KAD MERAD : « Moi, je ne renie pas du tout le Club Med »

– KAD MERAD : « Moi, je ne renie pas du tout le Club Med » –

C'est officiel : ce sera lui, le prochain maître de cérémonie des César. Ces dernières années, Kad Merad n'a plus peur d'alterner la grosse comédie « légère » et le drama façon Tchao Pantin. Peut-être parce que le Baron Noir qui restera dans les annales, c'est lui, plutôt que Julien Dray ? Du Club Med à Delarue, des faubourgs de Ris-Orangis au sixième arrondissement de Paris, confessions d'un inconnu passé Superstar sans jamais arrêter de faire le pitre. Propos recueillis par David Alexander Cassan et Raphaël Clairefond. Photos : Xavier Lambours

 
17h, chez Da Rosa, une « cantine » portugaise plutôt chic, à quelques encablures de Saint-Germain- des-Prés. Il débarque pile à l'heure, mais s'excuse quand même : « Désolé, putain ça a été dur la journée… Je me suis levé très tôt dans la nuit pour travailler sur le script sur lequel on bosse avec Olivier (Baroux, ndlr). Et puis après on a une émission de télé, et ça c’est quand même la casse-couillerie… C’est une émission sur le cinéma, alors ça va, mais putain ! ». Mister Kad retire son béret et un long manteau d'hiver gris très élégant. Il se pose à peine, déjà à fond : « Vous voulez un Coca Zéro ? Oh le truc de Parisien… Moi je voudrais bien un thé à la chatte, y a pas ça ? Un thé goût chatte… NON, NON, N’ENREGISTREZ PAS, ÇA ! »
 
Dans une interview, le patron de ce resto, José Da Rosa, citait les stars qu’il accueille dans son restaurant : Jean Dujardin, Luc Besson, Marion Cotillard, ou même Emmanuel Macron. Vous êtes un peu mondain, en fait ?
Et il n’a pas dit Kad Merad ? Si ? Mais pas du tout, je ne suis pas mondain. C’est drôle que tu me dises ça parce que l’autre jour, j’ai été manger chez Cyril Lignac et je vois débarquer Vincent Cassel qui me dit : « Putain mais c’est le Festival de Cannes, ici ! Y avait Marion Cotillard hier, Yvan Attal… » Mais moi, Cyril Lignac c’est quelqu’un que je connais, et je sais que je vais bien manger, c’est tout. Si tu regardes bien, tu me vois rarement dans les pages people… Les mondanités, ça me fait marrer, mais je suis resté le gars de banlieue qui regarde ça de loin et qui fait son taf. Dans le métier j’en ai peu, finalement, de vrais copains.
 
Vous venez de terminer une tournée pour la pièce de théâtre Acting, avec Niels Arestrup, c'est devenu un bon copain depuis Baron Noir ?
Ah non, Niels Arestrup, tu ne peux pas partir en vacances avec lui… J’adore Niels, parce qu’il a un caractère particulier. Il faut passer du temps avec lui pour qu’il apprenne à vous apprécier, parce qu’il est assez dur avec les gens. C’est un type que je trouve génial mais il faut savoir qu’il y a des moments où il va être de mauvaise humeur et les mauvaises humeurs de Niels, pffiou, ça part ! Mais jamais avec nous, jamais avec les techniciens. C'est plus avec la production, avec les puissants, dès qu’il y a des rapports de force. Niels, pour moi, c’est une rencontre déterminante, parce que j’ai vachement appris avec lui. Je vais faire une métaphore tennistique : quand tu joues avec un grand joueur de tennis, tu vas t’accrocher, tu vas chercher la balle au fond du court… On apprend toujours au contact d’un grand acteur, d’un grand metteur en scène. J’ai la sensation que, de film en film, il y a des choses qui arrivent que je n’aurais pas pu faire avant. Après, ça ne veut pas dire que je suis meilleur, hein, mais quand je vois les films que je fais aujourd’hui, y a un peu plus d’épaisseur, de fond, de « fond de jeu ». Non mais c’est vrai ! Vous foutez pas de ma gueule, parce que je peux quitter l’interview et là, vous serez dans la merde…
 
