AVANT L’AURORE de Nathan Nicholovitch

– LE FILM DE LA SEMAINE : AVANT L'AURORE –

Le premier titre d'Avant l'aurore, c'était « De l'ombre il y a ». Et dans l'ombre, il y est resté longtemps. La faute à une sombre histoire de conflit entre le cinéaste et son producteur/distributeur. Trois ans après sa sélection à l'ACID et un procès quasiment gagné, Nathan Nicholovitch et son film entrevoient enfin la lumière au bout du tunnel. Et l'on peut enfin découvrir en salles cette déambulation âpre et hallucinée d'un travesti vieillissant dans un Cambodge électrique.

« Si vous faites ce film, vous finirez en prison ». Quand Nathan Nicholovitch débarque à Phnom Penh avec ses deux potes acteurs, le message du ministère a le mérite d'être aussi clair que peu engageant. « Il a fallu trouver les bonnes personnes avec qui travailler pour qu'on ne nous balance pas pour trois dollars et puis on a donné un scénario B édulcoré au ministère », se souvient-il aujourd'hui. Ce que le cinéaste comprendra petit à petit, c'est que dans ce pays peut-être plus qu'ailleurs, l'impossible devient possible et les pires catastrophes peuvent produire d'éclatants moments de grâce. Après un premier voyage pour tourner un court métrage, No Boy, qui pose les bases de son personnage de Mirinda, l'incandescent travesti-prostitué du film, le cinéaste n'a de toute façon qu'une obsession : revenir sur place et tourner un long. Huit mois de préparation et deux de tournage auront été nécessaires pour accoucher d'un film qui va chercher la lumière au fond de la noirceur la plus crasse, dressant au passage le panorama d'un pays hanté par un génocide dont personne ne parle mais que l'on retrouve partout, et une omniprésence occidentale et néocoloniale avec son corollaire, la prostitution infantile et adulte qui s'affiche au grand jour : « Boum boum ? Five dollars. »
Contre les fantômes
C'est donc l'histoire de Mirinda, travesti français au corps noueux et au visage creusé, qui traîne son spleen dans la vie nocturne de la capitale en espérant réunir 3 000 dollars pour une grosse opération de chirurgie esthétique. Un beau jour, il tombe sur une gamine mutique aux grands yeux tristes qui se prostitue. Ces deux-là ne se lâcheront plus. De rencontre en rencontre, de nuit blanche en journée moite, Nicholovitch jette son spectateur dans des mondes parfois opaques. Le film avance par blocs de séquences très cut comme dans le noir, sans pouvoir se projeter (pas de voix off) ni regarder en arrière (pas de flashback). On croise ainsi une enquêtrice française enceinte qui traque les hauts dignitaires khmers, un autre Français trafiquant du diamant dans la jungle en évitant les « carabistouilles », sans compter les amants cambodgiens, l'un est de passage, l'autre vivote en squattant le lit de Mirinda… De cette « zone de non-droit » meurtrie et hantée par les fantômes, Nicholovitch capte quelque chose d'électrique, de très cru et de très étouffé en même temps. Sa méthode ? D'abord, accepter l'imprévu : « Le Cambodge, c'est le bateau ivre, t'es dans une tempête. Quand tu tournes là-bas, tout ce qui est prévu va s'écrouler, mais tu l'acceptes parce que tu es obligé, c'est ça dix fois par jour. Mais c'est en ça que c'est intéressant, il y a une pulsion de vie qui est super-puissante. » Ensuite et surtout, ne pas lâcher d'une semelle David D'Ingéo, cet acteur magnétique à la présence charnelle absolument phénoménale avec qui il travaille depuis des années, notamment au théâtre. Pure incarnation physique, il a le corps d'Iggy Pop et le regard fané mais déterminé de Gena Rowlands tendance Gloria. C'est peu dire qu'il imprime la caméra et emmène le film sur un terrain aride et vierge de toute forme de psychologie ou de sentimentalisme. Ce qui rend d’autant plus émouvante cette histoire de filiation heurtée que la jeune actrice métaphorise parfaitement en un monologue final : « (…) Le vieillard se bat contre le fantôme. Il lui envoie des flèches. Des flèches contre le fantôme. Il lui dit : “Si tu vends l'enfant, je te mangerai. Parce que cette enfant est très importante. Personne ne peut l'emmener nulle part. Elle doit rester dans le monde des hommes.” » – Raphaël Clairefond
 
Avant l'aurore, un film de Nathan Nicholovitch, avec David D'Ingéo, Panna Nat, Viri Seng Samnang. En salles le 19 septembre. Images : © New Story