Jonás Trueba et Itsaso Arana : « On n’est pas toujours obligé de représenter l’amour sous l’angle du coup de foudre »
Si la répétition est au cœur du très plaisant Septembre sans attendre présenté cette année à la Quinzaine des cinéastes et dont nous vous faisions la critique il y a quelques jours, on se plaît à voir Jonás Trueba et l’actrice-réalisatrice Itsaso Arana retravailler ensemble encore et encore depuis La Reconquista et le succès d’Eva en août. Rencontre avec un duo d’auteurs qui ne croient pas au coup de foudre. Par Lucas Aubry.
D’où vient cette drôle d’idée d’organiser une fête de séparation, point de départ du scénario ?
Jonás Trueba : C’est une idée de mon père, Fernando Trueba, qui joue également le rôle du père dans le film. Cette phrase qu’il me répétait lorsque j’étais adolescent m’a toujours occupé l’esprit, jusqu’à ce que je me dise que c’était un excellent point de départ pour film. J’ai eu l’intuition que c’était un bon argument pour réaliser un film dans la lignée des comédies classiques hollywoodiennes que j’ai dévorées grâce à lui dès l’enfance, comme L’Amour est une grande aventure de Blake Edwards, dont on discute dans le film par exemple.
Vos personnages ne savent jamais ce qu’ils veulent…
JT : En discutant avec mon équipe, je me suis rendu compte que mes personnages n’avaient jamais réellement d’objectifs, de ligne conductrice précise, quelque chose qui les meut de façon linéaire. Ce n’est pas Kill Bill, qui tend tout entière à se venger, ce n’est même pas les films de Rohmer où les personnages peuvent avoir une destination, c’est plus quelque chose de l’ordre de la déambulation. Sur Septembre sans attendre, Je m’étais dis que j’allais briser ça : mes personnages savent qu’ils veulent se séparer et ils savent pourquoi et puis finalement, ils ne sont plus si sûrs que ça, ils cahotent un peu et recommencent à dévier d’une ligne droite, à slalomer. Itsaso dit qu’ils sont comme Madrid, où l’on a d’autre choix que de faire des détours.
Vous souvenez-vous de votre première rencontre ?
Itsaso Arana : Lors de l’entracte d’une projection de Sátántangó, de Béla Tarr, à la Filmoteca Española. C’est à ce moment-là que j’ai vu le premier film de Jonás et j’ai eu l’impression de le connaître depuis toujours, d’assister à quelque chose de très familier. La suite est totalement cinématographique : j’ai rêvé que je tournais dans son film, je lui ai écrit et c’est comme ça qu’on a tourné La reconquista (2016).
Qu’a changé l’arrivée d’Itsaso dans votre cinéma ?
JT : Lorsque j’ai reçu son mail, j’ai su qu’il fallait que je réécrive entièrement mon scénario. Je pense que c’est lié à l’admiration que j’ai pour elle en tant qu’actrice et dramaturge, ce qui est sa principale occupation à l’époque. Mon premier film offrait un regard incontestablement masculin, et lorsque nous nous sommes mis à écrire ensemble, sur Eva en août (2020), c’est encore une autre ouverture qui s’est opérée, ma façon d’être et de voir les choses a changé définitivement.
IA : Ce que je peux dire de Jonás, c’est qu’il a dans le sang la transmission du cinéma. Certains réalisateurs nous tiennent à distance, mais lorsqu’on voit ses films on se dit qu’on a envie d’en faire. À tel point que c’est exactement ce qui s’est passé pour moi, je suis passée à la réalisation (Les filles vont bien, 2023) alors que je n’étais pas du tout partie pour.
La mise en scène joue sur la répétition d’une même annonce tout au long du film. Qu’en est-il de l’idée de répétition dans le couple, qui a bien souvent mauvaise presse ?
JT : C’est vrai que l’on présente toujours la banalité comme un tue-l’amour, alors qu’il y a une grande beauté dans le quotidien, dans ce dédale de détails qui se répètent. On n’est pas toujours obligé de représenter l’amour sous un l’angle du coup de foudre ou dans sa dimension spectaculaire. Pour moi l’un des plus beaux films du cinéma est celui de Jonas Mekas, Walden (Diaries, Notes and Sketches), qui tient précisément de ces petites choses et de ces petits gestes. Le film le montre se rendre tous les jours à Central Park avec sa femme, on est avec eux de la manière la plus juste possible, c’est absolument sublime.
Septembre sans attendre, en salles le 28 août 2024.