LA FILLE DE SON PÈRE de Erwan Le Duc
Projeté en clôture de la Semaine de la critique 2023, La Fille de son père nous emmène sur des sentiers de traverse. Erwan Le Duc signe un deuxième film poétique et musical qui dérive à travers les genres – comédie, burlesque, drame, étude de caractères – avec un charme ravageur.
Quatre ans après Perdrix, le cinéma d’Erwan Le Duc continue de déployer ses ailes. Son nouveau film au titre pagnolien, La Fille de son père, ne fleure ni la lavande ni le romarin. De famille, il est ici question dans son éclatement. Étienne (Nahuel Pérez Biscayart dans un rôle qu’on aurait imaginé tenu par Claude Melki chez Jean-Daniel Pollet) s’éprend de Valérie (Mercedes Dassy), à l’âge de 20 ans. Au début, ne se doute de rien. La paternité lui tombe dessus à peu près au moment où Valérie prend la poudre d’escampette, sans explication. Étienne et sa fille Rosa (Céleste Brunnquell) bâtissent leur nid par-delà cette figure occultée mais jamais oubliée, pour les 17 années à venir. La majorité venue, le poussin couvé par son père prend son envol pour les Beaux-Arts de Metz, à plus d’une centaine de kilomètres de là, alors que ressurgit sa mère. Une fuite en avant inéluctable sur laquelle le film règle son pas et trouve sa rythmique un brin surannée.
Pas de deux
La Fille de son père est une comédie musicale sans numéro chanté, ou dansé. Au pas de deux, Erwan Le Duc préfère le contre-temps, le microgeste. D’aucuns jacasseront sur ses ascendances keatoniennes, ou encore sa filiation avec Aki Kaurismäki et Elia Suleiman. Ce serait mal connaître notre homme. Sous contrôle, minisérie dont il a signé la réalisation cette année, porte l’empreinte d’un cinéaste amphibie, capable de laisser respirer ses films de part et d’autre de la surface des mots. L’arc narratif de son second long-métrage mouille dans des eaux bien connues d’un certain cinéma français, taraudé par la question de la filiation. Étienne refuse de (dé)léguer à un autre l’amour inconditionnel qu’il porte à sa fille. Rosa assume l’héritage d’une mère dont l’absence ne se résume pas à un simple sentiment. « Parfois, tu vois le monde autour de toi comme un décor », lui lance son père, centre de gravité de cet univers qui se dérobe. Alors, que reste-t-il ? Pour certains, regarder la terre brûlée, liquider le cynisme ambiant, écrire des poèmes épiques, ou encore céder aux sirènes de sa libido (« Tu es le seul homme qui pleure entre mes seins », déclaration désarmante du personnage de Maud Wyler, amante de conte de fées surgie à bord d’un taxi dans la vie d’Étienne). Pour d’autres, planter des arbres, s’enraciner et redonner de l’espoir, comme le propose l’édile incarné le temps d’une séquence lunaire par une Noémie Lvovsky délicieusement barrée. Musique des mots, musique des choses. Erwan Le Duc évite l’écueil du « film à texte » par une savante cabriole dès l’ouverture, séquence lyrique et muette d’un peu moins de 10 minutes portée par la seule bande originale de Julie Roué. Un petit tour de force à sa manière dans un long-métrage réglé comme du papier à musique, mais jamais programmatique. Entraîneur de foot chétif et philosophe sur les bords, Étienne scande à ses joueurs un proverbe yiddish quand il ne trace pas des lignes blanches sur la pelouse du stade, reproduisant le geste d’un compositeur qui trace ses portées sur une feuille vierge. Le burlesque cède le pas au chanter puis au danser dans deux scènes en apesanteur au-dessus d’un film balayé par des tornades successives, comme l’était déjà Perdrix. Pudique, Le Duc laisse affleurer avec une certaine noblesse les sentiments à mesure que son film semble faussement tourner à vide. Le ton se fait plus spleenétique dans une dernière demi-heure qu’on préfère ne pas divulgâcher pour mieux vous laisser déguster sa saveur primesautière teintée d’une mélancolie automnale. La Fille de son père enchante par sa candeur feinte et sa petite musique familière.
Chroniques dans Sofilm n°100 , en kiosque !