HER SMELL de Alex Ross Perry

– LE FILM DE LA SEMAINE : HER SMELL –

Comment raviver la « biographie-fictive-d'un-groupe-musical », genre à part entière qui a donné peu de motifs de satisfaction ? On se doutait qu'Alex Ross Perry, juste après son magnifique Golden Exits (inexplicablement privé de sortie en France), ne se serait pas jeté là-dedans sans quelques idées…

 
D'abord, cela saute aux yeux : le cinéaste américain s'est vraiment intéressé au punk. Puis, il a inventé avec gourmandise des figures gravitant dans ce milieu : Becky, reine déglinguée, ses comparses soutiens exaspérés, sans compter son manager historique et sa mère, dans laquelle on croit d'abord voir une énième génitrice étouffante dont les névroses pourraient expliquer celles de sa fille avant que le film, très intelligemment, fasse mentir cette impression première en enrichissant son portrait. Car Ross Perry fait montre de précision et d’imagination : précision car chaque personnage est parfaitement crédible, imagination parce qu'il prend toujours soin d'inventer des traits particuliers, comme il le faisait avec les romanciers égocentriques de Listen Up Philip. Il faut saluer la manière dont il a constitué son casting et ce qu'il tire de ses acteurs, sans chercher le contre-emploi, mais sans paresse non plus : Eric Stoltz, séduisant et vieilli, dans le rôle du manager, Cara Delevingne parfaite en punkette moins rebelle que groupie. Quant à Elisabeth Moss, au centre, elle impressionne à nouveau. Sur les manifestations de l'addiction, le scénario ne fait pourtant pas dans la demi-mesure : pendant les deux tiers au moins, le personnage reste hystérique, implorant, vilipendant, consommant on ne sait quoi, agrippant puis repoussant sa fille sur le conseil de son chaman ou manquant d'égorger l'une de ses partenaires. La prestation était risquée, l'actrice parvient à ne pas insupporter : en surrégime en un sens, mais jamais sans une forme de précision qui permet d'éviter le dégoulinage. Le film maintient la bonne distance envers son héroïne, laissant la place qui convient à son entourage plus calme qui la regarde navré.

 
Artistes addicts

Il est permis, à la lecture de ces lignes, d'éprouver un sentiment de légère lassitude, de penser que tout cela a déjà été beaucoup vu. C'est vrai. Plus d'une fois on se demande ce que Perry apporte de nouveau ; si ses artistes addicts, comme hier ses universitaires rothiens, ne sont pas le signe d'une certaine banalité. Le résultat serait impeccable, très « propre ». Ce qui permet à cet opus de dépasser ce jugement, c'est son mouvement, qui emporte, tétanise parfois : cette succession de cinq tableaux (chacun dans un lieu bien identifié, présentant une forte unité) au cours desquels la catastrophe annoncée se précise, finit par advenir, avant de laisser ouverte la possibilité d'une très hypothétique renaissance, ou d'un répit. