JONAS MEKAS : « Un cinéaste expérimental ? Ça n’existe pas. »

Quand il arrive à Brooklyn, en 1949, accompagné de son frère Adolphas dans un bateau en provenance d’Europe, rien ne laisse imaginer que Jonas Mekas deviendra plus tard l’homme qui libérerait le cinéma. De John Waters à Martin Scorsese, en passant par Harmony Korine, beaucoup voient en lui un maître, celui qui a prouvé que pour faire un film, pas besoin de technique ni de scénario, il suffit de regarder le monde. Après avoir quitté son pays en pleine Seconde Guerre mondiale, New York incarnait pour lui un nouveau monde, et la découverte du cinéma. Avant, il n’avait jamais rien filmé. À l’occasion de son 100e anniversaire sort un coffret de 27 films de ses journaux filmés, édité par re :voir et disponible dès le 13 avril. Et ce n’est pas tout, une exposition de photos à la Film Gallery à Paris du 14 avril au 5 mai et une rétrospective à la Cinémathèque Française du 13 au 30 avril sont également au programme. Un bon prétexte pour se replonger dans cette interview qu’il nous avait accordé quelques années avant sa mort.

Quand je suis arrivé aux Etats-Unis, j’avais 27 ans et je n’étais personne. Mais j’ai rencontré très vite et très facilement tout le monde de cette période. C’est très simple. Je venais de perdre dix ans de ma vie : la guerre, le camp de travail d’Elmshorn, en Allemagne, les camps de déplacés, les occupations soviétiques, les dictatures… Cette période de la vie où l’on grandit, on lit, on apprend, on rencontre des gens… toutes ces années m’avaient été enlevées. Entre 17 et 27 ans, je n’avais eu accès à rien. Alors une fois à New York, je me suis plongé dans tout ce que je pouvais, je me suis laissé atteindre par tout, parce que j’en avais besoin, j’étais comme une éponge sèche. J’ai commencé à voir immédiatement tout ce qui se passait au niveau du cinéma, de la danse, du théâtre, de tous les arts. J’étais entièrement ouvert à tout. J´étais assoiffé.

Mais, quand vous dites que vous n’avez eu accès à rien, par exemple, vous vous êtes fait confisquer des livres ? Pas besoin : pendant l’occupation allemande et soviétique, avoir des livres était tout simplement interdit ! Surtout sous les Soviétiques, c’était pire qu’avec les Allemands. Dans les camps de travail, tout est verboten, on vous enlève tout. On pouvait avoir une petite idée de ce qui se passait, on pouvait en entendre parler, mais on n’y avait pas accès.

Et une fois à New York, vous avez mis beaucoup de temps à vous procurer votre première caméra, votre première Bolex ? Je travaillais dans une usine à Brooklyn et j’ai réussi à mettre un petit peu d’argent de côté pour m’en acheter une assez vite. Ce n’était pas très difficile. Et c’était déjà le début d’une partie totalement différente de ma vie. J’en ai vécu plusieurs…

Votre vie « dans le cinéma », vous auriez aimé la démarrer en filmant un flocon de neige. Pourquoi ? Parce que pour moi cela représentait un sentiment très particulier de ma vie à New York, la joie que j’ai pu expérimenter parfois en sentant la neige qui tombait sur mon visage une fois là-bas, quand je me baladais tout seul dans les rues après le travail. Mais je n’ai pas réussi à filmer la neige la première fois que je me suis servi de ma Bolex, car tout simplement, la neige n’arrivait pas ! Alors ma toute première image, c’est un plan d’un arbre depuis mon appartement de Williamsburg.

