L’INDOMPTABLE FEU DU PRINTEMPS de Lemohang Jeremiah Mosese

Jeremiah Mosese signe son deuxième long métrage (en salles le 28 juillet), le premier film de fiction jamais réalisé au royaume du Lesotho, État enclavé dans le territoire d’Afrique du Sud. Prix spécial du Jury à Sundance, Mosese nous immerge dans un village des montagnes et retrace sa lutte contre le déracinement, autour d’un incroyable personnage de doyenne à la tête dure.

Le film s’ouvre comme un conte. Un homme à la voix rauque nous parle d’une légende issue d’une contrée lointaine, d’un village englouti sous l’eau : « On l’appelait jadis la vallée des larmes. » Voilà donc le village de Ha Dinizulu et sa doyenne Mantoa. La vieille dame vit dans sa vallée depuis 80 ans, y a élevé ses enfants et petits-enfants, et compte bien y être enterrée. Seulement, comme dans un film de Jia Zhang-ke, une directive gouvernementale a autorisé la construction d’un barrage dans la région qui doit submerger le village. Dans ses derniers jours, Mantoa rassemble les esprits pour résister au déracinement et sauver la culture et l’héritage de sa vallée. Elle devient ainsi immortelle. L’Indomptable Feu du printemps est un film personnel : Jeremiah Mosese y raconte ce moment où, encore enfant, il a dû lui-même fuir son village natal avec sa famille. Il évoque également le village de sa grand-mère, actuellement victime d’une relocalisation forcée. Filmé d’un œil intime, ce Lesotho-là n’est ni fantasmé, ni exotisé. Amis du Guide du routard et de National Geographic, passez votre chemin. Avec Mati Diop (Atlantique), Amjad Abu Alala (Tu mourras à 20 ans) et quelques autres, Mosese fait partie d’une vague de renouveau dans le cinéma africain sud-saharien, travaillant une mise en scène ample et ambitieuse, qui interroge l’identité culturelle et politique d’un pays, ainsi que les décombres du colonialisme.

Une résurrection
Dès les premiers plans au cordeau (et au format 4/3), le film frappe par son image très texturée et granuleuse, sa direction d’acteur assez neutre, quasi bressonnienne. La doyenne Mantoa évoque les couleurs religieuses d’une sainte sortie d’un bleu virginal. Alors qu’elle visite les ruines de sa maison aux murs de chaume, elle se retrouve, dans un moment de grâce, entourée par un troupeau de moutons blancs. Les figurants et les personnages secondaires sont tous des habitants du village, des acteurs non professionnels filmés avec révérence. Et Mary Twala, l’actrice principale octogénaire, a la prestance d’une gladiatrice. Un peu à la façon de l’héroïne d’Aquarius qui refusait de laisser sa maison aux mains de magnats immobiliers dans le beau film de Kleber Mendonça Filho, elle fait preuve d’une résistance redoutable. La comédienne, qui n’a pas hésité à se faire transporter à dos d’âne sur les lieux les plus reculés du tournage, apparaît pour la dernière fois au cinéma, puisqu’elle est décédée à l’été 2020. L’Indomptable Feu du printemps – titré en anglais « This Is Not a Burial, This Is a Resurrection » – immortalise sa présence et fait ainsi littéralement cohabiter les vivants avec les morts. Le film, peu bavard, exhale une atmosphère mystique, rythmée par des rituels, des chants traditionnels et quelques détails envoutants (notamment une surprenante robe d’époque victorienne comme chemise de nuit). L’Histoire se mêle au fantastique pour raconter un présent douloureux, et ses revendications sociales et politiques. Un film sensoriel, à la fois verdoyant et fantomatique, qui donne une voix humaine puissante à un peuple jamais filmé jusque-là.