LARS VON TRIER A CANNES : L’HISTOIRE SECRETE

« Ce camping-car, il le prend pour bouger partout. Ça n’est pas spécifique à Cannes. On peut dire que c’est sa soupape de sécurité. » 

Marianne Slot, productrice

– LARS VON TRIER A CANNES : L’HISTOIRE SECRETE –

La caravane de l’étrange

 
Cette fois c’est officiel, Lars Von Trier fera cette année son grand retour sur la Croisette avec un thriller bien glauque porté par Matt Dillon, The House that Jack built. Hors-compétition, mais quand même. Avant de se retrouver « persona non grata » en 2011, l’ami Lars avait pour habitude de descendre du Danemark en camping-car. Il garait son engin devant un palace du cap d’Antibes et, entre deux séances de pêche à la ligne, envoyait du mauvais esprit punk en plein cœur du Festival de Cannes. Vannes à Polanski, L’Internationale et point Godwin en conférence de presse pour Melancholia. Voilà les années cannoises de Lars von Trier racontées et analysées par celles et ceux qui ont vécu en direct la vie de festivalier d’un génie sociopathe en caravane. Par Matthieu Rostac – Illustrations : Iris Hatzfeld
 
« C’est un showman, Lars. Au sens premier du terme. Tout devient un spectacle pour lui. La raison à cela c’est qu’il est vraiment le mec le plus timide que vous pourriez rencontrer dans le monde du cinéma. Par exemple, quand il raconte qu’il est profondément allergique à la foule, il ne triche pas. Mais comme tous les vrais timides, il est capable de foutre le bordel et de faire des trucs complètement dingues pour sortir du lot. » Jean-Marc Barr, comédien.
 
Le Festival de Cannes 2011 avait tout pour se dérouler dans une ambiance à la coule. Un jury présidé par un Robert De Niro, qui ressemble de plus en plus à un pré-retraité. Des favoris de la compétition officielle pas exactement connus pour se comporter comme des punks à chiens sous ketamine un soir de Teknival – Nanni Moretti, les frères Dardenne, Alain Cavalier… Difficile d’imaginer plus pépère que cette 64e édition. Il suffisait seulement d’attendre que Lars von Trier joue son numéro. 18 mai 2011. Comme à son habitude l’homme a débarqué sur la Croisette la veille de la présentation de son film, Melancholia. En camping-car au départ de Copenhague. Raison à ce moyen de transport : le Danois a toujours une peur pathologique des avions. Au quotidien suisse Le Temps, qui l’interrogeait sur les raisons de cette phobie, il livrait d’ailleurs l’analogie suivante : « Pour moi les avions ce sont comme les femmes. Je suis fasciné et en même temps terrorisé… » Les associations féministes ont dû adorer.
Peter Schepelern, proche du réalisateur et critique au magazine cinéphile danois Ekko, éclaire : « Lars déteste la foule. Ça l’angoisse et peut lui faire perdre ses moyens. Alors vous vous doutez bien qu’une conférence de presse dans un lieu aussi chargé en électricité que le Festival de Cannes ce n’est pas quelque chose qui le met dans les meilleures dispositions. » Vrai. Il suffit de regarder sur YouTube les images de la fameuse conférence de presse au Festival de Cannes 2011 pour sentir le stress qui anime le réalisateur. Il ressemble à une grosse taupe sortie de son terrier au milieu d’une sieste. Une taupe en t-shirt noir plissant ses yeux derrière des lunettes rectangulaires, porte une barbe de trois jours et arbore un teint rougeaud. Une journaliste lui pose la question de ses origines allemandes, révélées par sa mère sur son lit de mort. Réponse de Von Trier : « J’ai longtemps pensé que j’étais juif et je me sentais bien, j’étais très heureux d’être juif. […] Mais bon, finalement je n’étais pas juif et même si je l’avais été je crois que j’aurais été un juif de seconde zone. […] Moi je voulais bien être juif et finalement j’ai découvert que j’étais un nazi, que ma vraie famille était allemande. Eh bon, ça aussi ça m’a donné du plaisir. […] Que puis-je dire ? Je comprends Hitler. Il a fait des mauvaises choses mais je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer seul dans son bunker quelques instants avant sa mort. […] Ce que je veux dire, c’est que je comprends l’homme. D’accord, il n’est pas exactement ce qu’on peut appeler un brave type. Mais, sérieusement, je ne suis pas pour la Seconde Guerre mondiale, je ne suis pas contre les juifs. […] » Dans la salle, quelques rires étouffés, puis un immense embarras. La comédienne américaine Kirsten Dunst, en robe jaune, serre les dents et lève les yeux au ciel, visiblement navrée. Lars, lui, soupire bruyamment, histoire d’abréger la torture qu’il s’est lui-même infligé : « Ok ! Je suis un nazi, n’en parlons plus… » Malaise ultime, Lars est déclaré persona non grata au Festival de Cannes. Zentropa, sa maison de production, doit annuler une grosse fête en l’honneur de Melancholia sur une plage cannoise. « Deux mille personnes invitées. Et on a dû trouver une solution pour désinviter deux mille personnes en deux heures », rembobine Meta Foldager, productrice de Lars von Trier sur Antichrist et Melancholia en soupirant. « Littéralement, il essayait seulement d’être drôle. Ça n’était qu’une blague qui n’a pas marché. Rien de planifié, non. On le connaît Lars, donc on s’est dit : “C’était quoi, ça? C’était bizarre !” Et on en a rigolé. On ne s’était pas rendu compte de la situation avant que la presse s’en empare. »Quelques années plus tard, dans un hôtel branché du quartier de Tribeca à New York, la douce Kirsten Dunst forme un sourire à l’envers quand on lui rappelle l’épisode cannois : « Ses âneries sur les nazis, il s’en est sincèrement excusé auprès de toute l’équipe du film. D’ailleurs, on aurait dit les excuses d’un petit enfant. Moi, je le défendrai toujours artistiquement. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il m’a touché. Au début, vous le prenez pour un rustre, mal élevé, avec un humour vraiment étrange, mais au bout de quelques minutes, il ressemble surtout à un gros nounours sensible. Vous avez envie de le protéger. Contre tout ce que le monde peut dire de violent sur lui, mais aussi contre lui. »
 
