IRÈNE DRÉSEL : « J’ai vu Midsommar trois fois ! »

C’est la nouvelle prêtresse d’une techno envoûtante, irisée de roses fraîches et de néons. En 2023, Irène Drésel est aussi devenu la toute première compositrice césarisée pour sa BO d’À plein temps. Avant une grosse tournée pour la sortie de son nouvel album « Rose Fluo », elle a fait un crochet par les Alpes en moon boots blanches XXL. Sa mission ? Jury au festival de cinéma européen des Arcs.

Être jury, c’est quelque chose qui vous stimule ? Avez-vous des stratégies de persuasion ?
Disons que cette année j’en ai fait pas mal : j’ai été jury aux Champs-Elysées Film Festival, à La Baule, aux courts-métrages des César… Et je serai à Clermont ! Je mets des notes sur 10 à chaque film. En général, le président du jury demande quel est le film pour lequel on veut se battre. On verra comment veut faire Asghar Farhadi.

Vous avez commencé dans l’art contemporain avec notamment de la vidéo plasticienne… Quelle était la démarche à l’époque ?
Ah, vous voulez parler de mon travail de 2014… Il y a 10 ans ! J’ai tellement décroché de tout ça. C’était tout un travail autour de la formule : « attraction + répulsion = fascination ». C’était plus austère, c’est clair. J’avais notamment fait une vidéo qui s’appelait Vulture, pour laquelle j’étais partie en Espagne filmer un vol de vautours qui formait un cœur dans les airs… Mais dès que tu veux faire une vidéo, il faut « ça » de texte pour l’expliquer… C’est moins instinctif et je me suis dit : « Je ne vais pas passer ma vie comme ça, il me faut quelque chose de plus spontané, plus vivant… » Quand j’ai commencé à dire aux collectionneurs que je connaissais que j’allais faire de la musique, il y en a un qui m’a dit : « Mais tu vas faire DJ ?! » J’ai vu dans ses yeux que ça lui plaisait pas du tout. C’est marrant parce que maintenant ces gens-là me réécrivent. Ils peuvent même venir aux concerts mais, sur le coup, ils n’ont pas compris.

Entre l’art contemporain, la musique et le cinéma… Quel est le milieu le plus snob ?
L’art contemporain au niveau du snobisme c’est vraiment le graal, c’est très dur. Tu dois aller aux vernissages pour te montrer, espérer croiser le galeriste pour montrer ton travail, puis quand tu es pris dans une galerie tu dois attendre parfois un an pour avoir un créneau d’exposition. Souvent les pièces sont très fragiles et il faut trouver des entrepôts pour les stocker… C’est violent. La musique, c’est génial : je n’ai rien à reprocher à ce milieu, pas de MeToo, rien. Tout le monde est sympa. Et le cinéma… Je trouve que ça va, mais aussi parce que je m’en fiche. Je n’ai pas mes pions dedans. Pour les acteurs, ça doit être très dur. Tu es en représentation tout le temps. Tu ne peux pas prendre le métro quand tu t’appelles Vincent Lacoste. Moi, je peux prendre le métro tranquille !

It Follows, David Robert Mitchell © Metropolitan Films Export


Maintenant que vous faites partie des votantes aux César, quelles sont les bandes originales qui sortent du lot cette année ?
Je pense à la musique de Disco Boy par Vitalic. Il y a des scènes où le personnage est en transe, avec les yeux qui se révulsent… J’ai trouvé que la musique était dingue. Il a ses chances cette année ! Sinon, une de mes références en B.O., c’est celle de It Follows par Disasterpeace.

Comment s’est passée la dernière cérémonie, quand vous avez reçu le César de la meilleure musique originale ?
C’était surréaliste. Il n’y avait pas de fuite, je ne savais rien. Je le jure ! (rires) Juste avant la remise des prix, on s’était retrouvés dans un petit café avec l’équipe et je vois Eric [Gravel, le réalisateur d’À plein temps, ndlr.] avec une tête comme ça et qui me dit : « J’ai vu des pronostics sur internet, le film n’aura rien ! » Je lui dis : « Mais tu ne vas pas te fier à ça… » Ensuite dans la salle, j’étais vraiment contente, ça s’est vu je crois ! On a dîné à minuit au Fouquet’s, on en est sortis à 3h du matin. J’étais crevée, j’avais mes talons à la main et un concert le lendemain avec un train pour Vannes à 8h30. Donc je suis rentrée chez moi. J’étais… vannée.

Vous bossez beaucoup sur la couleur rose… Un avis sur le phénomène Barbie ?
Alors je ne l’ai pas vu, mais c’est drôle, l’autre jour on en parlait quand on déclinait les visuels de l’album et j’ai dit au graphiste : attention, c’est pas parce que ça s’appelle « Rose Fluo » qu’on doit tomber dans le truc Barbie ! Il faut que ce soit des nuances de rose… On ne va pas se transformer en espèce de gâteau rose. Et c’est aussi pour la fleur ; je vais même avoir une espèce de rosier à mon nom qui va sortir l’année prochaine !

Il paraît que vous avez une passion pour Midsommar d’Ari Aster ?
Oui, en fait le morceau « Bienvenue » sur l’album « Kinky Dogma » vient du film, que j’adore et que j’ai vu trois fois. Je l’avais montré à des copains qui étaient passés à la maison. On était un peu en descente de la fête de la vieille et ils se cachaient les yeux pendant tout le film… J’adore la scène où le couple se suicide en sautant. Par contre, je n’aime pas qu’on les voit avec du faux sang par terre. Je n’aurais pas mis ce plan, ça m’énerve. Ensuite j’ai moins aimé Beau is afraid, je ne le reverrai pas. Mais j’ai quand même demandé à mon agent de faire un mail à Ari Aster pour lui dire que j’aimerais travailler avec lui.

Sleeping Beauty, de Julia Leigh © ARP Sélection


Vous dîtes qu’une partie de vous est austère et morbide. Il y a des films de chevet qui vont avec ?
J’adore Sleeping Beauty de Julia Leigh. Sinon, ado, il y a eu Lost Highway. Je l’avais gravé en DVD à l’époque ! La musique, le générique… La bande jaune sur l’autoroute, comme c’est beau… Et puis Eyes Wide Shut avec la musique de Jocelyn Pook. J’avais fait des recherches sur le morceau dans la scène où le type tape avec son bâton, et en fait il est récité à l’envers. Un de mes premiers morceaux était aussi récité à l’envers donc ça m’a fait sourire. Sinon, un de mes films préférés, c’est Get Out de Jordan Peele.