LA VÉNUS D’ARGENT de Héléna Klotz

Hypnotique et troublant, le nouveau long-métrage d’Héléna Klotz donne à voir l’éclat sombre du monde de la finance. L’aînée d’un gendarme jure de devenir tradeuse. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?

De l’adolescence, Héléna Klotz retient l’onirisme. C’était le cas dans son dernier court-métrage, Amour océan, évocation d’un émoi très doux, où une ado ne sait pas si son crush est une fille ou un garçon. La Vénus d’argent change – presque – tous les paramètres. On est désormais dans les couloirs d’acier et de verre de La Défense. Jeanne, stagiaire à la coupe garçonne (Claire Pommet, la chanteuse Pomme), sert les cafés sur un plateau. Une veste de motard jetée sur ses épaules donne le ton, comme sortie d’un polar nerveux. Même sensation ado d’être coupé du monde, mais plus vénéneuse : l’univers calfeutré des argentiers en costume, et les écrans palpitants du CAC-40 sont une bulle de fiction autosuffisante ; presque un rêve. Après ses années de prépa maths, il faut que Jeanne se fasse embaucher, tout de suite, à n’importe quel prix. Deux grands de ce monde se dressent alors sur sa route, d’une trempe assez dure pour l’aider à forger ce destin : un trader incarné par Sofiane Zermani (le rappeur Fianso) et Anna Mouglalis, qui complète le trio en riche héritière qui souffle ses conseils à Jeanne entre des volutes de drogue, invitant la jeune débutante dans un monde addictif et irrésistible.

Âge de raison
En offrant à Pomme son premier rôle au cinéma face à Fianso, Héléna Klotz tisse un dialogue entre deux artistes de la voix : la chanteuse tout juste sortie de l’adolescence, au timbre aérien et aux mots puissants, face au rappeur aguerri à la diction sèche comme du papier de verre. Les deux performers avancent à nu, comme sur scène. Avec sa voix unique, toujours plus grave, Anna Mouglalis déploie sa propre partition dans ce programme. Le monde de la finance, filmé comme une abstraction futuriste où les lumières défilent sans bruit sur les vitres, est imprégné de ces textures sonores. On comprend peu à peu que la success story de Jeanne se joue sur le ring de la répartie : s’imposer, pour elle, c’est commencer par couper le sifflet d’un ex abusif (Niels Schneider). La jeune génération réinvente ici les eighties testostéronées, remplace les muscles par les cordes vocales. Voici donc une sorte de Raging Bull non binaire, avec une nouvelle monnaie d’échange : c’est via le flow que s’affrontent Pomme et Fianso. Et ce clash sonne d’autant mieux qu’il se joue dans un monde de la finance fait de coups-bas et chuchotements. C’est là que le film opère sa séduction magnétique : avec une férocité de squale adulte, Jeanne propulse les tourments de l’adolescence dans cet âge de raison déconnecté du réel. La composition sonore – clé de voûte du film – s’écoute comme un chant de sirènes, redistribuant les différents degrés de mélancolie via une partition instrumentale fantastique et gothique à la Danny Elfman. Seule exception, quelques percées de hardcore révèlent en contrepoint la possibilité d’une vie plus terrestre.

Chroniques dans Sofilm n°100 , en kiosque (Novembre-décembre).