 
Birkenstock et chapeau de paille
Mille huit cents kilomètres et dix-neuf heures de route. Voilà exactement la distance et le temps qui séparent Copenhague du Palais des festivals et des congrès de Cannes sans compter les arrêts « sandwich triangle au thon industriel » et les détours par les petites départementales. Certains choisiraient d’engloutir la course en deux jours non-stop, d’autres préféreraient sans doute un coup d’avion jusqu’à Nice. Pas Lars von Trier. Chez le cinéaste danois, la saison estivale a toujours commencé plus tôt. Une semaine pile avant le Festival de Cannes pour être précis. Il enfile alors ses Birkenstock, un pantalon léger, un t-shirt uni de préférence noir, se coiffe de son plus beau chapeau de paille. C’est ainsi accoutré comme un paisible touriste que l’auteur de Breaking the Waves s’apprête à traverser l’Europe du Nord au Sud en camping-car. Pendant ses sept jours de transhumance, Lars von Trier en profite pour pagayer un bon coup dans son kayak, tremper sa canne à pêche dans les ruisseaux de la région PACA, jouer les naturistes dans les lacs suisses, respirer le bon air de l’autobahn allemande. Une fois arrivé à destination, il a pour habitude de garer sa caravane sur le parking du personnel de l’hôtel Cap-Eden-Roc d’Antibes, qui l’a accueilli à bras ouverts entre 1998 et 2011.
 