{ Son thé à la citronnelle arrive : « C’est ça la citronnelle ?! Vous vous foutez de ma gueule ? Le mec est super sympa au début, mais en fait c’est une grosse merde… » }
 
Dans Comme des Rois, votre personnage fait du porte-à-porte, comme vous à une époque quand vous vendiez des encyclopédies…
C'est sûr que ça me rappelle des souvenirs, de l’époque où je tapais à une porte et que je devais vendre une encyclopédie qui coûtait 3000 francs… De toute façon, sans faire l’Actor’s Studio, tout doit servir à un acteur. Ça peut être une humiliation à la porte ou ne pas pouvoir payer son loyer. Moi, j’ai souvent été à la banque pour pleurer parce que j’étais à découvert… C’est horrible mais ça sert, finalement. Je ne veux pas avoir l’air d’un vieux quand je dis ça, mais le temps, ça aide pour un acteur. En tous cas dans mon cas. Il y a peut-être des mecs qui sont plus forts, plus vite, plus tôt, mais moi, je suis comme un bon vieux millésime.

 
Vous avez des souvenirs, de l’époque où vous viviez en Algérie ?
Non, on n’a jamais vraiment vécu là-bas, même si j'y suis né. Mes parents y ont vécu pendant deux ans. D’ailleurs, mon père dit toujours qu’il est Français alors que moi je dis qu’il est Algérien, c’est la guerre entre nous… Je sens qu’il se rapproche de plus en plus de ses origines, en ce moment, alors qu'il n’a plus vraiment vécu en Algérie depuis ses 17 ans. Il est arrivé en France par le biais de l’armée française. Quand il y a eu la guerre d’Algérie, mon père avait entre-temps rencontré ma mère, qui est berrichonne et coiffeuse. Donc après la guerre, ils ont voulu venir en Algérie pour monter un salon de coiffure sauf que c’était trop tôt. Pour ma mère, c’était l’enfer… Moi, je suis né pendant ces deux années-là. Après, on y retournait pour les grandes vacances : à côté de Tlemcen, dans un village qui s’appelle Ouled Mimoun, ou Lamoricière du temps de la présence française. Un petit village où mes grands parents avaient une ferme, et où on passait trois semaines tous les étés. Il faisait très chaud, on restait dans une espèce de cour, un patio typique d’Afrique du Nord, et ma grand-mère ne parlait pas français. Du coup, on communiquait par les regards, les sourires, les bisous… En vieillissant, les parents se rapprochent de leurs origines : les miens parlent peut-être de partir là-bas, puisque ma tante leur aurait réservé un petit coin… Mon père parle même de se faire enterrer là-bas, c’est curieux.
 
« Tahar Rahim ou Sami Bouajila ont réussi à s’en sortir en gardant leur nom ! Moi j’ai envisagé de m’appeler François Béguin… »
 
Votre père se faisait appeler Rémi ?
Il s’appelle Mohamed, mon père, mais quand il est arrivé en France c’était un indigène en fait… Un arabe, quoi ! Une bonne tête de maghrébin. Pour moi, il n’avait pas de prénom : Rémi, c’était pour les voisins, mais ma mère ne l’appelait ni Rémi, ni Mohamed, ils ne s’appelaient pas. La vraie histoire, c’est qu’en Algérie, ils l’appelaient Hami, diminutif de Mohamed. En France, ils ont transformé Hami en Rémi et Rémi Merad, c’était sur sa carte de visite. Moi, j’ai eu envie de changer de nom quand mon premier rôle a été Ahled Ben Mabrouk dans la série Tribunal : ça ne me dérangeait pas, de ne faire que des rôles d’arabes parce que je m’appelle Kadour Merad, sauf qu’il n’y avait pas beaucoup de rôles de maghrébins à l’époque. Jouer Monsieur Tout le Monde alors que tu t’appelles Mohamed, ça ne marchait pas. Tahar Rahim ou Sami Bouajila, ils ont réussi à s’en sortir mais ils ont gardé leur nom ! Moi j’ai flippé, et j’ai envisagé de prendre le nom de ma mère, Béguin, et de m’appeler François Béguin…
 
