JACKY CAILLOU de Lucas Delangle
Pour son premier long–métrage, Lucas Delangle nous emmène voir le loup dans un village de haute montagne. Rebouteux, brebis et lycanthropes jalonnent Jacky Caillou, chronique paysanne sur fond de réalisme magique. Saisissant.
Dans la pénombre d’une bicoque rococo, un jeune homme traque les sons de l’invisible à l’aide d’un micro-canon. Le plancher qui craque à l’étage du dessus, un engin agricole dans les champs. Et puis, une incantation murmurée de l’autre côté de la paroi. Une formule magique récitée comme une vieille rengaine. L’oreille collée à la porte : « Protégez ce monsieur qui a du mal à son dos. » Jacky Caillou a interrompu la séance de magnétisme de Gisèle, sa rebouteuse de grand-mère. Morigéné, le garçon se confond en excuses et referme la porte. L’ouverture de Jacky Caillou propulse d’emblée le spectateur sur une ligne de crête, à cheval entre captation documentaire et narration romanesque. Ce singulier dispositif irrigue le premier long de Lucas Delangle, jeune cinéaste sarthois qui a fait ses classes chez Claire Simon. De son travail avec elle sur le documentaire Le Bois dont les rêves sont faits, on retiendra surtout son goût pour les « illusions vraies », les paradis perdus et les échappées sauvages. Un tropisme à l’œuvre dans Jacky Caillou qui assume également sa filiation avec l’œuvre d’un autre célèbre promeneur solitaire, Alain Guiraudie (tendance Rester vertical). S’il verse moins dans l’érotisme champêtre que son aîné, Delangle manifeste un véritable goût pour les écosystèmes locaux, puisant ici plus particulièrement ses racines dans les contes et mystères ancestraux.
Mords-moi sans hésitation
L’histoire, donc : celle d’un orphelin élevé par sa grand-mère qui lui enseigne la guérison des maux du corps avec ses doigts de fée, un don qu’on se transmet de génération en génération dans la famille, avant de lui passer symboliquement le relais à son tour. Le cadre, maintenant : un village perché dans les Alpes, théâtre des Profils paysans de Raymond Depardon. Dans ce monde agricole esseulé, on maintient notamment le lien social grâce aux battues pour débusquer les loups qui déciment les troupeaux de brebis. Entre alors en scène Elsa, une fille de la ville exilée au pays des âmes en peine. Jacky essaie de la débarrasser d’une mystérieuse excroissance touffue dans le dos. La marque du désir féminin placé sous le signe d’une sensualité débridée dont l’irruption fait basculer le film dans un réalisme magique peuplé de lycanthropes et de guérisseurs. Lucas Delangle préfère, lui, qualifier son premier film de « fiction naturaliste, sur un territoire, mais avec un présupposé fantastique ». Résultat ? L’une des œuvres les plus insolites présentées à l’ACID cette année. Jacky Caillou s’inscrit dans le sillage du (re)nouveau (du) cinéma fantastique français. Moins facétieux que les « Boukherma Brothers » (Teddy, L’Année du requin) mais plus audacieux qu’Arnaud Malherbe (Ogre), Lucas Delangle s’amuse à créer du rapport entre les figures imposées du genre (brume, barbaque) et un réel en manque de miracle, sans recourir au moindre effet numérique. De cette fragile équation naît ce long-métrage porté sur les épaules de son acteur principal, Thomas Parigi, un musicien amateur découvert un soir dans un bar marseillais. Delangle flanque à ses côtés une vraie trogne de cinéma – de celles qu’on aimerait croiser plus souvent sans forcément tomber dans le pittoresque, Edwige Blondiau, grand-mère gouailleuse ascendant Ch’ti découverte dans le précédent moyen-métrage du réalisateur, Du rouge au front, un documentaire sur l’airsoft que traversent (déjà !) la thématique de la transmission et un puissant désir de fiction. Mentionnons également la performance de Lou Lampros, actrice « magnétique » dont la caméra capte la beauté double. Lucas Delangle s’entoure également d’autres gueules, « du cru » celles-là, des locaux qui teintent les dialogues du cinéaste de leur phrasé hybride. C’est peut-être la vraie formule magique de Jacky Caillou : peupler l’espace de mots et de sons du quotidien pour réenchanter un monde désespérément trop cartésien.