la tronçonneuse, Le Crocodile de la mort, Psychose, etc., etc.) avec toujours un petit sourire en coin, mais qui n’en oublie pas d’être réellement inquiétant, réellement terrorisant. Le meilleur du film tient sans doute dans sa première partie, quand la tension s’installe en parallèle du tournage très drôle d’un film X au fin fond du Texas – ensuite, le jeu de massacre entre hippies du porno et rednecks texans peut commencer.

Comment conclure un tel festival ? En beauté, forcément. Passons sur les courts métrages du samedi et la projection, en avant-première, de Tropique d’Edouard Salier. Le clou du spectacle, c’est bien sûr la séance de The Sadness du Taïwanais Rob Jabbaz à 23 h. Voilà un film qui fait parler de lui, qu’on attend de pied ferme. Depuis quelques jours, l’affiche géante accueille les spectateurs à l’entrée de la salle Henri Madoré. On y voit en gros plan, sur fond rouge vif, une belle jeune femme, bouche entrouverte, qui nous lance un regard incertain – on pourrait y lire de la peur, mais aussi plein d’autres choses (de la tristesse ? du défi ?). On pense à Shu Qi se retournant vers la caméra au début de Millennium Mambo. Choix d’affiche audacieux, avec en sus une tagline plutôt sobre (« Un véritable choc », Mad Movies). Car voilà, The Sadness, comme son titre ne l’indique pas, est un bon gros film de zombies. Il suffit d’ailleurs de s’approcher de l’image pour les distinguer, ces zombies, discrètement éparpillés autour du visage de l’héroïne. Quant au rouge qui tapisse le fond, c’est bien sûr celui du sang, un sang qui va couler à flots pendant 1 h 40, au point qu’on pourrait remplir plusieurs piscines olympiques. Juste avant la séance, la présentation du journaliste Marc Godin, de Technikart, annonce la couleur : lorsqu’il est passé l’an dernier à Gérardmer, le film a provoqué à 3 reprises l’intervention des pompiers – âmes sensibles s’abstenir. Dans la salle, ça s’agite. Déjà la veille, certaines scènes un peu trash du X de Ti West ont suscité des haut-le-cœur. Moins de deux heures plus tard, heureusement, aucune victime n’est à déplorer (du moins dans la salle, car dans le film c’est une autre histoire). The Sadness est très gore, certes, mais plutôt amusant, avec une veine satirique bien prononcée. On n’est pas bien sûr de comprendre le pourquoi de ce titre, mais on sait une chose : cette tristesse, c’est un peu la nôtre, alors que le festival se termine et qu’il est temps de quitter le soleil tropical pour retrouver la grisaille parisienne.