LAYLOW : « J’ai essayé de devenir un expert en films »

À 28 ans, Laylow a rempli Bercy deux jours de suite et décroché des disques de platine pour ses albums, Trinity et L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, tous deux conçus comme des films audio biberonnés à Fight Club, Matrix et Menace II Society. Un amour indéniable du cinéma guide le rappeur toulousain. Pas de grosses punchlines, mais de belles images.

À tes débuts, quel était ton premier coup de cœur : la musique ou l’image ?
C’était la musique. J’étais vraiment à fond dans le rap à la fin du lycée et j’ai rencontré Osman Mercan, le réalisateur de tous mes clips, qui m’a mis dans les films. À 18 ans, j’ai compris la finesse du cinéma. Et puis pendant un an, j’ai été dans la street, je ne faisais rien et j’ai voulu me re-scolariser. Donc je suis allé à la fac à Paris pour des études de cinéma à Paris-VII, à côté de la bibliothèque universitaire, et je faisais du son en même temps. À la fac, on regardait beaucoup de films et ça a vraiment amélioré ma finesse. J’ai essayé de devenir un expert en films. Et en même temps, ça m’a aidé aussi pour le rap.

Quels souvenirs gardes-tu de cette période où vous réalisiez des clips avec Osman Mercan sous le label TBMA ?
Je crois que j’ai d’abord kiffé le rap plus pour les clips que pour le rap. Je fais aujourd’hui des albums qu’il faut écouter en entier, conceptuels, mais ma première piqûre, c’est les clips sur MTV. J’ai grandi dans une banlieue de Toulouse où il n’y avait que deux familles noires. Alors que dans ces clips, je voyais des mecs que je trouvais un peu comme moi. Et je voulais être comme eux. Donc quand j’ai commencé à réaliser des clips, je me suis régalé : on n’avait pas de budget et on tournait pour des rappeurs connus comme Nekfeu, Georgio ou Hamza. Il fallait qu’on redouble d’idées pour faire des choses fortes, avec peu de moyens. Quand je dis pas beaucoup de budget, c’était de zéro à 1500 euros. Entre 2014 et 2016, on bossait beaucoup avec les 5D, les boîtiers Reflex. Maintenant c’est plutôt des grosses cam’, mais à l’époque tu pouvais filmer une tête d’affiche du rap au 5D. Dans le monde du clip, tu trouves plein de mecs super forts en 3D, qui te mettent de nouveaux effets en post-prod tout en crackant les logiciels… ça va vite.

Un bon clip, qu’est-ce que ça apporte à un artiste aujourd’hui ?
Un clip, c’est vraiment une carte de visite pour rentrer dans ton son. Et vu qu’on essaye de mettre de gros univers dans nos clips, le but c’est de plonger les gens dans mes albums, pas juste le morceau en question. C’est là que c’est intéressant et rentable. Faire un clip pour que les gens écoutent seulement un morceau, c’est bon pour les majors. Un son marche, un clip. Moi je veux vraiment essayer de mieux faire comprendre mon univers et qu’on s’accroche à moi via mes clips. C’est un pari, parce que ça coûte de l’argent, mais j’aime bien ça.

Ta musique pose souvent des ambiances, avec des effets sonores, des dialogues, des images dans l’écriture…
Quand on est en studio, on fait toujours tourner des films ou des vidéos, ça dépend de l’énergie que l’on cherche. Je me souviens par exemple qu’on mettait des vidéos de neige toute la nuit pendant la composition du morceau « Iverson », parce qu’on cherchait des sonorités très froides. Et quand j’écris, je ne suis pas un punchlineur, j’essaye d’avoir ce que j’appelle un « stylo-caméra » : une phrase ou une rime qui pose une scène, comme si c’était un beau plan dans un film. D’ailleurs, le cinéma m’aide beaucoup, notamment les films à gros budgets qui sont très forts pour te mettre une image directement en tête, que tu vas ensuite retranscrire en musique. Je retrouve beaucoup ça dans les films américains ou le cinéma japonais. Souvent, je dis au producteur à la fin d’une session d’enregistrement : « Vas-y, rajoute un bruit de pluie sur cette phrase, mets un tonnerre. » Et souvent, on me dit qu’on rajoutera ce son-là dans le clip. Mais non, je le veux dans le morceau ! Ça permet de rajouter du sens, de l’imagination… Fermer les yeux et voir une image avec ma musique, c’est vraiment ce que j’aimerais qu’on retienne de mon passage dans le rap.