Ce qui impressionne quand on voit vos premiers films ou des passages de Lost, lost, lost c’est d’une part votre sensibilité à tout ce qui vous entoure et, surtout, la vie incroyablement solitaire que vous meniez au départ… Oui, je ne connaissais personne, j’avais juste mon frère et un parent à New York que j’avais rencontré dans le camp de Kassel. Surtout, quand on vous empêche de rentrer chez vous, ce n’est pas la même chose que de partir pour un temps et faire de l’argent, sachant qu’un jour, vous finirez par rentrer. Moi je savais que je ne pourrais pas retourner chez moi. Que c’était fini. Et on n’abandonne pas ses racines si facilement…

Combien de temps avez-vous dû attendre avant de revenir en Lituanie ? Vingt-cinq ans. Mais on ne peut pas revenir, en réalité, c’est faux ; on ne peut que regarder en arrière (we can’t go back, we can only look back). Il n’y avait plus rien de ma vie, de mes souvenirs, tout avait disparu. Et surtout, j’étais déjà un autre. New York avait poussé petit à petit en moi. On est devenus très proches au bout de trois ans, la ville et moi. Et il y avait aussi la vie artistique de la ville. Ça, ça a été immédiat. J’étais dedans, direct, tout de suite. Pendant deux ou trois ans je n’ai pas loupé une seule pièce, un seul film, un seul ballet. Et pareil pour les classiques. Il y avait tant à rattraper ! Dans le cinéma, la littérature, la peinture… C’était une période très intense et occupée pour moi en plus du boulot à l’usine. Et après trois ans de Brooklyn, j’ai fui à Manhattan. Et c’est là que ma vie commence vraiment ! C’est là que j’ai commencé à organiser mes premières projections, c’est là que j’ai créé la revue Film Culture…

Les gens qui écrivaient dans Film Culture, c’étaient vos premiers amis à New York ? C’est comme ça que vous avez trouvé votre cercle ? Oui, c’est ça. Ça m’a permis de rencontrer beaucoup de gens de façon très différente. Par exemple, après le premier numéro, un professeur de journalisme de l’Université de Columbia est venu me voir et me dit : « Ah, c’est vous qui avez créé cette revue de cinéma ? Eh bien écoutez, j’ai deux élèves qui sont absolument cinglés. L’un s’appelle Andrew Sarris, et il a démoli Le Cuirassé Potemkine. L’autre s’appelle Eugene Archer, et il a démoli Le Cabinet du Dr Caligari. Non mais vous y croyez vous ? » Et j’ai répondu : « Je crois surtout que je les veux pour ma revue ! » Peter Bogdanovich est arrivé à la rédaction ensuite… Bref, c’était très facile pour moi de recruter des gens parce qu’il n’y avait pas d’autre revue sérieuse sur le cinéma aux États-Unis. En France, il y avait les Cahiers et Positif, en Angleterre il y avait Sight & Sound… Même des gens comme Pauline Kael sont arrivés plus tard.

Avant votre arrivée aux États Unis, vous étiez surtout un homme de littérature, de photographie… Et à New York, vous suivez tous les arts. Alors, pourquoi commencer par le cinéma plutôt qu’autre chose ? Je ne sais pas, je voulais faire ça. Cela dit, la poésie m’a toujours accompagné. J’en faisais avant le cinéma et j’en fais toujours. Mais, sans pouvoir donner une explication, je savais juste que je voulais faire des films. Evidement, la langue a joué : je n’avais pas d’autre langage dont je pouvais me servir en totale liberté pour créer. Mon anglais étant très limité, je ne pouvais communiquer avec personne à New York. Les films me semblaient parler une langue internationale. Evidement, j’ai très vite compris que je me trompais.

Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? Quand j’ai commencé à organiser des projections de mes films, mes amis me regardaient bizarrement. « Qu’est-ce que c’est que ça ? On ne comprend pas ce que tu fais… Le cinéma, ça se fait à Hollywood, et ce n’est pas ça. » Ils étaient habitués au langage du cinéma commercial. Le cinéma poétique est plus intense et condensé. C’est comme dans l’écriture. Quand on est très attaché à la prose et à la littérature narrative, on a du mal à lire de la poésie, on ne la comprend pas. Un livre de poèmes se tire à 500 exemplaires, alors que les romans bon marché des gares se tirent à un million. Et c’est comme ça que j’ai appris que le langage de mon cinéma n’était pas exactement le même que celui des films commerciaux.

