INTRODUCTION de Hong Sang-soo

Avec cette Introduction (beau titre !), Hong Sang-soo livre un court récit insolite, plein de petites bizarreries et nouveautés stimulantes.

Même un fan de la première heure (grand souvenir de la sortie simultanée des trois premiers Hong Sang-soo en 2003) peut voir son engouement fléchir légèrement. Ça a été le cas il y a quelques années, quand on avait le sentiment que la critique se montrait un poil trop mécaniquement dithyrambique à chaque nouveau film de Hong Sang-soo, la moindre modulation (un personnage pleure ? ne pleure pas ?) entraînant une pluie d’éloges, et une place de choix dans les tops de fin d’année. Et puis c’est bien reparti. Seule sur la plage la nuit (avec son héroïne de retour d’exil) et La Femme qui s’est enfuie renouaient avec un cinéma peut-être plus substantiel : de l’amertume existentielle, des choix de vie compliqués, une dureté aussi dans les rapports entre les personnages. Par comparaison, Introduction paraît relever d’une autre veine du réalisateur : celle qui le pousse à mettre en scène, à un rythme élevé, de courts récits gracieux reposant sur une poignée d’idées, un personnage ou une interaction insolite. Des récits ténus, mais dans lesquels on trouve toujours à glaner.  

Nouvelle jeunesse

Plusieurs choses ne sont pas négligeables ici. Depuis quand Hong Sang-soo n’avait-il pas montré de très jeunes gens, post-adolescents ? Le Pouvoir de la province de Kangwon, plus de vingt ans déjà ? Ce qui est certain, c’est que le regard a changé : pas totalement amène, parfois moqueur. Le garçon avec ses hugs intempestifs, la fille et son amour à la fois trop grand et hésitant, légèrement ballots l’un et l’autre : le cinéaste avoue une distance, voire une incompréhension. Et puis cette manière décalée, pointilliste, avec laquelle tout est posé : un père un peu lointain, dans son cabinet médical, une patiente, une assistante, autant de centres possibles qui ne le sont bientôt plus. Le film avance comme ça, par séquences qui s’enchaînent, avec pas mal de gêne, d’inconfort partout. Mentionnons la fille à Berlin devant retrouver son copain qui vient de prendre l’avion pour elle, et sa mère à côté qui ne trouve pas cela totalement adapté. Un déjeuner arrosé avec une mère, une autre (ça aussi c’est nouveau chez HSS, cette présence très forte des mères) et un ami à elle censé donner des conseils professionnels, situation qu’on a tous vécue et qu’on sait être, neuf fois sur dix, embarrassante pour tout le monde. Et avait-on déjà vu un postillon, un vrai postillon à l’écran ?

Plus sérieusement, il y a aussi une ellipse et du mélo inattendu à l’arrivée (nouveau chez HSS, bis, ter), avec la maladie de la jeune femme. C’est assez prodigieux de voir comme tout est en un sens « à côté » (à côté de la façon dont ces scènes, « dans la vie », se dérouleraient), et dans le même temps combien à un niveau plus profond tout cela, les personnages et leurs histoires, existent. Est-ce tomber dans l’écueil pointé plus haut consistant à relever dans chaque nouvel opus de petites particularités suffisant à réaffirmer, au risque de lasser, un génie ? Peut-être. Force est de constater que ces particularités se révèlent ici inspirantes et inspirées. Il faudrait aussi évoquer l’importance toujours plus grande du motif de l’expatriation dans l’œuvre du cinéaste qui, comme Weerasethakul dans Memoria (avec qui cet Introduction partage par ailleurs un art déroutant de la mise en récit), prend acte de son devenir cosmopolite. Nul doute que ses prochains films donneront l’occasion d’y revenir.