Vous transformez Kadour en « Kad » pour la radio, puis vous envisagez même de vous appeler François pour vous imposer au cinéma ; ça en dit long sur ces médias-là ?
C’est pas moi qui choisis, c’est le mec de la radio qui me dit que Kadour ça fait trop MJC, et je propose Mister Kad, un truc d’américain. C’était une radio de funk. Mister Kad est né sur Canal 102, en région parisienne. Et pour être comédien, il valait mieux s’appeler François, c’est sûr ! Mais ce ne sont pas du tout des souffrances, plutôt des moments de vie que je raconte parce qu’on a fait un film avec Olivier qui s’appelle L’Italien…
 
{Le photographe Xavier Lambours, fait irruption avec tout son matos dans la pièce : « Putain il nous a fait peur celui-là ! On dirait un ramoneur. Ah non, il y a pas de cheminée ici, monsieur ! » }
 
Un film comme L’Italien a eu une résonance énorme parmi les maghrébins, on m’en parle très souvent et d’ailleurs tu remarqueras que dans les pizzerias à Paris, il y a beaucoup de maghrébins qui se font appeler Tony ou Dino… En promo, je ne pouvais pas ne pas parler de mon expérience, et de celle de mon père. Pour le film, je me suis retrouvé à faire les prières cinq fois par jour, j’ai appris les sourates et tout. C’était hyper émouvant parce que j’ai repensé à mon grand-père, que je voyais faire dans la cour sans comprendre. Quand je faisais le film, j’avais l’impression d’être dans un truc un peu initiatique, un peu barré, j’étais Dustin Hoffman. Method acting à mort.

 
Ça a été quoi, le déclic, pour être à l'aise avec des rôles plus sérieux ?
Sans doute Baron Noir. Les Choristes ou Je vais bien ne t’en fais pas, ça reste des rôles moins complexes, alors que dans Baron Noir, j’ai rencontré un rôle : je déploie plus de choses et l’avantage d’être sur huit épisodes, c’est que tu as plus de temps. Ce temps-là te permet de te connaître mieux, de savoir dans quoi t’es à l’aise et dans quoi t’es pas à l’aise. Maintenant je n'ai plus peur d’avoir une vraie scène d’émotion devant une équipe. Je connaissais la scène avec la comédie, mais je suis un clown moi, j’ai commencé en faisant des sketches, ou même à l’école en faisant rire mes copains. Mon idole, c’était Jerry Lewis, qui finalement vous fait pleurer : c’est pour ça que Docteur Jerry et Mister Love est un de mes films cultes, parce qu’il fait rire et à la fin, il arrive à t’arracher des larmes, ce con. Moi, j’avais du mal à penser que je pouvais faire ça.
 
Vous l'avez déjà rencontré Jerry Lewis ?
J'ai passé une journée avec lui. C'était le premier invité de la deuxième saison de La Grosse Émission. Tu ne vois pas le flip que j'ai eu ? Tu rencontres ton idole. Un mois avant, son fils est venu pour voir un peu quelles allaient être les questions… Grosse froideur au début. T'imagines, Jerry Lewis, moi j'étais animateur et je me mélangeais les pinceaux, j''arrivais même plus à parler, j'étais nul. Je me rappelle qu'à la fin de l'émission, il s'en va, il quitte le plateau, on rentre chacun dans sa loge et tout à coup, j'entends toquer à la porte, c'était lui et il me dit : « Hey Kad, good job. » (mime le pouce levé). Oh putain, j'ai fondu en larmes, parce que je ne savais pas comment ça s'était passé. Là, je lui ai fait signer des photos, j'en avais plein chez moi.
 
Comment se passent les séquences de travail matinales avec Oliver Baroux ?
On adapte un film américain en ce moment, qui s’appelle How to Be a Latin Lover et qui n’a pas du tout marché en France, mais qui a fait un carton aux États-Unis et au Mexique, parce que c’est un acteur mexicain et Salma Hayek. C’est très drôle et on fait l’adaptation tous les deux : c’est moi qui jouerai le gigolo et Oliver qui va réaliser. On a toujours écrit à peu près pareil : lui au clavier… et moi à la trompette quoi. Je tourne autour de lui et j’ai des fulgurances. Ou pas…
 