Mais justement, l’une des batailles que vous avez menées dans votre vie est celle que reflète le film Birth of a Nation (1997), à savoir, qu’il n’y a pas de différences entre artistes et cinéastes, qu’il n’y a que des filmmakersOui, disons que le cinéma est un grand arbre. Et cet arbre a beaucoup de branches différentes qui ont poussé dans les années 1950, 60 et 70. Le cinéma est alors devenu un art mûr. A ce moment-là, plus personne ne se moquait de vous si vous faisiez un petit film poétique. Mais il y a toujours un certain mépris envers ce cinéma, on le prend moins au sérieux. La preuve : on va appeler ces films « expérimentaux ». Même ici, à Locarno, dans un festival de cinéma, on a dit que le film de Douglas Gordon est un film « expérimental ». Expérimental ! Brakhage n’a jamais expérimenté ! Il faisait ce qu’il voulait faire, il n’y avait pas d’expérience, on parle de cinéma, pas de science. Je crois qu’il n’y a jamais eu un seul cinéaste expérimental. Ça n’existe pas. Ce serait comme dire qu’Apollinaire est un « écrivain expérimental ». On continue à écrire l’histoire du cinéma avec une terminologie obsolète. Et, désolé de le dire, mais en grande partie, c’est à cause de certains critiques français très importants, comme Bazin, pour qui le cinéma se réduisait au cinéma narratif. Vous imaginez un grand critique littéraire pour qui la littérature se réduirait aux romans ?

Vous parliez de vos premières projections, qui se sont mal passées. Quand est-ce que cela a commencé à marcher ? Mes projections ne sont devenues un peu sérieuses qu’en 1961, puis surtout après The Brig, en 1963, pour lequel j’avais filmé une représentation du Living Theatre sur dix Marines enfermés à Fuji en 1944. C’est ce que je fais toujours : réagir devant la vraie vie, comme un journaliste réagit devant la réalité. Mais je restais sans le savoir pris dans le filet des formes établies du cinéma. Ce n’est qu’en 1967 que je me suis rendu compte que je devais abandonner ça. J’ai commencé à mettre ensemble des petits bouts que j’avais filmés et que j’aimais bien, et ça a fait Walden, en 1967. Et là je considère que mon cinéma commence vraiment.  

Ce qui reste difficile à comprendre c’est comment vous avez pu passer de cette solitude extrême à tous ces amis si différents autour de vous… Jusqu’à occuper une place centrale dans le cinéma et la culture américaine. C’était la nécessité de partager ce que j’aimais avec les autres. Quand j’aimais un film, je sentais de plus en plus le besoin de le montrer, que d’autres gens puissent sentir la même chose que moi, et qu’on puisse en parler avec excitation. J’ai donc commencé à rencontrer ces nouveaux cinéastes qui me plaisaient tant, les Stan Brakhage, Kenneth Anger et compagnie, et j’ai réalisé que beaucoup de gens ne connaissaient pas leur travail. Et pareil pour beaucoup de films européens que j’adorais de l’époque des avant-gardes. Je me suis dit : « Qu’est-ce qu’on peut faire ? Eh bien, il va falloir que je les montre, moi ! » C’est comme ça qu’au printemps 1953 j’ai commencé à organiser des petites projections pour que les gens que je côtoyais dans d’autres séances puissent les voir. J’ai commencé dans la Ciné Gallery, puis, dans le Lower East Side, le Film Forum, dans les 50’s. Et dans les années 60, j’ai créé la Filmmakers’ Cinematheque, qui est devenue l’Anthology Films Archive, qui existe encore. Comme la presse ne parlait pas de ces projections, il a fallu que je me mette à écrire des annonces et des piges que je publiais dans le Village Voice. Et petit à petit, ma vie a avancé et j’ai rencontré des amis. A un moment donné je n’avais plus du tout de temps pour moi. Ni d’argent ! 