Mais derrière le voyage en pente douce du cinéaste danois et le rituel qui appartient désormais au folklore cannois, il y a quelque chose qui ressemble à de la peur. « Il descend en camping-car parce que comme ça, il est libre. Mais c’est son assistant qui conduit », rappelle Marianne Slot, sa co-productrice historique, Danoise exilée à Paris et qui reçoit dans son bureau du Marais. « Mais ce camping-car, il le prend pour bouger partout. Ça n’est pas spécifique à Cannes. On peut dire que c’est sa soupape de sécurité. » Aussi bourré de complexes que la chanson de Boris Vian, Lars von Trier souffre d’agoraphobie, de claustrophobie et d’aérodromophobie. Tétanisé à l’idée de voyager dans des bolides dont il n’a pas le contrôle, le réalisateur de Nymph()maniac avait rebroussé chemin en cours de route en 1996, au beau milieu de l’Allemagne, alors qu’il était censé venir présenter Breaking the Waves. Impossible d’ouvrir les fenêtres du train. « Normalement, je parviens à dominer ces phobies. Mais, là, ça n’a pas marché. J’ai fait de mon mieux, je me suis battu. Mais je ne pouvais pas m’infliger plus de souffrance. J’ai passé quarante ans, et il est temps d’arrêter de me faire du mal. J’ai renoncé. Maintenant, j’essaie de me relaxer. C’est une situation quand même exceptionnelle. Pour le tournage du film en Écosse, par exemple, j’ai mis trois jours à faire le voyage. Mais enfin j’y étais parvenu quand même. […] Peut-être que je suis fou ? Il y a en moi des forces qui se font jour et que j’ai du mal à contrôler. Mais je me dis que ce sont ces mêmes forces qui me poussent quand je fais des films. C’est la preuve qu’elles ne sont pas seulement négatives et que je peux aussi les utiliser à mon bénéfice », confiera-t-il à l’agence Capa en mai 1996.C’est donc du bout d’un téléphone portable, obtenu en catastrophe par son ancienne productrice Vibeke Windeløw dans une salle cannoise, que Lars profitera de la standing ovation réservée à son film, la première de sa carrière à Cannes.

 

 

 
« Qu’est-ce que je peux bien dire ? Merci au nain et au reste du jury ! »
Un rendez-vous manqué avec le festival de cinéma français parmi tant d’autres dans la carrière du Danois. En 1991, le jury présidé par Roman Polanski ne lui donne « qu’un » Prix du jury pour Europa, ex-aequo avec Hors la vie de Maroun Bagdadi, préférant couvrir d’or le Barton Fink des frères Coen. En représailles, LVT enverra un scud à son confrère polonais : « Qu’est-ce que je peux bien dire ? Merci au nain et au reste du jury ! » Cette même année, il récupérera pour la seconde fois le Prix technique et choisira de faire monter son chef-décorateur, Hanning Bahs, sur scène pour le faire parler à sa place : « C’est un prix technique donc je le passe à un technicien. » En 2000, sa Palme d’or pour Dancer in the Dark est légèrement éclipsée par le Prix d’interprétation de sa superstar hypertrophiée Björk. En 2003, alors qu’il présente son film le plus ambitieux conceptuellement, Dogville, Lars est destitué de son rôle d’agitateur en chef par Vincent Gallo et son blowjob en full frontal dans The Brown Bunny. La Palme, elle, reviendra à Elephant. En revanche, les yeux sont rivés sur lui lorsqu’il présente Antichrist en 2009. Le film, monstrueux et hanté, est vécu comme une abomination par une grande partie de la presse, qui hue dès la première minute de projection. Pendant la conférence de presse, un journaliste le somme de se justifier. Réponse de l’intéressé auto-proclamé « meilleur réalisateur du monde » : « Je pense que c’est une question très bizarre que vous me posez, que j’aie à me justifier d’avoir fait ce film. Je ne le ressens pas comme ça. Vous êtes mes invités ici, pas l’inverse. » Au final, le jury œcuménique lui remet « à titre solidaire et individuel », un anti-prix pour misogynie. « Ça, je ne comprends pas comment on peut dire que ce film est misogyne parce que c’est tout l’inverse ! » ne décolère par Marianne Slot. Meta Foldager raconte elle aussi que la vérité est souvent à géométrie variable, tout particulièrement à Cannes : « A la fin d’Antichrist, les gens ont commencé à l’applaudir et Lars a quitté la pièce. Les gens ont pensé qu’il avait quitté la pièce parce qu’ils n’applaudissaient pas assez, que d’une manière ou d’une autre il était en colère, ou timide. Mais en fait, ce qui s’est passé, c’est qu’il trouvait le générique de fin d’Antichrist horriblement long – et ça l’était. Donc il trouvait très gênant que les gens aient à applaudir si longtemps. Il a spécifiquement demandé à ce que les lumières se rallument juste au moment où le générique débute. Mais les lumières ne se sont pas rallumées et les gens ont applaudi pendant trèèèèès longtemps. Il était tellement gêné qu’il a préféré quitter la salle. Il a quitté le Palais des festivals comme un fuyard. » Même sauce lorsqu’il vient récupérer son Prix technique pour Element of Crime des mains de Cyrielle Clair et refuse de parler. Visiblement agacé, le Danois était simplement « très timide, très impressionné par Cannes,dixit l’actrice française. Ensuite, on a vu que c’était un peu son caractère, qu’il était très anticonformiste. »

