AQUARIUS de Kleber Mendonca Filho

– LE FILM DE LA SEMAINE : AQUARIUS –

Violence des échanges en milieu tropical : avec Aquarius, l'acerbe Brésilien Kleber Mendonça Filho continue à explorer sa ville de Recife et les contre-temps de la société brésilienne. Clash de génération et capitalisme sauvage sur fond de lutte immobilière… Une révolte douce et amère qui ne manque pas de charme.
C’était en mai dernier. En plein dans le bruit et la fureur relatifs au Festival de Cannes. Assis confortablement dans un salon d’hôtel, le réalisateur Kleber Mendonça Filho lissait délicatement sa fine moustache. Parlait de la destitution de la Présidente brésilienne Dilma Roussef. Suggérait doctement qu’un coup d’état de la droite était en cours dans son pays. Une prise de position récemment sanctionnée par une interdiction aux moins de 18 ans qui plombera sensiblement la sortie du film dans son pays. Puis, il engageait sur une note plus personnelle : « J’écoute les mêmes disques depuis 30 ans. Je vieillis alors qu’eux n’ont pas pris uneride. » Derrière une caméra, Kleber est le cousin proche des mélodies mélancoliques d’Antonio Carlos Jobim, de la gravité joyeuse de Caetano Veloso ou de l’immense Gal Costa. Surtout, il reprend à son compte une tradition sud-américaine du cinéma social qui revendique les choses discrètement. Depuis 2012 et la sortie de ses épatants Bruits de Recife, on le sait, cet ancien journaliste a l'art de figer dans une photographie réaliste et souvent vibrante tout ce qui marche à l’envers dans la société brésilienne : capitalisme sauvage, lutte des classes qui ne dit jamais son nom, poids de l'héritage colonial… Pour autant, le cinéma de Kleber réussit à ne jamais tomber dans tous les pièges stylistiques du film social. Le brésilien aurait pu se muer en Ken Loach carioca. Son goût pour les objets vintage, sa méfiance face au libéralisme, sa façon d’héroïser ses personnages en guerre contre un système… Mais non, le jeune cinéaste évite toujours avec une certaine grâce la fameuse kenloachisation de la fiction, notamment en tirant vers le thriller et le surnaturel dans Les Bruits de Recife.


Mordre la poussière
Plus linéaire, la trame d'Aquarius s'érige autour d'un monument en béton armé : la superbe Sonia Braga, véritable double féminin en révolte et fer de lance d'une critique en règle du système politique brésilien. Recife, 1979. Sur la plage de cette ville du Nord-Est du Brésil, Clara (Braga) fait vibrer sa caisse au son d’ « Another One Bites the dust » de Queen. Le ton est donné dès la première scène du film : la jeune femme aux cheveux courts est une battante. Une sorte de Rosetta mature et classe moyenne. 30 ans plus tard, Clara n’a pas tellement changé. Veuve, la chevelure plus longue et un sein atrophié à la suite d’un cancer, mais toujours la même pugnacité et la même passion pour la musique. L’ex-critique musicale vit encore dans l’appartement familial, un joli pied-à-terre planté dans un quartier bourgeois de Recife, face à la mer. Aquarius : un lieu chargé de souvenirs, dont les étagères débordent de vinyles et de vieilles photos. Clara est désormais la seule occupante de l’immeuble à refuser les avances pécuniaires des promoteurs immobiliers décidés à retaper le bâtiment pour faire place au nouvel Aquarius. Exit l’ancien, place au moderne. Tous les moyens sont bons pour entraver la tranquillité de la résidente et tenter de la faire dégager : travaux et nuisances sonores, termites… Rien qui puisse effrayer l’irréductible Clara, plus occupée à revivre une seconde jeunesse qu’à prêter attention aux bassesses de l’envahisseur. A travers l’histoire de cette femme au caractère bien trempé, Kleber Mendonça Filho tire le portrait d'une société brésilienne qui a le cul entre deux chaises. Après Les Bruits de Recife, Aquarius continue à creuser la question des frontières, de la lutte des espaces, des temps qui changent et de ce qui nous ronge. De la tension entre la sphère intime et l’extérieur. Chez lui, la nostalgie d'une époque ne se confond pas avec la mélancolie ou le renoncement. C'est même plutôt l'inverse : le souvenir de ce qui a été donne la force de continuer à se battre. Kleber Mendonça Filho ne sait certainement pas lancer un cocktail Molotov. Par contre, son cinéma dégage un parfum assez tenace de saudade analogique. – Amelia Dollah

Aquarius, un film de Kleber Mendonça Filho avec Sonia Braga, Maeve Jinkings, Irandhir Santos. Actuellement en salles. Crédits photos : © SBS Distribution