La rencontre avec Andy Warhol a été très importante pour vous ? En janvier 1962, on a créé la Filmmakers’ Cooperative, parce qu’il se passait énormément de choses mais très peu de distributeurs étaient prêts à montrer ces films : pour eux, c’était des films ratés. Alors, on s’est dit qu’on n’avait qu’à les distribuer nous-mêmes. Le bureau central était mon appartement, alors qu’il servait déjà de bureau pour la revue Film Culture. Bref, tous les jours il y avait des cinéastes qui venaient se retrouver chez moi, puis leurs amis : des peintres, des musiciens, des poètes, particulièrement le soir, envahissaient mon appart. En sortant des toilettes, vous pouviez croiser Alain Ginsberg ou Robert Frank… Tout le monde était là ! Et tout le monde débarquait avec des petits films qu’ils venaient de finir. Tous les soirs ça discutait, ça picolait, ça montrait des films… Un jour, quelqu’un parmi toute cette faune m’a invité à son anniversaire, et m’a dit : « Il y aura plein d’amis, et Andy Warhol sera là. » Mais je ne savais pas qui c’était. « Quoi ? Mais ça fait des semaines qu’il est posé par terre chez toi tous les soirs ! » Comme si j’avais le temps de rencontrer tout le monde qui traînait chez moi ! Quand je l’ai rencontré, je me suis rendu compte que mon appart était un peu l’école de cinéma d’Andy, que c’est là qu’il avait rencontré beaucoup de ses futures « super stars », comme il les appelait. Jack Smith, Taylor Mead, Paul Morrissey… C’est là qu’il a décidé de faire des films avec eux, et c’est dans les projections qu’on organisait au cinéma de Bleecker street qu’il a présenté ses premiers films, ses Tests et surtout Sleep. C’est comme ça que notre travail et notre amitié ont commencé. La relation était très basique : il avait les films, moi, j’avais l’espace. Il finissait un film et le lendemain je le montrais.

Il paraît que Salvador Dali venait aussi à votre appart ? On le voit dans votre film In Between (1978)… Oui ! Il venait avec Miss France (sic.), Isabelle Collin Dufresne, aussi connue sous le pseudo d’Ultra Violet. Il avait entendu dire que des choses curieuses se passaient dans mon loft et comme il était très intéressé par la scène artistique de l’époque, il est venu voir. Il a commencé à organiser des happenings assez rigolos et il me demandait de l’aide, ainsi qu’à d’autres habitués. Une autre fois, c’est moi qui suis venu le chercher. Comme je récoltais des fonds pour Film Culture, en 1956, j’avais organisé une fête au MoMA, où les gens pouvaient participer à une collecte. J’ai fait passer un message à Dali lui disant que je le voulais comme speaker pour la soirée, sachant que cela attirerait plein de monde. Il a dit qu’il viendrait, donc tout le monde l’attendait. Et finalement, quelqu’un arrive avec une très longue lettre. Elle était écrite par Dali à la main, me demandant de la lire à sa place, ce que j’ai fait, sauf que c’était un mélange d’anglais, de français et d’espagnol que je ne comprenais pas !

D’autres rencontres semblent encore moins évidentes : comment diantre avez-vous rencontré les Kennedy ? C’est le photographe Peter Beard que je connaissais et qui travaillait pour Vogue… C’est comme ça qu’il a rencontré un jour les sœurs Bouvier, c’est à dire, Jackie Kennedy et Lee Radziwill. En discutant avec lui, Jackie lui dit que ses enfants devraient avoir une éducation en photographie et en cinéma, et elle lui demande s’il connaît quelqu’un qui pourrait faire un bon tuteur pour les petits Kennedy. Comme Peter venait de jouer dans le premier film de mon frère, Hallelujah the Hills,(1963), il lui balance : « Mais bien sûr, je connais l’homme de la situation, c’est Jonas ! » C’est comme ça qu’il me l’a présentée et qu’on est devenus amis.

Jackie Kennedy avait cité Walden parmi ses films préférés, non ? Oui, et elle aimait beaucoup aussi Reminiscences of a Journey to Lithuania, elle avait même organisé une projection chez elle pour la fête des mères ! (rires) Un peu plus tard, quelqu’un lui a suggéré qu’elle devrait essayer de faire un film biographique et elle a pensé à moi. J’ai commencé à filmer, à retrouver des archives sur elle, sa vie, sa famille…. Mais des gens de la télé ont entendu qu’un film sur Jackie Kennedy était en train de se faire, et que le réalisateur était un type inconnu. Et ça, ils ne pouvaient tout simplement pas l’accepter. Ils ont essayé de persuader Jackie de leur donner rendre le film pour qu’ils trouvent un réalisateur comme il faut. Jackie a insisté et insisté et on a fini par organiser une réunion avec les gens de la télé. Ils ont dit : « On vous propose ceci : on gardera votre nom sur le générique, mais on réalisera le film à votre place. » J’ai répondu : « J’ai ma Bolex, je n’ai besoin de personne, je suis un one-man-team et on a déjà beaucoup travaillé sur ce film ! » J’ai fini par comprendre qu’à cause des connexions des gens de la télé, me garder comme réalisateur pouvait causer des problèmes à la famille. J’ai dit à Jacqueline : « Jackie, laissons tomber, on leur donne le film. » Elle m’a répondu : « Si ce n’est pas toi qui le réalises, je ne veux pas de film sur moi. » Et c’est comme ça que le film sur Jackie Kennedy est resté inachevé.

