GRAND PARIS de Martin Jauvat
Remarqué avec une poignée de courts–métrages tendrement désopilants, l’attachant Martin Jauvat se lance dans le grand bain du long, devant et derrière la caméra, avec Grand Paris (en salles ce 29 mars) : une comédie lunaire sur les aventures improbables de deux potes en grande banlieue. Fantastique.
Laissons un peu les films de banlieue sombres et burnés du type La Haine, Athena ou Les Misérables et prenons l’air du côté de Chelles (77). Ex joyau du club de ping-pong local, Martin Jauvat préfère sans doute les amortis tout en toucher de balle aux smashs de bourrin. En tout cas dans Grand Paris, on retrouve ce qui faisait le sel de ses précédents courts –métrages (Grand Paris étant d’ailleurs l’extension de son dernier, Grand Paris Express, augmenté de 50 min) : l’humour, la tendresse et l’imaginaire pop sont toujours là. Deux potes en vadrouille pour pécho du shit trouvent au gré de leur errance transilienne un caillou étrange niché dans un chantier d’une future station du Grand Paris : l’artefact a-t-il de la valeur ? Date-t-il de l’Égypte antique ? Vient-il d’une autre galaxie ? Peu importe, car entre leurs mains l’objet va se parer de mille micro-récits aux frontières du réel, contés sous la forme d’un « buddy-RER-movie » des plus loufoques.
Rencontres du troisième type
Jauvat tourne ainsi le dos à la grisaille péri-parisienne attendue pour offrir à son tandem d’erratiques banlieusards quelques lignes de fuites poétiques qu’au fond peu de cinéastes, (hormis Brisseau et plus récemment quelques films indés comme Swagger ou Gagarine), daignent leur concéder habituellement : au gré des trouvailles de nos deux archéologues en herbe de Seine-et-Marne, on croisera ainsi la route d’éléments de SF ou de rom’com, de thriller paranoïaque ou d’odyssée spielbergienne, sans que ce patchwork très BD n’entame en rien l’intégrité des personnages. Loin d’être plaqué, le goût du cinéaste pour les références « pop » reste en effet chevillé aux Air Max de nos anti-héros, et dénué de distance ironique. Affublés de jogging rose fluo et de cheveux peroxydés à la Dragon Ball Z, Leslie et Renard ont la dégaine bariolée de la Gen Z : un mix de Mbappé, de Snapchat et de Jul, avec une touche de Harry Potter et d’Inspecteur Gadget. Incarné par Jauvat lui-même, Renard le binoclard alias « @renarddessurfaces sur Snap » a beau surjouer la virilité de petit dealer acnéique devant les filles, il s’assoupira délicatement sur l’épaule de son compère dans le RER. « Trop sensible » de son propre aveu, le grand gentil Renard se fait des films dans la réalité comme sur les réseaux : pour l’immature « cassos » en effet, flirteur maladroit et « moitié algérien » autoproclamé (Leslie n’étant pas dupe), un bout de forêt des Yvelines sous weed vaut bien Le Monde de Narnia. Et quand une fille plutôt mignonne se lance dans un rap improvisé sur la terrasse d’un anonyme pavillon de banlieue, elle vire instantanément « princesse » à ses yeux.
En épousant le point de vue naïf de ce rêveur au bagout généreux, Grand Paris fabrique ainsi de savoureuses poches de poésie dans une réalité finalement peu souvent évoquée au cinéma : les heures vides de ces longs trajets pendulaires en transports vers la banlieue lointaine, ce temps figé dans un entre-deux qu’il s’agit de remplir pour ne pas mourir d’ennui. En faisant de belles rencontres par exemple : les excellents William Lebghil et Sébastien Chassagne (vu dans la série Irresponsable) viennent ainsi faire une apparition désopilante, l’un en livreur de burgers au poulet du futur (« Chicken 3000 »), l’autre en expert nocturne de la théorie du complot se révélant, de jour, contrôleur RATP épanoui. Mais le cœur émotionnel du film pulse avant tout dans la relation amicale contrariée entre Renard et Leslie, délicat reste d’enfance à réinventer. On succombe sans forcer à cette courte bromance mi-Judd Apatow mi-Pass Navigo, fable aussi hilarante que mélancolique dont la morale empruntée à Orelsan, pourrait être : ce qui compte, c’est pas l’arrivée – la fameuse « pierre précise » (sic) – mais la quête. À quoi Renard ajouterait sans doute avec un sourire béat : en chaussettes/claquettes, tu connais !