LA VENGEANCE AU TRIPLE GALOP de Alex Lutz et Arthur Sanigou

Pour manier la stupidité dans la comédie, il faut paradoxalement faire preuve d’intelligence. Alex Lutz et Arthur Sanigou ont retenu la leçon et accouchent d’une parodie savoureuse et rafraîchissante.

Il suffit de comparer ses pastilles télévisuelles avec Bruno Sanches (les pétillantes Catherine et Liliane) à son dernier rôle en date au cinéma (un ancien junkie dans le Vortex de Gaspar Noé) pour attester de la versatilité d’Alex Lutz. Avec Guy, son deuxième long métrage en tant que réalisateur, il confirmait sa singularité de comédien autant que la pertinence de son regard de cinéaste. Le voilà de retour sur Canal+ pour La Vengeance au triple galop, co-réalisé par Arthur Sanigou, parodie assumée de La Vengeance aux deux visages, un sommet incontournable du soap opera des années 80. Le film reprend d’ailleurs une partie de son intrigue : Stephanie Harper, riche héritière au physique soi-disant disgracieux, manque d’être assassinée par son nouvel époux, un golden boy cupide et manipulateur. Tandis que celui-ci met la main sur sa fortune et son domaine, Stephanie est sauvée de la mort par un séduisant chirurgien esthétique. Défigurée, elle va changer d’apparence et préparer sa revanche…

Alex Lutz et Audrey Lamy dans La Vengeance au triple galop

Amour, gloire et botox

Dès la scène d’ouverture (une compétition de marche rapide dont les athlètes sont tous disqualifiés pour avoir couru), le ton est donné : La Vengeance au triple galop se place dans la droite ligne de « l’esprit Canal » de la fin du siècle dernier, avec Les Nuls en tête de liste. Un humour profondément absurde, où l’idiotie est élevée au rang d’art, puisant tour à tour dans le jeu outrancier des comédiens, le décalage malaisant des situations et l’hilarante bêtise des personnages. Les sketches s’enchaînent sur un rythme très soutenu et l’écriture se montre toujours généreuse, étirant chaque gag au maximum, soucieuse d’en exploiter le plein potentiel. Une démarche d’autant plus payante qu’elle s’avère complètement dépourvue de cynisme. Tout comme Guy témoignait, derrière sa façade un peu moqueuse, de l’amour sincère de Lutz pour la variété française et ses idoles, La Vengeance au triple galop reprend méticuleusement les marqueurs esthétiques des programmes qu’il tourne en ridicule. Couleurs flashy, décors kitsch, éclairage de roman-photo et synthétiseurs ringards : tout y est ! Une reconstitution minutieuse qui convoque, pour le plaisir des spectateurs, de vieux souvenirs de télévision, datés mais toujours savoureux. Un savoir-faire qui fait du film, plus qu’une efficace comédie, une proposition purement post-moderne, prolongeant, dans un autre registre, le travail de Lutz sur Guy. Seule véritable entorse au genre : le casting, traditionnellement composé d’acteurs méconnus, laisse sa place à une distribution cinq étoiles. Tous prennent un plaisir enfantin et communicatif à se tourner en dérision, grimés et maquillés à la truelle, affublés de perruques ridicules, voire carrément méconnaissables (mention spéciale à François Civil en redneck manchot). Un panel de stars qui n’est pas sans rappeler une autre production récente de la chaîne, la série La Flamme, qui tournait rapidement à vide autour de quelques gimmicks. S’il est peut-être un peu présomptueux de parler d’un renouvellement de la comédie française, le film de Lutz et Sanigou détonne suffisamment dans le paysage pour rappeler l’existence, en France, de créateurs passionnés à l’artisanat solide. N’oublions pas l’adage d’Alexandre Astier : la comédie est un genre qu’il faut prendre très au sérieux.

La Vengeance au triple galop, sur Canal+ le 4 octobre