Vous vous rappelez de votre rencontre ?
Je m’en rappelle, mais ça n’avait rien du coup de foudre. OÜI FM venait d’être rachetée, et c’était une radio très alternative, rock, très pointue, et ils ont décidé d’en faire une radio plus commerciale, toujours rock. On s’est retrouvé à faire les castings, et on a été pris comme animateurs, mais séparément : on se suivait à l’antenne, lui faisait le 6-9, moi le 9-13. Tu sais, il y a une tradition en radio qui est de se passer l’antenne, et nous on s’est mis à faire de micro-sketches improvisés à ce moment-là. Et d’un coup, ça matche, quoi. Même si lui était beaucoup plus cinéma anglais, noir et absurde à la Monty Python, et moi plus clown burlesque à la Jerry Lewis, De Funès…
 
On vous appelle encore « La Botte Impériale », dans votre club de rugby ?
C’est un journaliste qui avait mis ça dans Le Républicain, je crois, un petit journal du coin. « La Botte Impériale », ça me fait marrer, parce qu’on dirait un nom de restaurant chinois. C’est parce que j’étais numéro 10, buteur. Et je plaquais pas, enfin, disons que c’était pas mon point fort (Il utilise sa tasse de thé, la théière et un rond de serviette pour représenter les joueurs d’un match de rugby). Quand t’es demi d’ouverture, tu te prends les plus gros, le numéro 8, le numéro 6, sur la gueule… Donc t’évites, tu plonges à droite, à gauche, je suis un peu un rusé moi, dans la vie. Je me suis sorti de pas mal d’embrouilles comme ça, rien qu’en parlant.
 
Vous avez des exemples ?
À l’oral d’un petit diplôme, le CAP de vendeur, j’ai vraiment embrouillé tout le monde. Et le pire, c’est les trois jours, à l’armée, où tu viens pour voir si t’es apte à faire UN AN dans l’armée : pour moi, c’était soit ça, soit un an de tournée au Club Med avec mon orchestre, en tant que batteur. Alors là mon pote, c’est ton meilleur rôle : je suis passé pour un malade, pour un fou, en restant prostré dans la cour, sans parler à personne, pour que le mec se dise que j’étais pas apte. C’est comme ça que j’ai été réformé P4, c’est terrible hein ? Surtout qu’il y a un mec qui est venu me voir en me disant : « Ah tiens, on se connaît. » Et moi : « Dégage, dégage ! » Le psychologue, il fait ça à la chaîne et il prend pas de risque, parce que si le lendemain il y a un suicide… Il y en a qui se faisaient avoir, qui se faisaient mettre en HP, en observation. J’en ai connu, mais c’est parce qu’ils jouaient mal, alors que moi j’étais un bon acteur à l’époque, déjà…
 
Tous les grands acteurs sont de grands menteurs alors ?
Il y a de ça, oui… J’ai longtemps conduit la voiture de ma mère sans permis, et mon père ne l’a jamais su. J’ai eu de la chance : j’ai été contrôlé le jour de mon permis, mais j’aurais pu me faire contrôler avant… C’est horrible quand j’y pense : mon père parti bosser, j’embrouillais ma mère et elle ne pouvait pas me dire non… Je m’en veux, putain, j’ai dû faire souffrir ma mère, la pauvre…
 
Mais elle devait être fière de vous voir aux International Emmy Awards (catégorie meilleur acteur pour Baron Noir), quand même…
Au bout de cinq minutes elle ne l'était plus, fière : « Kenneth Branagh », oh, l'enculé… Je ne suis pas sûr qu’ils soient au courant de ce genre de trucs, mes parents… Quoique si ! Mon père il regarde tous les articles avec son pote d’enfance de 80 ans, ils s’envoient tous les liens qui parlent de moi. Il me fait : « Alors comme ça, tu vas au Festival de Cuba ? » et moi : « euh, oui. » « Alors comme ça, t’as dit que j’étais Algérien ? » « Euh oui, mais papa… » Il a son ordinateur dans le salon, comme les vieux, mais il a un portable, il est sur Instagram mon père…
 
Pour revenir à Baron Noir, il y a des réactions du monde politique qui vous ont étonné ?
Je m’intéresse pas beaucoup à la politique, et toujours pas d’ailleurs… Même si on a l’impression que je suis député maintenant. Moi je dis : « tu sais, je suis un acteur moi : demain, je vais être un gynécologue hein, c’est pas pour ça que je vais aller accoucher des bonnes femmes ». Même si j’aimerais bien… Mais c’est vrai, un acteur il fait quarante métiers en dix ans, quoi, même si le personnage du Baron Noir me colle à la peau.

