York Hall, London, 28th October 2016

IDRIS ELBA : The Fighter

Il y a des crises de la quarantaine plus corsées que d’autres. À l’âge vénérable de 43 ans, Idris Elba a tenu à disputer un combat de kickboxing professionnel. C’était en 2016, avant les frères Paul, Ragnar le Breton, et la banalisation pugilistique chez les créateurs de contenus.

Célèbre entraîneur et promoteur d’événements pieds-poings aujourd’hui installé au Canada, Kieran Keddle se trouve encore en Angleterre quand l’acteur vient taper à sa porte. « Idris traînait sur le plateau de la série Luther avec Warren Brown. »Partenaire de jeu à l’écran et ami proche d’Elba dans la vraie vie, Brown a également été deux fois champion du monde de boxe thaïlandaise, avant de passer sur les plateaux de cinéma. « Warren a mis les pattes d’ours pour qu’ils s’entraînent, c’est là que l’idée est née. » L’idée d’un documentaire, qui fait son chemin jusqu’aux bureaux de Discovery Channel et s’appellera bientôt Idris Elba : Fighter. Une fois le projet validé, Elba et Brown se mettent en quête d’un coach susceptible d’accepter de se lancer dans l’aventure. « Warren a suggéré mon nom, en raison de mes années passées au plus haut niveau, et en tant qu’ancien champion du monde. » Pour autant, Keddle ne s’emballe pas. On ne s’improvise pas combattant de kickboxing, un des sports les plus violents et exigeants du monde. « Je voulais d’abord savoir si c’était vrai, ou si c’était juste une lubie. Je ne voulais pas mettre en danger mon héritage et ma réputation dans le milieu des arts martiaux.» En somme, le Hollywood Guy doit manger son pain noir : « Je l’ai mis avec quelques-uns de mes meilleurs combattants. Au début c’était très difficile, mais il était sérieux. Il ne voulait pas être traité différemment parce que c’était un acteur. J’ai pu voir à quel point ça lui tenait à cœur… »

York Hall, London


La production du documentaire est lancée et doit composer d’emblée avec les imprévus. « Initialement, il devait commencer à s’entraîner en décembre pour combattre en mars. Mais il a eu un problème de dos, au niveau de la colonne vertébrale. » Le planning est donc revu sur douze mois, pour permettre à Elba de se remettre de sa blessure. Problème : l’acteur est déjà engagé sur une série de tournages éparpillés aux quatre coins du globe. « Par chance, je connaissais des coachs dans tous les pays où il devait travailler. Ça nous a facilité les choses de trouver des gens avec lesquels on pouvait s’entraîner, faire du sparring. » Entraînement après entraînement, sparring après sparring, Elba sue sang et eau face à des sommités internationales du ring. Au Japon, en Afrique du Sud, à Cuba… Il croise même Andrew Tate en Thaïlande, quand l’influenceur masculiniste était encore connu pour ses talents de cogneur. « Quand vous regardez les Youtubeurs aujourd’hui, ils ne s’entraînent pas proprement. Ils veulent surtout la street credibility, l’exposition sur les réseaux. Idris s’en foutait de tout ça. Il voulait boxer, expérimenter un vrai entraînement et tout ce qui va avec. C’était personnel pour lui. » Pour autant, la star doit faire avec les engagements qui le lient aux studios hollywoodiens, pas vraiment disposés à laisser leur vedette prendre des coups et mettre son corps à l’épreuve sur une base journalière. « Il devait être prudent sur tout ce qu’il faisait. Nous faisions beaucoup d’entraînements en coulisses, hors caméra. Des séries de drill, de sparring que nous ne pouvions pas filmer à cause de problèmes légaux. On a vraiment dû le faire à huis clos », précise Keddle.

«The Perfect Match »
Reste à trouver le combattant pour affronter Idris Elba le jour J. Kieran Keddle et Warren Brown se tournent vers la Hollande, véritable atoll du kickboxing mondial, et organisent une série d’auditions. « On voulait quelqu’un d’expérience, avec de la personnalité. » À l’époque, Lionel Graves s’entraîne au Mike’s Gym, l’un des clubs les plus réputés et redoutés du circuit : « Un ami à moi m’a dit qu’ils faisaient des auditions pour un show, mais qu’il fallait y rester pendant deux ou trois jours. J’ai répondu que je ne pouvais y être qu’un jour, mais que ce serait moi qui serai choisi ! » La suite lui donne raison : «Il y avait une tonne de mecs qui voulaient combattre une légende d’Hollywood. Mais lui cochait toutes les cases », confirme Keddle. Car malgré son palmarès d’une vingtaine de combats dont 10 en professionnel, Graves était déjà éloigné des rings depuis cinq ans à l’époque du tournage. « J’étais occupé avec mon propre gymnase, ma vie, ma sécurité de l’emploi… Mais je voulais le faire. » Il part pour un camp d’entraînement de trois mois censé permettre au vétéran de retrouver l’œil du tigre, et donner à Elba l’opposition qu’il mérite.
Après avoir été un temps envisagé en Thaïlande, le combat est planifié pour le 28 août 2016 en Angleterre, au York Hall Leisure Center. Idris Elba s’apprête à faire le grand saut. Kieran Keddle se rappelle : « Discovery Channel avait envoyé des centaines de personnes à l’événement. On leur a juste dit que c’était du kickboxing, que ce serait filmé pour la chaîne. On s’est retrouvé avec 2000 personnes qui ne savaient pas qu’Idris combattait. Imaginez leur réaction. » Idris Elba fait son entrée devant une foule immédiatement acquise à sa cause, et se montre fébrile lorsque le gong sonne. Car avec l’agressivité caractéristique du style hollandais Lionel Graves démarre vite et fort contre son adversaire plus âgé de onze ans. Elba prend la foudre mais ne panique pas. « On savait que le mec n’avait pas combattu depuis longtemps, et qu’Idris pouvait traverser la tempête. » D’un coup, la dynamique se renverse : Elba commence à répondre aux assauts de son adversaire et met Graves au tapis. L’arbitre compte, son adversaire ne se relève pas. Victoire par KO, au premier round. Kieran Keddle en frissonne encore : « Trouver un mec d’Hollywood, parcourir le monde pour l’entraîner, lui donner un vrai combat… Quand il a mis le mec gars KO… Le voir lever ses mains… Ça a été un moment spécial pour tout le monde. Sept ans après, je m’en souviens comme si c’était hier.» Lionel Graves garde un souvenir plus contrasté de l’aventure mais n’oubliera jamais la sortie du ring : « Il y avait une femme dans le vestiaire. Elle me parlait, était sympa avec moi. Je lui répondais pour être poli. Plus tard, l’un des producteurs m’a dit: ‟Tu sais avec qui tu parlais ? Madonna.ˮ Madonna me parlait. Je ne l’avais pas reconnue. Si seulement j’avais su… » Les semaines qui suivent ne sont pas simples à digérer : « Après ce combat, j’ai été un peu dans le trou. Les gens venaient me voir, me demandaient : ‟Mais comment tu as pu perdre, ils ont dû te payer…ˮ Je répondais que non, c’est juste un bon combattant. Il s’est bien entraîné, il m’a combattu, il a fait face. Et il a gagné. »

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