HONEYLAND de T. Kotevska et L. Stefanov

La belle histoire d’Honeyland est celle d’un outsider macédonien qui se retrouve double nominé aux Oscars et lauréat de trois prix au festival de Sundance 2019. Avec des plans qu’on croirait pensés par Terrence Malick, le duo de cinéastes part d’un banal conflit de voisinage en pleine nature pour en tirer un blockbuster documentaire à l’ère d’un chaos climatique toujours plus impitoyable.

Comme toute bonne histoire, Honeyland commence par un conflit, larvé. D’un côté, Hatidze Muratova, de l’autre Hussein Sam.Entre l’apicultrice traditionnelle perchée dans les collines de Macédoine du Nord, et son voisin aux envies de gros sous et aux méthodes capitalistes impitoyables, l’harmonie a toujours semblé impossible : elle a dédié sa vie à cette colonie d’abeilles produisant un délicieux miel en quantité réduite. Il a mis en danger ses récoltes en ne respectant aucune des règles permettant de prendre soin de la nature environnante. Près de quatre ans après le début du tournage, les deux paysans n’ont jamais vraiment réussi à s’accorder. Sauf que maintenant, « cet endroit et ces gens sont différents », place Ljubomir Stefanov, l’un des deux co-réalisateurs, au New York Times. La production a trouvé une jolie petite maison à Hatidze Muratova dans le village de Dorfulija. Pour Hussein Sam, c’est un nouveau camion et des travaux pour la cheminée que l’équipe du film a financés. Le producteur du film Atanas Georgiev, s’en explique : « Quand tout s’est emballé, on s’est dit qu’on devait faire quelque chose pour eux. C’est une façon de les remercier. » Des dépenses impossibles à imaginer il y a encore quatre ans, quand les deux réalisateurs, Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov, et deux chefs opérateurs, Samir Ljuma et Fejmi Daut, se sont lancés dans l’aventure. « Maintenant, tout le monde sent que beaucoup de choses ont changé », continue le réalisateur.

D’abord, le film a engrangé plus d’un million de dollars au box-office mondial, avant sa sortie française. Un succès que l’équipe était loin d’imaginer quand ils se trouvaient en plein tournage sous la neige et à flanc de montagne. Filmé en l’espace de trois ans et rassemblant plus de 400 heures de rush, le projet revient de loin : conçu comme un court légèrement financé par le gouvernement pour vanter la protection d’un coin paumé du centre de la Macédoine du Nord, il s’est transformé en fable naturaliste envahie par le monde moderne et un capitalisme impitoyable. Pour le défendre, l’équipe du film a quadrillé plusieurs continents, des dizaines de festivals de film. Tout pour présenter la première œuvre cinématographique macédonienne invitée dans la machine hollywoodienne. Sur les réseaux sociaux, le chef opérateur Samir Ljuma poste des photos de dîners aux côtés de la star coréenne Bong Joon-ho et des événements où son nom se retrouve sur la même liste que celui de Brad Pitt. Mais en Macédoine, avec leurs statuts de nouvelles stars, les problèmes n’ont pas cessé. Ces derniers mois, la lutte entre les deux protagonistes du film a pris un tournant plus sombre quand le chien de Hussein Sam s’en est pris à la jambe de Hatidze Muratova –rien de volontaire assurent-ils. Encore plus de soucis à gérer, alors que le succès du film ne semble pas près de s’arrêter… Lucas Minisini