L’AUTRE LAURENS de Claude Schmitz

Ah, la Belgique… Magritte, Poelvoorde, les boulets sauce lapin… Et maintenant Claude Schmitz. Présenté à la dernière Quinzaine des cinéastes à Cannes, le film, lunaire et désaxé, est un pur produit belge certifié 100 % wallon, comme on les aime.

Passé le cap du court et du moyen métrage (Rien sauf l’été, Braquer Poitiers), puis celui du premier long (Lucie perd son cheval), le Belge s’attaque par la bande à la grande famille du cinéma de genre, mêlant allègrement polar, film noir, road movie et série B. Rien que ça. En bon shakespearien, Schmitz plante un sublime décor dès l’ouverture : plaine aride et désertique, bar frontalier aux néons blafards… En quelques plans, le film ressemble à la miction d’un lendemain de cuite chez les frères Coen, aux relents acides du Nicolas Winding Refn contemporain. De polar contemplatif, il mute avec une nonchalance désarmante en buddy movie naturaliste, scrutant la relation entre un tonton fatigué et sa nièce rebelle… Pour finalement mieux lorgner du côté du néo-noir et de la série B décomplexée.

« The Belgian Connection »

Son whodunit n’est qu’un prétexte narratif au service d’une ambition plus formelle. Car bien au-delà du commentaire social ou du film à tiroirs, c’est parler du cinéma en lui-même qui semble intéresser Claude Schmitz à travers ce grand brassage des genres. Cette tendance du néo-cinéma d’auteur francophone à questionner les codes et les artifices n’est pas sans rappeler le désormais incontournable Quentin Dupieux. Mais contrairement à notre drôle d’Oizo national, Schmitz, grâce à la sophistication de sa mise en scène, outrepasse le geste de petit malin et esquive les effets de manche trop redondants. C’est que son habileté à faire jaillir la contradiction dès qu’il en a l’occasion, comme sa volonté de créer une friction perpétuelle entre les stéréotypes (de genre comme de personnages) s’avèrent par moments franchement jouissives. Elles font du film une étrange fable étourdie, un conte anachronique et déglingué plein d’amour et d’humilité.

C’est comme ça que, dans les yeux du Belge, la frontière franco-espagnole devient un Arizona Dream dans lequel des bikers perpignanais sont la réincarnation des Hell’s Angels. Sans cesse tiraillé entre une identité européenne et l’imaginaire américain, il fantasme un Easy Rider gitan peuplé par des ersatz de Gabin(excellent Olivier Rabourdin) et Bardot (impossible de ne pas penser à BB devant la jeune révélation Louise Leroy). Alors certes, de l’abstrait à l’abscons, il n’y a qu’un pas. Et le film est parfois à un cheveu d’y basculer. Mais sa canaillerie débonnaire et son attitude désinvolte de punk liégeois sous Tranxène lui confèrent une aura hyper rafraîchissante, à une époque où l’approche formaliste, elle, est quasi systématiquement boudée par l’Hexagone.ADN wallon oblige, on sent d’ailleurs un goût prononcé pour les losers et les laissés pour compte que ne renierait pas le tandem Kervern-Delépine, avec lequel le film partage une certaine tendresse. Avançant dans une sorte de faux rythme déstabilisant, il est toujours sauvé par son humanité, sa versatilité, et par-dessus tout, son absence totale de cynisme artistique. Bref, une preuve supplémentaire que lorsqu’il s’agit de cinéma, la Belgique est encore capable de faire souffler un vent de liberté revigorante, en remplissant la soupière ras la tronche avant de la secouer vigoureusement, les yeux étincelants de malice. Et tant mieux si ça déborde.

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