Et quel genre de leçons avez-vous donné à John-John et Caroline ? Jackie voulait principalement qu’ils apprennent à se servir d’une caméra, je pense que pour elle c’était une activité qui pourrait les aider à surmonter la mort tragique de leur père. On faisait ça surtout l’été, c’était très agréable et très simple. Surtout que John s’intéressait vraiment au cinéma. À 13 ans, dans son lycée, qui était très huppé, il avait déjà présenté pour un travail un film expérimental sur quatre écrans ! Et c’était très intéressant. Je me demande si l’école l’a toujours, les gens devraient voir ça !

Vous avez fait un film sur Martin Scorsese pendant le tournage des Infiltrés, mais à quand remonte votre relation ? Oui, il m’avait permis d’être sur le plateau pendant deux semaines pour faire ce film, qui n’est que mon hommage à un vieil ami… Quand il avait fait Who’s That Knockin’ at My Door, il était complètement inconnu. Avec Shirley Clarke et mon frère, on est allés voir une station radio pour les convaincre de nous donner une heure d’émission pour parler d’un nouveau film d’un jeune cinéaste qu’on trouvait formidable et qui méritait d’être défendu. J’ai toujours la cassette, on entend aussi Scorsese qui nous rejoint à l’antenne, c’est une émission vraiment drôle. Il m’a toujours été très reconnaissant de ce petit coup de pouce.

Vous entretenez un lien très spécial à Paris, vous en avez même fait un film Celebration of Paris (2010), comment elle a commencé cette histoire ? La première fois que je suis venu en France c’était en 1963, parce que les Français avaient beaucoup aimé le film de mon frère, Hallelujah the Hills et il a été montré à Cannes. Là, on a rencontré l’écrivaine Christiane Rochefort, et ce sera très important car, l’année suivante, j’ai montré à New York Flaming Creatures, de Jack Smith (1963) et Un chant d’amour, de Jean Genet (1950), et on m’a mis en prison pour obscénité. À ce moment-là, elle a demandé à Jean-Paul Sartre de me soutenir, et avec lui, ils ont rédigé une lettre au New York Times pour dénoncer ce qui m’était arrivé. Plus tard, Henri Langlois est devenu un grand ami, puis j’ai rencontré Agnès B. qui m’a exposé dans sa galerie… Maintenant, j’ai plus d’amis à Paris qu’à New York.

Puisque vous parlez de votre passage en prison en 1964 après la projection de Flaming Creatures, cela ne vous a pas accablé, de voir que même aux États Unis la liberté d’expression avait un prix ? Non, non, non ! Après la guerre et le camp de travail, rien ne peut vous choquer. Je ne croyais tellement pas à la censure existante que je savais qu’il suffisait d’attirer l’attention sur un cas, pour provoquer toute une réaction en faveur de la liberté d’expression. Pour tout vous dire : je savais parfaitement que j’allais me faire arrêter, quand j’ai organisé cette projection. Je suis arrivé à la salle avec un sandwich au poulet dans ma poche pour le manger le soir en taule. Ce sandwich, je l’ai partagé avec mon voisin de cellule. Un jour, deux ans plus tard, je me balade à New York, et je croise un Black dont la tête me dit quelque chose. Puis je vois qu’il se retourne et il vient en courant vers moi : « Je vous connais, je vous connais ! Vous m’avez donné la moitié de votre sandwich en prison ! »

Jonas Mekas à la Cinémathèque Française :

Coffret Jonas Mekas (re:voir)