Tu as d’ailleurs conçu tes deux premiers albums comme des films audio, avec une histoire, des personnages, des interludes…
J’ai fait un pari et je me suis dit : « Vas-y. Va au bout de ton truc, c’est ce que tu kiffes. » Je n’aime pas l’appellation de film audio mais j’aime bien raconter une histoire. C’est aussi un choix que j’ai fait par rapport au rap : avec le streaming, on veut que les sons soient tous des tubes qui s’enchaînent, mais moi j’aime bien les albums avec des temps faibles, des temps forts, des contrastes. Et ça, c’est quelque chose que j’ai appris du cinéma. Dans mon dernier album, entre mon morceau avec Damso et celui avec Hamza, on m’entend par exemple pisser aux toilettes dans l’histoire pour ensuite parler avec mon double créatif qui apparaît d’un coup. Et je me suis vraiment enregistré dans ma salle de bains en train de pisser, de loin, puis en train de me laver les mains ! C’est un temps faible de l’album, mais j’étais hyper inspiré par les scènes de Fight Club, quand Tyler Durden arrive à côté du gars, à n’importe quel moment.

Ce deuxième album s’accompagne donc d’un court métrage de 20 minutes qui a beaucoup fait parler à sa sortie…
Avec le réalisateur, on voulait se lancer un défi. On avait déjà réalisé de gros clips et on s’est dit : « Et si on faisait un court métrage ? » On l’a tourné avant que je finisse l’album. J’en étais à la moitié ou aux trois quarts mais j’avais déjà l’histoire générale en tête. Et j’ai co-écrit le scénario, créé les personnages, pendant deux mois, ce qui est beaucoup quand tu travailles en même temps sur un album. Et là, par rapport aux clips, il y avait du monde, c’était une prod’ de film. Je pense même qu’il y a des films qui ont coûté moins cher que ce court métrage ! (rires)

Faire l’acteur, ça ne t’a pas fait peur ?
Franchement, c’était dur. J’étais au centre de l’attention, alors que je devais jouer un mec un peu fou. Quand tu dois faire un petit rire sur un clip, ça va. Mais quand tu dois commencer à vraiment parler à un chien ou à un double dans ta tête, c’est un autre délire. Après, c’était un court métrage sur ma carrière de rappeur : quand je joue le jeune qui se barre de chez lui et veut une belle voiture, c’est à peu près comme je suis dans la vie. Donc je me suis dit : « Si plus tard on t’appelle au cinéma, prends un rôle pas trop loin de toi. » Dès qu’il y a beaucoup de relief, c’est plus dur. Pour le rap, c’est pareil : tu peux être sale sur un morceau, faire n’importe quoi, et dire sur un autre son que cette situation te rend triste. Je ne peux pas encore jouer ces reliefs à l’image mais c’est ce que j’aime faire en musique.

Au final, l’image est aussi importante que la musique ?
C’est 50-50. Ou plutôt 100 %-100 % (rires) Si je dis 50-50, ça fait comme si je faisais ça à moitié. Tout est mélangé. Je me considère comme un rappeur, un musicien. Mais c’est ma came. J’aimerais que mes clips soient à chaque fois des événements et je crée de plus en plus mes morceaux comme des films. Plus j’avance dans la teinte des sons, dans les sentiments, dans l’écriture, plus j’essaye d’aller vers le cinéma. Regarde le début de mon dernier album par exemple : il n’est pas du tout efficace en tant que morceau d’entrée. Le son se coupe au bout d’une minute, et tu entends mon personnage se réveiller. C’est un début de film, pas un début de morceau. Mais c’est ce que je voulais, même si ça parasite parfois la musique. Il fallait couper le morceau pour dire à l’auditeur que mon personnage était dans un rêve. Et c’est vrai que j’accepte parfois des pertes sur la musique pour l’amour de ce délire de film. C’est comme ça quand on aime les choses.