 
Quand on vient de Ris-Orangis et qu’on vit dans le sixième arrondissement, qu’on joue dans des comédies françaises populaires, c’est facile de…
De « garder contact avec la réalité » ? Comment dire ? Ça crée un petit fossé, un petit décalage, parce que les gens ont tendance à penser qu’on est très riche alors que oui, on n’est pas pauvre, mais riche on l’est pendant un moment et après, on l’est plus, parce que c’est un métier intermittent, acteur. Il y a des moments où tu gagnes très bien ta vie, c’est vrai, même s’il y a des charges… Le mec va commencer à pleurer, sortez les violons ! Non mais on gagne de l’argent, on donne de l’argent, c’est normal. Le décalage se fait parce que les gens ont tendance à penser que tu n’as plus aucun problème et ça, c’est compliqué. Tu ne peux pas crier tes problèmes sur les toits parce que ce sont des problèmes de riche…

On entend souvent des acteurs, vous y compris, dire « oui j’ai fait tel gros film, mais ça me permet de faire un petit film d’auteur à côté ». Est-ce qu’on en a vraiment besoin, de faire ce gros film ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que ça t’offre un confort qui te permettra de faire un film qui va rien rapporter, en fait, un film plus difficile à monter qui sera aidé par ton nom. Quand tu fais des films grand public, tu représentes une certaine valeur pour les chaînes de télé : je ne dis pas que je suis d’accord, mais c’est le système qu’est comme ça. Les chaînes grand public qui diffusent nos films ont besoin de vedettes et ces vedettes, elles peuvent faire exister des films plus petits. Si t’as Kad Merad, Jean Dujardin, ou des mecs un peu dans la liste des acteurs bankable, c’est sûr que c’est plus facile ! Je suis désolé mais Comme des Rois de Xabi Molia, il a peut-être pu se faire grâce à moi, aussi : les chaînes vont se dire « On va prendre Comme des Rois parce qu’on va pouvoir le passer à la télé ».
 
{(il se tourne vers le photographe) « Il est en train de se demander quand est-ce qu’il va bouffer… Est-ce que j’ai bien pris du St Môret ? Je crois qu'il me reste de la Vache qui Rit dans le frigo… »}
 
Avec les Gigolo Brothers, vous faisiez la scène du Club Med, qui a été une sorte d'université du divertissement à la française : Lagaf’, Pierre Ménès et Patrick Bruel y sont passés…
Moi, je ne renie pas du tout le Club Med, au contraire, c'est une magnifique école… du divertissement, t'as raison. J'étais juste batteur mais comme j'avais ce truc avec la scène et qu'au Club Med t'as des théâtres avec des coulisses, du maquillage, un régisseur… C'est pas des tréteaux, quoi. J'ai commencé en Suisse dans un club réservé aux célibataires. On est en 1984, la sexualité est encore très développée, il n’y a pas le sida… On faisait un concours entre les moniteurs de ski et l'école d'animation. C'est sûr qu'on était plus proches des Bronzés qu'aujourd'hui, c'est vrai que ça dragouillait. C'était quand même un club où on vous disait : « Ne venez pas avec vos enfants. » Mais sans faire le mec parfait, j'ai toujours eu du mal avec ce côté « rendement ». Je suis désolé de vous le dire mais je suis assez romantique ! J'ai toujours été épaté par les gens qui pouvaient enquiller, se faire un tableau de chasse, moi j'étais le mec à qui il fallait du temps. J'ai besoin de discuter, tu vois. Moi, je suis Jean-Claude Dusse ! Je faisais rire les gens, j'étais content.
 
