Michel Hazanavicius & Vincent Maraval refont le cinéma français

– Interview : Michel Hazanavicius / Vincent Maraval –

Le cinéma français a de l'argent, mais pour quoi faire ? Les effets pervers sont là : un cinéma inflationniste, peu rentable, pas assez ambitieux, n'ayant pas pris la mesure du numérique. Conservateurs vs réformateurs, la grande bataille du nouveau cinéma français est lancée. Vincent Maraval, l'homme par qui le scandale est arrivé, n'avait pas parlé depuis un an. Il ne regrette rien et enfonce le clou sur la VOD et le financement par les chaînes. Michel Hazanavicius, cinéaste césarisé et oscarisé, est venu à sa rencontre. Ensemble, ils ouvrent la fameuse "boîte de Pandore" du cinéma français. Par Thierry Lounas ~ Photos : Samuel Kirszenbaum

Michel Hazanavicius : Il y a un an, monsieur Maraval, ici présent, a mis le feu avec sa tribune sur la rémunération des acteurs. Cette année, c’était chaud bouillant sur l’exception culturelle entre L’Europe et les États-Unis. Il y a eu depuis deux rapports passionnants, coup sur coup, Lescure et Bonnell, qui proposent de faire bouger le système. Tout ce souk a permis d’avoir enfin des discussions de fond. Il ne faut pas oublier qu’on est quand même dans un pays en crise où la moitié de la population pense que nous sommes des nantis. Même s’il faut bien expliquer qu’on ne vole rien à personne, il faut aussi accepter que notre beau système français connaisse certaines dérives. Il y a une grosse mutation technologique en cours. Il va falloir prendre sérieusement le virage d’Internet, sans tout casser.

Vincent Maraval : Personne ne dit qu’il faut tout faire péter et entrer dans un tout libéral. Le cinéma français n’est plus adapté à ce qu’il se passe autour de nous. Il y a eu un coup génial dans l’histoire du financement du cinéma français, c’est Canal. Canal a anticipé HBO. On ne s’est pas fait baiser par HBO qui est un peu partout. Canal a protégé le cinéma français.

Hazanavicius : Canal a été une vraie révolution. On a eu tout à coup des films frais douze mois après leur sortie en salles, et du sport. Ils ont inventé la fraîcheur à la télé. Mais, aujourd’hui, tout cela est devenu normal. Ça n’est plus exceptionnel.

Maraval : Quel sens a la fraîcheur d’un film sur Canal à l’heure d’Internet ? Quel sens d’avoir tous ces films quand sur le câble on peut en voir cinquante par jour ? Mes gamins regardent plus de films sur iPad qu’en salles. Le succès de Canal est à reconstruire. Il faut faire la révolution une deuxième fois. On sait tous que la Pay TV est morte, que la salle de cinéma a beaucoup changé, qu’Internet est partout sans la moindre loi. Si on ne crée pas le Netflix de demain chez nous, alors ce que Canal a empêché arrivera.

« Pourquoi interdire de montrer un film en VOD au bout d’un mois alors que les salles ne sont pas capables de le garder sur leurs écrans et de faire fonctionner le bouche à oreille ? » 
Vincent Maraval

Pourquoi ça bloque ?

Hazanavicius : Là, tu touches à quelque chose de sacré, de très compliqué à bouger, hyper tabou : la chronologie des médias. Un terme barbare pour dire que chaque diffuseur qui participe au financement des films se voit réserver une période d’exclusivité : d’abord la salle, puis quatre mois après le DVD et la VOD, puis Canal à dix mois minimum et les chaînes en clair à presque deux ans, etc.

Maraval : Et toute discussion sérieuse autour de la chronologie des médias est aujourd’hui impossible, voire interdite, sous peine de voir tes films boycottés. Les exploitants ne veulent pas entendre parler d’Internet. Ils préfèrent laisser les films se casser la gueule.

Hazanavicius :
Ça s’améliore quand même un peu. Au début, il y avait 800 carabines braquées sur toi quand tu en parlais, maintenant il n’y en a plus que 400 et le débat est aujourd’hui autorisé. C’est vrai que beaucoup ont peur, ils ont toujours le même argument : « Attention tu vas ouvrir la boîte de Pandore ! Le loup va entrer dans la bergerie, on va perdre notre super système de financement ! » On a l’impression de vendre un scénario de film d’horreur.

Maraval : Pourtant c’est clair que la VOD est un moyen de renouveler le cinéma français. Quand on voit qu’actuellement la vie d’un film en salles, c’est de dix à quinze jours, j’ai le droit de leur dire : « Pourquoi vous m’interdisez de montrer mon film en VOD au bout d’un mois et de profiter ainsi de ma campagne de promotion qui m’a coûté la peau des fesses, alors que vous, de votre côté, vous n’êtes pas capables de garder le film sur vos écrans et faire fonctionner le bouche à oreille? » Inversement, je pourrais aussi leur dire : « Tiens, j’ai Les vacances du Petit Nicolas et je suis prêt à repousser la sortie du film en vidéo un an après si tu le gardes en salles sur une longue période. » Tout est imaginable. Il faut arrêter d’être dogmatique.

« Lorsque j’entends des exploitants de cinéma dire que les films naissent d’abord en salle, j’ai envie de leur répondre qu’ils y meurent aussi très souvent. »
Michel Hazanavicius


Éjecter les films des salles tout en les empêchant d’être vus sur Internet, c’est très violent non ? 

Hazanavicius : Non seulement c’est très violent, mais ça donne à la salle un droit de vie ou de mort sur ton film le mercredi à la séance de 14 h. Si ton film se plante, il est marqué pour toute sa vie du sceau de l’échec. C’est très cruel alors qu’il y a plein d’autres moyens de montrer un film et plusieurs vies possibles. Et c’est compliqué quand tu te fais laminer, dans un premier temps tu culpabilises. Comme réalisateur, t’as juste la honte, t’es au fond du trou, t’es un clochard. Jusqu’au mercredi midi de la sortie, ça sent encore bon. Le mercredi à partir de 16 h, t’as deux mecs qui t’expliquent que soit il fait trop beau, soit il ne fait pas assez beau, qu’en tout cas il faut attendre le week-end mais que ça va le faire… Et, après, tu n’as plus de coup de fil… (rires) Plus personne à qui te confier… C’est pour cette raison que lorsque j’entends des exploitants de cinéma dire que les films naissent d’abord en salles, j’ai envie de leur répondre qu’ils y meurent aussi très souvent. C’est quoi le problème des films le mercredi ? C’est de se faire connaître, de dire : « J’existe ». Or, tout le monde n’a pas les moyens de se payer une grosse campagne publicitaire. Un système d’avant-première sur Internet permettrait à certains films de se faire mousser un peu, et même la sortie simultanée salle/VOD pourrait être dans certains cas utile. Les gens qui vont voir le films sur Internet, ce ne sont pas forcément des personnes qui auraient été le voir le film en salles.

Maraval : On l’a fait avec Godard. On a montré Film Socialisme en avant-première sur VOD 48 heures avant sa sortie. Le film est ensuite sorti en salles et on a fait plus que le précédent Godard. Comme quoi… Il faut un peu penser au public. Il faut aussi s’inspirer de ce qui s’est fait aux États-Unis lorsque tout le secteur Art et Essai lié aux studios a disparu. Plus aucun film étranger ne pouvait être montré. Que s’est-il passé ? Deux boîtes, IFC et Magnolia, ont changé complètement leur stratégie et ont mis en place un nouveau système : les films sortent en salles seulement dans les principales villes et les universités, ailleurs, ils sont disponibles directement en VOD. Grâce à cette stratégie, ces deux distributeurs américains à eux seuls ont relancé le cinéma d’auteur aux États-Unis.

Hazanavicius : Sans que ce soit la mort ni des salles ni du cinéma…

Maraval : Si j’écoute les gens, on est au moins à la huitième mort du cinéma de mon vécu. À chaque innovation, on nous fait le coup. Il y a eu la VHS, la Betamax, Canal Plus ; la TNT, le home cinema, etc. Le cinéma n’en finit plus de mourir. Pourtant Canal Plus n’a pas nui à la salle, ça a même créé de la cinéphilie. Pour la VOD c’est la même chose, elle booste la fréquentation en salles.

« Le film est devenu un simple produit d'appel » 
Vincent Maraval

Pourquoi tant d’hostilité alors ? 

Hazanavicius : Beaucoup d’exploitants ont peur qu’Internet fasse fuir les spectateurs de leurs salles.

Maraval : J’ai travaillé à UGC quand ils lançaient les « cinés cités ». L’accroche c’était : les cinémas ne doivent plus être dans les centres commerciaux mais les centres commerciaux dans les cinémas. L’idée était de baisser au maximum le prix de la place sur laquelle les salles font peu de marge pour faire rentrer un maximum de gens et leur vendre de la confiserie sur laquelle elles margent beaucoup. La carte illimitée fait partie de ce plan-là. Prenez le rapport du réseau Kinepolis, c’est écrit noir sur blanc : « c’est une bonne année, le taux moyen de bonbons par spectateur est passé à 2,70 euros. » Seul bémol au chapitre 10, les entrées ont chuté. Tout est dit. Le film est devenu un simple produit d’appel. Aujourd’hui, quand une salle gagne 1 euro sur une place, combien gagne-t-elle en recettes annexes, en bonbons et en pubs ?

Hazanavicius : L’objectif des exploitants est de remplir leurs salles au maximum quitte à organiser un turn-over de folie sur les films. Je les comprends mais il faudrait refroidir un peu la machine. Trop de films sont laissés sur le bord de la route.

Maraval : Il va falloir trouver des solutions. Moi je suis un mec de gauche qui a toujours cru que l’État était chargé de civiliser la société d’animaux que nous sommes. Le jour où le marché va plus vite que l’État ça me fait peur car le marché prendra les décisions pour nous.

Très concrètement ça veut dire quoi ?

Maraval : Que faute de sagesse de la part de l’exploitation française, les films sortiront directement en VOD. Ma priorité a toujours été la salle, mais, à un moment, on va basculer dans la VOD parce que rien ne bouge et qu’on en a marre de se prendre des bouillons. Si j’avais eu Nymphomaniac entre les mains, idéalement je l’aurais sorti en salles et en VOD. Il y a des gens qui veulent voir un film de Lars von Trier en salles et il y a des gens qui ne veulent pas aller voir Nymphomaniac dans une salle pour diverses raisons (rires). À l’inverse, James Gray sort aux États-Unis en VOD direct, alors que c’est un film de cinéma pour moi, ce n’est pas une bonne stratégie.

Faut-il, comme le préconisait Pierre Lescure, un droit du film à être vu, et obliger à un minimum de diffusion ?

Maraval : Oui. Je n’ai jamais été de ceux qui pensent qu’il y a trop de films. Je pense qu’au XXIe siècle, on a les moyens de proposer une diffusion adaptée à toute œuvre. La censure par la salle et par l’argent ce n’est pas une solution viable.

« De nos jours, nous sommes dans une économie où les gens vendent un film plus cher que ce qu’il vaut. »
Vincent Maraval


Indépendamment des questions de diffusion, le cinéma français ne coûte-il pas trop cher ? 

Hazanavicius : Le problème est ailleurs pour moi. Le souci, ce sont les remontées de recettes en France, il y a une perte totale de confiance de la part des ayant-droits. C’est-à-dire qu’aujourd’hui un film qui est bien financé, qui fait un beau succès, ne génère aucune recette pour ceux qui le fabriquent. C’est valable pour plein de films, de Palais Royal de Valérie Lemercier à OSS 117. OSS 117 a fait 2,3 millions d’entrées, a vendu 500 000 DVD, mais le film est encore déficitaire aujourd’hui parce que Gaumont n’a toujours pas amorti ses dépenses… Pourtant le film n’a pas coûté si cher. Moi je sortais d’un film qui avait fait 15 000 entrées, je ne pouvais donc pas me permettre d’être très gourmand et Dujardin n’avait pas encore triomphé avec Brice de Nice. Ce genre d’exemple est catastrophique pour la profession qui se dit que les revenus sont complètement déconnectés du succès. Du coup, tout le monde, acteurs compris, veut se servir tout de suite sur le budget avec des gros salaires car leur intéressement aux recettes ne vaut rien. La crise de confiance est telle que si tu as fait un succès un jour et que tu n’as rien touché, le film suivant, c’est sûr que tu négocies mieux ton salaire et que tu prends la caillasse.

Maraval : Je ne pense pas que sur Palais Royal ou sur OSS 117, Gaumont s’en soit mis plein les poches. Je pense simplement qu’il y a eu des mauvais deals. On l’a vécu avec The Artist au États-Unis. Que fait Harvey Weinstein quand il sait qu’il est à 20 millions de dollars de recettes et est en position de nous renvoyer de l’argent ? Avec l’argent, il fait une nouvelle campagne de pub pour aller chercher plus d’entrées encore.

Hazanavicius : Tu ne crois pas aussi qu’Harvey mutualise sur plusieurs films à la fois ?

Maraval : Si, évidemment. Il dit à Netflix : « Si vous voulez The Artist, il faudra me prendre en supplément quelques films étrangers. » Et du coup, il se sert du succès d’un film pour amortir les pertes des autres. Mais bon, je ne peux pas lui en vouloir, Harvey Weinstein est un mec qui ne s’est jamais barré avec la caisse. Il a toujours tout réinvesti dans les films.

Hazanavicius : Du point de vue de celui qui a fait le film, ce n’est pas la même analyse (rires). Moi, je ne fais pas quarante films par an, je ne me rattrape sur rien d’autre. Le gagnant au loto n’éponge pas tous les mecs qui ont perdu !

Quelle est la solution ?

Hazanavicius : Il faut que ce soit gagnant-gagnant, que tout le monde, équipe, acteurs, réalisateur, producteur soit au premier euro sur les recettes brutes. Il faut intégrer les coûts de fabrication et de distribution au financement du film dès le départ. C’est d’ailleurs une des préconisations malines du rapport Bonnell.

Maraval : Ce n’est pas difficile. Quand on a fait Les Salauds de Claire Denis, avec Vincent Lindon, on n’avait pas un rond de financement, on voulait tourner vite. On a dit : « On y va. En échange, vous, Claire et Vincent, vous ne prenez rien, vous prendrez sur ce qui arrive en financement. » Résultat, Lindon a réussi à se payer autour de 300 000 euros et Claire a gagné plus que sur ses quatre ou cinq films précédents. Nous, on n’a pas perdu d’argent et eux en ont gagné. C’est une affaire qui roule. Et on a pu faire le film grâce à leur prise de risque de départ.

Hazanavicius : C’est pour cela qu’il est crucial d’intéresser ceux qui font les films au succès du film. Si j’étais intéressé au résultat du film, je ne bastonnerais pas sur mon salaire, je le mettrais en participation.

Maraval : Là on m’a proposé un projet à 1,5 million. Je leur propose de travailler sans commission. Je leur dis : vous savez quoi, on partage tout ce qu’on gagne au-dessus d’1,5 million. Je l’ai déjà fait avec Ken Loach, Loach étant un collectiviste on s’y retrouve très bien. C’est très simple : 25 % à l’équipe technique et créative, 25 % à la société de production de Ken Loach , 25 % à Why Not, 25 % à Wild Bunch. Arrêtons de trop préfinancer et de trop prévendre les films. Vendons le film sur ce qu’il est et arrêtons de nous protéger tout le temps.

« Il est crucial d’intéresser ceux qui font les films au succès du film. »
Michel Hazanavicius

Vous maintenez vos propos de votre tribune sur les rémunérations excessives des acteurs ? 

Maraval : Je n’ai rien à enlever à cette tribune. D’autant plus qu’Élisabeth Tanner, présidente du Syndicat des agents, m’a expliqué depuis que, souvent, les agents demandaient de gros cachets parce que les acteurs ne voulaient pas faire le film mais que le producteur insistait. Je pense pour ma part qu’il vaut mieux être moins payé pour quelque chose que tu as envie de faire, qu’être très bien payé pour quelque chose dont tu n’as pas envie. Il y a un métier pour ça… (rires) De toute façon, entre prendre des risques ou ne pas en prendre, un agent choisira toujours de ne pas en prendre.

