Greenhouse de Lee Sol-hui

Construit comme les légendes grecques à la punition cruelle et implacable, Greenhouse met en exergue la solitude des personnes âgées et de ceux qui s’en occupent dans un vrai film noir calme et suffoquant, nous questionnant au passage sur notre sens du devoir. Par Quentin Convard.

Érysichthon, Tantale, Œdipe et autres victimes impuissantes face à la volonté des Dieux ou du destin ont aujourd’hui leur digne successeur coréenne : Moon-Jung, l’aide-soignante d’une cinquantaine d’années qui s’occupe la journée d’un couple de personnes âgées (le mari aveugle et la femme atteinte d’une maladie dégénérative, en proie à des crises de paranoïa et de violence). Puis elle rentre chez elle le soir, en périphérie, dans une serre glaciale avec comme seuls compagnons, une poignée de cafard et le doux rêve de trouver un vrai logement quand son fils sortira de sa maison de correction. D’où vient-elle, qui est-elle, que faisait-elle avant ? Là-dessus pas de réponse, le récit se concentre uniquement sur le chemin de croix de son héroïne, où chacune de ses décisions la rapproche inexorablement d’une conclusion tragique et macabre. Et sur ce parcours de l’enfer, on croise pèle-mêle un falot manipulateur, une jeune fille fragile et envahissante rencontrée dans un groupe de parole, une mère démente se mourant dans un Ehpad et un fils adolescent difficile ; tous venant plomber à leur manière l’existence de Moon-Jung. D’une noirceur banale du quotidien, la réalisatrice Lee Sol-hui tire un thriller où, lorsqu’un drame surgit, la solution trouvée par ses protagonistes est un brin surprenante, titillant légèrement, au passage, notre morale commune.

Un Parasite, plus dépouillé

Ici, pas d’effets de manche, ni de musique stressante pour accentuer le suspens. La réalisatrice adopte un ton calme, lent, délicat, sans mise en scène ostentatoire, sans narration compliquée, dans laquelle tous les évènements heureux (il y en a quelques-uns) ou tragiques sont traités à égalité, créant la surprise, accentuant la violence amplifiant le sordide ; une réalisation simple et efficace pour une histoire simple et efficace, en somme. Avec au centre de son récit, la pugnace Moon-Jung campée par Kim Seo-hyung, dont la performance lui a valu d’être primée dans cinq festivals l’année dernière. Tout en retenue, elle façonne par petites touches son visage longuement filmé, lui donnant une multitude de facette, de la timidité à la ténacité, de l’espoir à l’abattement, de la peur à la folie. Reprenant le cadre du Parasite de Bong Joon-ho mais de manière plus dépouillée, le thème du Amour de Michael Haneke mais en déplaçant le curseur et l’amour pour les serres solitaires coréennes du Burning de Lee Chang-Dong, Lee Sol-hui, pour son premier long-métrage, nous abreuve d’interrogations quant aux liens familiaux, à la vieillesse, à la maladie et à notre responsabilité envers notre prochain, soulignant combien il est souvent plus ardu de prendre soin des personnes que l’on aime que de ceux qui nous sont étrangers. Et face à tant de noirceur, on se retrouve à culpabiliser de se demander si la mort n’est pas, parfois, la meilleure des solutions. Pas certain que Greenhouse y réponde totalement.

Greenhouse, en salles le 29 mai.