Ça fait quoi d'avoir des expressions comme Kamoulox, « Jean-Michel à peu près », qui sont rentrées dans le langage courant ?
J'ai presque tous les jours des gens qui me parlent de Kamoulox ou Jean-Michel machin. Ce qui est hallucinant, c'est qu'on devait écrire quatre sketches tous les jours dans le cadre de la Grosse Émission… En tout cas, ça me fait toujours quelque chose que des jeunes me parlent de Kamoulox. Pour moi c'est évidemment démesuré, on ne s'est jamais dit qu'on allait faire un truc culte mais c'est en train de le devenir. Peut-être qu'il y aura un jour un film Kamoulox, un peu à la manière de Jumanji où t'es enfermé dans un jeu. Sauf que Kamoulox, c'est difficile. J'en ai parlé avec Olivier, on s'est dit pourquoi pas, dans l'idée d'un gros délire où on peut mettre tout ce qu'on a envie sans qu'on nous dise : « Oui mais en fait là, le personnage il faut que… »
 
Vous aviez quels types de rapports avec Delarue qui vous a repéré ? À l'époque, il avait les pleins pouvoirs et on connait depuis ses problèmes avec la cocaïne…
C'est vrai que je me souviens l'avoir vu à une féria un week-end, je ne comprenais pas que le gars n'allait jamais dormir… Moi, je suis un peu naïf, je ne suis pas du tout là-dedans. Mais il nous adorait. C'était le pape et il faut bien reconnaître que tout le monde autour de lui était « carpet ». On était un peu les seuls avec Olivier à pouvoir lui raconter des conneries, on s'en foutait un peu. C'était peut-être notre côté renégats. Mais alors tous ses assistants… On en voyait lui allumer sa clope. Il a tellement imposé un truc…
 
Hanouna, c'est un peu le cas aujourd’hui aussi, non ?
Peut-être, moi je l'ai connu stagiaire à Comédie, il avait le même rire, les mêmes conneries. C'est nous qui l'avons mis sur scène pour la première fois dans un sketch. Je pense qu'il nous doit un micro-respect quand même. Avec nous, il peut pas faire n'importe quoi. Je n’aurais jamais imaginé qu'il aille aussi loin et qu'il puisse être à la tête d'un tel empire, qu'il soit capable d'avoir les épaules pour ça, parce qu'il faut avoir les épaules et un sacré mental. Là, il fait ce qu'il veut, il traite les gens comme il veut, que ce soit dans ses émissions ou sans doute derrière. Mais il s'en prend dans la gueule aussi, quand il fait la couverture de Charlie Hebdo… Il a commencé à être autant haï qu'aimé. Je l'aime bien ce gamin, parce que pour moi c'est un gamin. En plus, il est super drôle et il a énormément de talent, même s'il s'entoure très mal. Enfin, c'est mon point de vue. Il a fait un choix mais c'est pas un méchant garçon.
 
{La patronne du restaurant revient : « Vous nous mettez une petite planche avec du jambon pata negra et du manchego ? Et puis une bouteille de rouge portugais pas trop léger, pas trop fort. » }

« On faisait nos costumes nous-même, on collait des affiches, et au théâtre du Flambeau, il y avait quatre personnes dans la salle, c'était horrible » 
 
Quand vous êtes dans la lose, au moment de la troupe des Kamikazes, il y a un moment où il faut y croire plus que les autres, non ?
Les Kamikazes, c'est le moment où je me suis dit : « J'y arriverai jamais, c'est trop la galère ». T'imagines, on faisait nos costumes nous-mêmes, on collait des affiches, on a tout fait tout seuls, et au théâtre du Flambeau, il y avait quatre personnes dans la salle, c'était horrible. J'ai été découragé. Je me suis dit ; « Génial, je fais mon métier », mais en même temps, putain quelle lose. Tu te dis : « Est-ce que c'est comme ça que je vais arriver à faire du cinéma ? » Connu ou pas connu, mais au moins faire du cinéma. Le cinéma, c'est tous les jours différent, alors que le théâtre, c'est tous les soirs la même chose. À chaque fois que les gens me demandent « mais comment on fait… », je leur dis que j'ai passé vingt ans dans l'ombre, à aller me faire chier avec un sac de sport, à mettre des costumes avec un chapeau melon… Les gens n'imaginent pas ces trucs-là.
 