Hazanavicius : On peut comprendre que faute de remontées de recettes, ils n’hésitent pas à prendre le maximum. Yves Montand disait à propos de son salaire au moment de César et Rosalie : « On ne revoit jamais la couleur des recettes, alors quand je peux cogner, je cogne. »

Maraval : Faut dire aussi que la plupart des acteurs n’ont que cinq ou six ans de vie professionnelle. Il y en a très peu qui durent. Moi, ce qui me choque ce ne sont pas les cachets des très grandes stars même si je pense qu’elles font une connerie en ne s’intéressant pas aux recettes du film, ce sont les cachets de comédiens à 150 000 euros qui sont très courants. Ils gagnent en deux mois plus qu’un prof en cinq ans… Dans ma tribune, par provoc’, j’avais émis l’hypothèse d’un plafond à 400 000 euros. Guédiguian a dit qu’il trouvait cela encore beaucoup trop excessif. Un film avec 400 000 euros d’avances sur recettes et le comédien payé 400 000 euros, perso, ça me choque, ce n’est pas très moral.

Où est la morale là-dedans ?

Maraval : Hollande disait que pour les patrons d’entreprises publiques il fallait un salaire maximum, ben je pense la même chose quand y a de l’argent public directement ou indirectement dans un film. Pierre Richard, Jean-Paul Belmondo… Ces mecs-là ne fonctionnaient comme ça avant. Eux, jamais tu leur aurais dit à l’époque : « Tu sais quoi, on te paie un peu plus, mais tu nous laisses ta participation. » Leurs films marchaient, ils se payaient avec le succès… De nos jours, nous sommes dans une économie où les gens vendent un film plus cher que ce qu’il vaut. Je ne dis pas que je suis contre La Belle et la Bête, au contraire, soyons ambitieux. En Espagne, ils font Agora, Le Labyrinthe de Pan, The Impossible… Le problème aujourd’hui, c’est que les chaînes exigent les mêmes vingt acteurs, les mêmes genres de film… Cette année sur 220 films produits en France, on doit avoir deux ou trois films ambitieux, comme partout finalement. En quoi se distingue-t-on des autres alors qu’on a un système ultrasophistiqué ? Tout se concentre sur des comédies à 8 millions. L’argent se concentre sur des films faciles à faire, automatiques. Le système est là pour t’encourager toi à faire OSS 3 à 35 millions d’euros, ou un film avec Jamel.

C’est quoi un film ambitieux ?

Maraval : Il n’y a pas aujourd’hui de film d’horreur au dessus de 3 millions en France, il n’y a pas de film d’aventure, il n’y a pas de film catastrophe, pas de film de guerre, pas de film de science-fiction, pas de péplum, pas de comédie teenage à la Very Bad Trip ou Judd Apatow ou alors ils le refont quatre ans après en se disant : « Tiens, ça a marché on va essayer de faire l’équivalent en français. » Tu peux enlever l’adjectif « ambitieux », mais quand on parle de « diversité du cinéma français », je ne sais pas de quoi on parle car c’est avant tout des comédies, des comédies dramatiques. Pour moi, l’ambition consiste à couvrir l’ensemble du spectre… Dans le cinéma espagnol, il y a des films de guerre, il y a des péplums, il y a des films d’horreur et pas des films d’horreur « french frayeur » pour Canal Plus à 1,5 million avec un groupe d’ados dans la montagne qui se perd, mais des trucs avec des effets spéciaux incroyables, des créatures… Le Labyrinthe de Pan, je ne sais pas comment le faire en France. C’est pareil pour la Corée : ils font des films incroyables avec des tsunamis… C’est quand même hallucinant la variété du cinéma coréen.

Et pourquoi ça n’existe pas ?

Maraval : Le point commun entre la Corée et l’Espagne, c’est que les « obligations de financement » ne se traduisent pas par des obligations de diffusion sur les chaînes. Du coup, ça libère les télés et les films, alors que nous on fait des films pour la ménagère de plus de cinquante ans qui regarde la télé et qui est l’antithèse du public de cinéma. Le cœur du problème, il est là. De toute façon, les télés n’ont plus envie du cinéma qu’elles financent. Elles cherchent à se désengager du cinéma. Pourquoi ne pas discuter avec elles et essayer de retrouver un peu de désir ? On pourrait aller voir TF1 et dire : « Tu n’as plus envie, mets moins mais mets mieux. Fais autre chose que de la grosse comédie qui tache. »

Ne pas obliger les chaînes à diffuser les films qu’elles coproduisent, ça risque de faire hurler en France, non ?

Maraval : Je ne pense pas. Tu dis à TF1 qu’au lieu d’investir 100, ils n’investissent plus que 50 qui vont dans un fonds, dans lequel on attire des investisseurs privés. L’achat du film pour sa diffusion se fait après. Je crois simplement qu’aujourd’hui la part du préfinancement est trop importante par rapport au marché, il faut juste rééquilibrer la chose et retrouver un peu de rentabilité.