 

 

« Ses âneries sur les nazis balancées à Cannes,
il s’en est sincèrement excusé auprès de toute l’équipe du film.
On aurait dit les excuses d’un petit enfant. »

Kirsten Dunst, comédienne 
 
Bus d’handicapés, François Mitterrand et L’Internationale
La vérité, c’est que Lars von Trier est ce que l’on appelle un « bon client ». « Lars, il répond. Donc si on le provoque, il répond. Même aux questions les plus stupides, déroule Marianne Slot. Les journalistes ont pris un pli avec Lars. Dès lors, la moindre petite étincelle peut se transformer en grosse explosion. Il y a bien des critiques ou des journalistes qui ne s’intéressent pas à tout ce scandale mais malheureusement, ils ne sont pas en majorité. » Et quand la presse ne vient pas le chercher, il assure le service après-vente sur la Croisette, alimente la titraille de lui-même. Parfois à son insu, comme la fois où il est bousculé par le service d’ordre de François Mitterrand parce qu’il préfère rester en tailleur, terrassé par une crise d’agoraphobie, plutôt que de saluer l’ancien président lors du centenaire du cinéma en 1995. Parfois de manière volontaire comme lors de la montée des marches pour Element of Crime où son attachée de presse de toujours, Christel Hammer, après lui avoir conseillé d’enfiler un costume, le voit débarquer en rangers, blouson de cuir et crâne rasé sous sa casquette à l’envers. En 1996, il n’envoie pas la traditionnelle bande-annonce pour Breaking the Waves, préférant faire passer une vidéo de lui en kilt en train d’expliquer pourquoi il n’y aura pas de bande-annonce. Jean-Marc Barr, la star du Grand Bleu qui est aussi de tous les bons coups larsiens depuis Europa, théorise : « En fait, pour comprendre Lars, il faut saisir ce truc : il ne se plie jamais au protocole, il ne veut pas rentrer dans le rang. Par exemple, quand il a présenté Breaking the Waves en 1996, un film pourtant magnifique, il a fait partir un mot d’excuse aux responsables de Cannes : “Je ne viendrai pas sur la Croisette pour défendre le film. C’est un film trop éprouvant pour moi.” » Après tout, pourquoi pas, même si Barr relance en se marrant : « La vérité c’est qu’il était en plein divorce à cette époque, donc peut-être en effet qu’il était dans une période “émotionnellement instable”. Mais avec Lars on ne sait jamais vraiment. Peut-être qu’il a anticipé la réaction à sa non-présence en se disant : “Si je ne suis pas là, les gens parleront encore plus du film et voudront lui donner la Palme” … »
 
Ceci posé, le meilleur happening du Danois reste celui des Idiots en 1998. A cette époque, Lars von Trier vient de poser les bases de sa nouvelle lubie avec quelques compagnons de provocation qui zonent dans les milieux cinéphiles de Copenhague. Le nom de cette invention : le Dogme95. Son manifeste : revenir à une sobriété cinématographique presque totale en imposant des tournages avec une caméra 35 mm portée à bout de bras. Logique, dès lors, que le bon Lars ajoute un peu de communisme au passage : « Cette idée de débarquer dans le même bus que les handicapés du film sur l’air de L’Internationale, de faire un truc anti-glamour, ça l’amusait beaucoup. Faire revivre le communisme en plein Cannes, c’est quand même drôle ! pouffe Marianne Slot, qui enchaîne : « Quand je l’appelle pour lui dire comment la presse ou le public français ont reçu le film, si les résultats sont bons, il dit toujours : “Ah bon ? ”, parce qu’il est inquiet ! Il a besoin que ses films créent de la discussion, de la polémique. Sans ça, il est déçu. S’il ne fait pas une œuvre qui remue vraiment, c’est qu’il a raté quelque chose, selon lui. Il ne cherche surtout pas à faire l’unanimité. » Meta Foldager ne dit pas autre chose : « Les films de Lars ont toujours reçu des critiques dithyrambiques ET incendiaires. J’étais présente à la projection de presse d’Antichrist. Bien sûr, on savait très bien qu’on avait fait un film provocateur, encore plus provocateur que ce que peut signifier le mot provocateur. On savait que, même dans l’univers de Lars, ça restait un film très osé et que certaines personnes ne le comprendraient pas. Donc les réactions ne m’ont pas surprise. En fait, c’est la meilleure chose qui puisse arriver à un film comme Antichrist : d’un côté, des gens qui pensent qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre et de l’autre, des gens qui ne comprennent pas et se disent que c’est la plus grosse merde qu’ils aient jamais vue. »
« A la fin d’Antichrist, Lars a quitté la pièce.
Pendant les applaudissements.
Les gens ont pensé qu’il était en colère.
Mais en fait, il trouvait le générique de fin horriblement long. »

