LA PIÈCE RAPPORTÉE de Antonin Peretjatko

Après avoir privé les aoûtiens de leurs vacances (La Fille du 14 juillet) et offert une piste de ski aux Guyanais (La Loi de la jungle), l’impayable Antonin Peretjatko confine son cinéma dans les intérieurs cossus d’un hôtel particulier bourgeois pour adapter une très courte nouvelle de Noëlle Renaude, Il faut un héritier, et ruer dans les brancards des ultra-riches sans épargner non plus les déshérités. Avec son titre qui contient « autant de consonnes que de voyelles par souci de parité », La Pièce rapportée raconte un peu tout ça à la fois et bien plus encore.

C’est l’histoire d’une fille du métro mariée à un type qui roule en Rolls. Quelque part entre Arts et Métiers et Levallois, Anne (Anaïs Demoustier), guichetière désœuvrée au service d’une très célèbre compagnie de transports parisiens, fait la rencontre de Paul (Philippe Katerine), quadragénaire lunaire, héritier de l’illustre lignée des Château-Têtard. Sa fortune, son richissime jules la doit à feu son père, inventeur de la valise à roulettes et des ascenseurs estampillés au nom de la famille. Elle vient de l’Assistance publique. Lui, du XVIe arrondissement, où il vit avec l’exécrable Adélaïde (Josiane Balasko), sa « môman » clouée dans un fauteuil roulant suite à un malencontreux accident de chasse impliquant du gibier et des Gilets jaunes. L’irruption d’Anne, pièce rapportée dans cette vie de château sclérosée, éveille les soupçons de la Reine Mère qui, soucieuse de préserver sa lignée des « gènes de la pauvreté », précipite à ses trousses un détective peu discret (William Lebghil). Tous les coups seront permis dans cette lutte des classes rejouée sur le mode vaudevillesque…

Esprit d’escalier

S’il n’est pas un enfant de (Groucho) Marx et du Coca-Cola, Peretjatko confirme ici qu’il entretient la mémoire godardienne avec une fibre burlesque tendance anarchiste. Mais le film se débarrasse en cours de route de ces atavismes hérités de la Nouvelle Vague pour lorgner du côté du cinéma d’Yves Robert, de la bande dessinée – on pense parfois à la ligne claire de Tintin – et du théâtre de boulevard à la Grédy et Barillet, devenant ainsi un pastiche de comédie populaire franchouillarde, loufoque et iconoclaste. Armé de sa caméra-stylo, Peretjatko croque avec son imparable verve satirique les « gens de la haute » engoncés dans leurs imprimés pied-de-poule. Au sein de ce petit monde follement décadent où l’on use encore de l’imparfait du subjonctif, les chiens fument la pipe – une image empruntée à Buñuel –, les domestiques écoutent aux portes et les combinés de téléphone vibrent à tout va. Peretjatko teinte d’une coloration surréaliste ces images tirées du boulevard. Ici, les amants ne se cachent pas dans le placard mais dans des étuis de contrebasse ; les biscottes ne craquent pas, alors que les pianos s’effondrent.

Dans sa mise en scène infuse une cinéphilie éclectique et décontractée, sans distinction de genre. Le cinéaste convoque aussi bien Robocop que Maman, j’ai raté l’avion et Tristana ou encore La Règle du jeu. Anachronique et foutraque, La Pièce rapportée n’en porte pas moins dans son ADN les traces d’une actualité politique brûlante. Peretjatko ressuscite le Paris rêvé par Billy Wilder dans Drôle de frimousse et le peuple de livreurs d’Amazon, de taxis en grève, de CRS et de bidonvilles en périphérie. Pendant ce temps, les Château-Têtard, eux, sabrent le champagne pour fêter la suppression de l’ISF et pratiquent joyeusement la politique du ruissellement préconisée par l’Élysée. Dans cette Macronie sous influence pompidolienne, le tandem formé par Anaïs Demoustier et William Lebghil apporte un nécessaire vent de fraîcheur. L’une parce qu’elle a besoin d’air pour échapper à la neurasthénie bovarienne qui la menace. L’autre par son art de la dégringolade et de la pirouette dans un film traversé d’ascenseurs et d’escaliers. Peretjatko, lui, n’en finit pas de prendre la tangente. Et ça fait du bien !