Hazanavicius : C’est vrai que quand il n’y a pas de risque, qu’on a rien à perdre, il y a moins de créativité…

« Ça fait douze ans qu’on fait ce métier et nos plus gros succès sont : un documentaire sur des pingouins, un film en noir et blanc muet, un documentaire sur George Bush… Il n’y a pas de règles. »
Vincent Maraval

Maraval : Les cinéastes prennent beaucoup de coups et parfois s’autocensurent. J’en ai parlé avec Carion et Rossignon quand ils ont fait Une Hirondelle a fait le printemps. Je leur ai dit : « C’est pas mon truc. Il y a deux ou trois choses que je trouve formidables dans le scénario comme les paysans qui regardent leurs bêtes partir à l’abattoir, mais tout le reste c’est de la guimauve. » Il m’ont répondu : « Ce film-là, les télés n’en ont pas voulu. » On ne peut pas montrer en prime time des bêtes à l’abattoir et le rapport d’un paysan à ses bêtes quand elles partent se faire abattre, alors qu’elles sont sa vie, son quotidien. Les réalisateurs en prennent dans la gueule et du coup font des concessions. Même nous, à Wild Bunch, on manque parfois d’audace alors qu’on a plutôt la culture du risque. Quand toi, Michel, tu nous amènes The Artist, on dit : « Non. Le scénario est bien, mais en noir et blanc, muet, niet. » On ressort tout le lexique que le marché nous a appris pour te dire « non, non ». Heureusement que Thomas Langmann est là pour y aller car lui c’est un vrai joueur, un producteur à l’ancienne. Après, tu nous montres le film, on dit : « C’est bien, oui, on va en tirer un petit quelque chose. » C’est Thomas qui insiste et nous dit : « Il me faut trois millions de ventes », et ensuite Harvey Weinstein qui a déclaré qu’il allait l’amener aux oscars. On a rigolé parce que, sur ce coup-là, on manquait d’ambition alors que pour toi, Thomas et Harvey, c’était sûr que vous alliez aux oscars.

Hazanavicius : Juste un petit bémol, je n’ai jamais dit, même pas rêvé, qu’on irait aux oscars. J’ai mis du temps à y croire. Même sur OSS il y avait plein de gens qui n’en voulaient pas, plein de gens qui pensaient que ce serait raciste, qui ne croyaient pas à ce genre de vannes… la soumission de ceux qui fabriquent des films et l’absorption de ces règles dès le départ, dès la conception du film, est réelle. On ne peut pas systématiquement se plaindre des règles de la télé et dans le même temps s’y conforter dès le début. Il faut accepter de se casser le nez, accepter d’écrire pendant un an et prendre le risque que ce film ne se fasse pas, et ça, c’est compliqué. J’ai du mal à dire « C’est la faute aux télés », et m’en laver les mains.

Maraval : Je suis d’accord. C’est pour cela qu’il faut créer des mécanismes qui encouragent le risque…

Hazanavicius : À force de limiter le risque, on limite l’audace. Au final, on a parfois l’impression que certains font des films juste pour montrer qu’ils peuvent faire un film comme les autres, or il me semble que quand tu fais un film t’as qu’une envie, c’est qu’il soit original et que justement il te ressemble à toi, pas aux autres.

Maraval : Ça fait douze ans qu’on fait ce métier et nos plus gros succès sont : un documentaire sur des pingouins (La Marche de L’Empereur), un film en noir et blanc muet (The Artist), un documentaire sur George Bush (Fahrenheit 9/11)… Il n’y a pas de règles. Regardez les films qui ont marché : Le Prophète, c’est des inconnus en prison, La Vie d’Adèle un film sur deux lesbiennes de trois heures. Ce sont des films différents qui marchent et cette vertu-là, il faut la mettre en valeur. Il faut que la qualité du film ne soit pas la cerise sur le gâteau, l’heureux accident, mais le but visé. 

Propos recueillis par TL. Remerciements à Florence Gastaud, Sylvie Pialat et Jean-Paul Salomé. Version intégrale de l'entretien à lire dans SOFILM N°17.