{Son attachée de presse revient dans la pièce, il se tourne vers elle : « C'est moi qui paie hein, tu demandes l'addition… Mon sac, dépêche-toi ! Non mais qu'est-ce qu'elle est lente aujourd’hui… »
Elle (en souriant) : « Tu sais qu'ils vont dire que t'es odieux avec ton attachée de presse… » }
 
À vos débuts, vous aviez conscience d'être un cliché de comédien en galère ?
Mais pas du tout ! Quand j'ai commencé à vouloir être acteur, je prenais ma photo, je l'envoyais à toutes les prods, et j'attendais. On rentrait le soir et on écoutait son répondeur : aucun message. Les pauvres castings que je faisais, c'était de la pub et c'était toujours les mêmes mannequins qui étaient pris. Mais tu crois quand même que c'est comme ça, que tu vas être acteur. C'est ça qui est dingue. Tu crois au conte de fées. Tu te dis que le mec va regarder ta photo et dire : « Hé Gilbert, viens-voir j'ai un mec, là, Kaddour…Merad. Putain, belle gueule ! Appelle-le tout de suite, on va pas passer à côté d'un mec comme ça. » Je te montre mes photos d'acteur quand j'ai 25 ans, tu te pisses dessus de rire (mime une moue sérieuse). Il ne peut pas te prendre sur une gueule, mais toi tu crois que si.

"Je m'amuse à faire des vannes, quand je suis sur un plateau, je dis : « attention les gars, ho, 84 millions d'entrées, tu vas me parler autrement ! »"
 
Parfois, on vous présente avec votre score cumulé d'entrées…
Je m'amuse à faire des vannes, quand je suis sur un plateau, je dis : « Attention les gars, ho, 84 millions d'entrées, tu vas me parler autrement ! » Mais c'est évidemment pas très intéressant, en vérité. C'est les films, c'est pas toi, il faut avoir un peu de lucidité et d'autodérision. Je ne suis pas du tout premier degré. Si tu me fais pas parler de moi, je ne parle pas de moi. Je connais des acteurs, c'est impossible qu'ils ne parlent pas d'eux. Moi, je trouve que c'est terrible d'être toujours sur soi.
 
Vous tournez beaucoup, quitte à faire des films moins réussis, ça ne vous embête pas ?
Non, parce que t'en tires toujours du positif, tu vas rencontrer un metteur en scène génial ou tu vas faire quelque chose que t'as jamais fait et ça marche pas, mais c'est pas de ta faute si ça marche pas…
 
Et vous assurez toujours la promo, quoi qu'il arrive ?
Oui, parce que même un film qui ne marche pas, qui a des défauts, tu fais partie de cette aventure, c'est comme quitter un bateau… C'est débile. Franchement, il y a des moments, t'y vas un peu à reculons, tu sais que même le journaliste, il sait que c'est pas bien et il est un peu gêné, tout le monde est gêné. Les journalistes, vous savez bien faire ça, parler d'autre chose : « Alors, c'était bien, les décors, vous avez tourné loin dis donc, c'était chouette comme pays ? » Marina Foïs qui est une amie, m'a dit un jour un truc : « T'inquiète pas, quand on aura 80 ans et qu'on se souviendra de ce qu'on a fait, on se souviendra surtout des belles choses. » Même les plus grands acteurs du monde ne peuvent pas faire que des grands films.
 
Vous pensez parfois à ceux qui étaient au théâtre en même temps que vous et qui ont arrêté ?
Bien sûr. Je connais des acteurs de ma génération qui ne sont plus du tout là-dedans. C'est important de ne pas oublier que j'ai réussi quelque chose pendant que d'autres se sont plantés, alors qu'ils avaient sûrement le même potentiel à la base et que je me suis accroché plus qu'un autre, et que j'ai eu la chance de croiser les gens qu'il fallait au bon moment. Quand j'étais à mon cours de théâtre, je me rappelle qu'il y avait les stars du cours. Tu les vois aujourd’hui, les stars du cours ? Non. Aujourd’hui, la star, c'est moi, quelque part. Les mecs ils doivent se dire : « L'enculé ! Mais il a fait quoi ? Il a sucé des bites ou pas ? » 

Entretien paru dans Sofilm n°59, avril 2018