Meta Foldager, productrice


Une Palme d’or arrosée au champagne et à l’aquavit
Mais à y regarder de plus près, la relation qu’entretient Lars von Trier avec le Festival de Cannes est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Si LVT est un enfant terrible, il est avant tout celui du Festival de Cannes. Depuis 1984 et The Element of Crime, son premier long-métrage réalisé à 28 ans, dix des douze longs-métrages de Lars von Trier ont été vus sur la Croisette en compétition. « Dire que Lars von Trier est “l’enfant” de Cannes me paraît juste », abonde Marianne Slot. Au point que l’on a longtemps prétendu que Lars von Trier n’allait à Cannes que pour glaner la Palme d’or et rien d’autre. Quand il remporte enfin le précieux sésame, son manque d’enthousiasme est interprété comme de l’arrogance. Faux. « Bien sûr, cette Palme d’or était très importante pour lui, ce serait mentir que de dire l’inverse. Mais d’un autre côté, il était passé à autre chose, il était déjà sur son prochain film, d’après sa productrice franco-danoise. Je me souviens qu’on était tous contents, Lars y compris. C’était formidable donc on était partis fêter ça comme il se doit. Au point qu’on en a oublié le dîner officiel post-cérémonie où nous attendait une grande table au milieu de toutes les autres ! On avait bu un peu de champagne. A moins que ce ne soit de l’aquavit… Mais on a fini par arriver pour le dîner ! » Six ans plus tard, LeDirektør sort. Le premier film de Lars von Trier qui n’est pas sélectionné à Cannes. Une erreur ? Un manquement à la règle ? Faux également. « Le Direktør n’a pas manqué la sélection, il n’a tout simplement pas été présenté. Il m’avait dit : “C’est une petite comédie danoise donc pour une fois, je veux faire la première au Danemark, chez moi” », termine Marianne Slot.
 
Lars von Trier, doué d’humilité ? D’amour et de reconnaissance, aussi. Notamment envers l’ancien grand patron du Festival de Cannes, Gilles Jacob, la figure le plus « paternelle » de la carrière du Danois, lui qui fut rejeté par ses pères (choisis) de cinéma que sont Ingmar Bergman et Andreï Tarkovski. À Capa en mai 1996, Lars déclare : « Je dois beaucoup à Gilles Jacob, le délégué général du Festival. S’il n’avait pas présenté Element of Crime en 1984, je n’aurais peut-être plus jamais été produit au Danemark et mon premier film aurait été le dernier. » Avant de le remercier définitivement – et un peu maladroitement – dans son discours de remise de la Palme d’or pour Dancer in the Dark : « Je ne sais pas ce que Gilles Jacob connaît au cinéma mais en tout cas, ma reconnaissance lui est acquise car il m’a toujours soutenu ! » Ce, jusqu’au malencontreux épisode de mai 2011 où Gilles Jacob et Thierry Frémaux punissent une bonne fois pour toutes leur enfant en crise d’adolescence perpétuelle. En mars dernier, alors qu’il était en plein tournage de son prochain film The House That Jack Built à Bengtsfors, en Suède, Lars von Trier s’est payé une petite conférence de presse pour donner des nouvelles. A la question de savoir s’il se verrait présenter ce nouveau film à Cannes, pour l’édition 2018 du festival, l’homme a déroulé : « J’ai parlé aux gens que je connais. Si je voudrais y aller ? Peut-être. » Suffisant pour se racheter une virginité cannoise ? Dans la même conférence de presse, l’acteur Matt Dillon expliquait pourquoi il était heureux de donner la réplique à Bruno Ganz. En entendant cette belle déclaration, Lars a ironisé : « Mais il n’avait pas joué Hitler, lui ? » Que la fête continue. En camping-car ou autrement. – Tous propos recueillis par MR et JVC (Jean-Marc Barr et Kirsten Dunst) sauf mentions.

Article initialement paru dans Sofilm n°50 (« 100% Cannes », mai 2017)