INCROYABLE MAIS VRAI de Quentin Dupieux

D’aucuns continueront de dire que Dupieux ne se renouvelle jamais… Joli pied de nez avec ce nouvel opus qui envoie ostensiblement valdinguer une société des plus vaniteuses tout en réaffirmant une puissance lymphatique salvatrice.

Incroyable mais vrai : un titre aux allures de télé-réalité, qui laisse présager une bonne farce mais parfait l’art du contrepied. Sans dévoiler les révélations inhérentes au récit, tâchons de donner quelques indices sur la substance extraordinaire de ce film. Comme souvent chez Dupieux, les décors sont réduits et on tourne vite en vase clos. Mais l’intrigue sert de façon tout à fait fonctionnelle l’environnement un peu claustro, qu’on aime à voir se reproduire d’un film à l’autre sous des variantes policières décomplexées. C’est un peu comme si les décors s’accouplaient ou se régurgitaient au fil des films du cinéaste – un désert et une piscine jadis, donnant naissance ici à un paysage urbain pavillonnaire désaffecté, avec l’épave d’une voiture en fond de jardin ; une sensation de huis clos ouvert sur un monde mort ou morne, sans âme qui vive ou presque. Un couple de quinquas réalise le rêve d’une vie : avoir une maison à soi. Outre la superficie excessive de la demeure en question, on s’interroge : du beige lugubre et verdissant des peintures ou bien des tapisseries défraîchies constellées de traces, qu’est-ce qui séduit le plus Marie et Alain ? Très probablement une troisième donnée, qu’on ne révèlera pas mais qui, comme le spécifie l’agent immobilier, est le « clou » de la visite. Cela a trait aux voyages temporels et à un singulier paradoxe de survivance et de décomposition. En écho à cette idée, l’épave de voiture semble d’ailleurs figurer la réminiscence d’autres automobiles fétiches – par exemple celle dans laquelle les membres du Palmashow cachaient leur mouche (Mandibules), ou bien la mauvaise réplique d’une DeLorean qui aurait rencontré la Christine de Stephen King. Alliant l’horreur et l’absurde, Dupieux voyage à bord d’un drôle de tacot et conduit son récit aux portes de la satire sociale.

Maison-vortex
Le couple emménage donc dans une grande demeure au charme trouble, mais leur quotidien se désynchronise progressivement. Quand Marie entame en solitaire la frénétique et obsessionnelle investigation du sous-sol, Alain occupe les étages de façon plus paresseuse et stationnaire, dans une sorte d’attente prosaïque du lendemain. Ils fréquentent un couple d’amis, le patron et la cruche (rapidement identifiés et nommés comme tels), lesquels lors d’un repas ne manqueront pas de pimenter le film avec une nouvelle révélation autrement plus folle que celle de l’agent immobilier, confirmant ainsi la tonalité ouvertement satirique de l’œuvre. Dupieux met en miroir des stéréotypes humains complètement obsédés par la maximisation de leur sex-appeal, et s’en amuse en déclinant tout un jeu de correspondances autour de gestes compulsifs et désœuvrés. Au pic de leur déroute, Léa Drucker (sorte de Dorian(e) Gray insatiable) se retrouve ainsi avec deux clopes au bec à péricliter dans sa cave, quand Benoît Magimel (ledit patron) baigne dans un aquarium de vapotage anxiogène à bord de sa voiture sportive. Et si ces deux personnages semblent petit à petit tourner en rond en tourbillonnant et fulminant – le feu jaillissant littéralement des cheminées ou des courts-circuits –, le personnage d’Alain (Chabat) reste quant à lui fiable dans sa nonchalance, boussole du film à la fois molle et désolée, constamment au repos de journées sans rebondissements… Car au final, à quoi bon s’emmerder la vie quand tout n’est que vanité, et qu’on peut simplement pêcher la truite en compagnie de son fidèle labrador ?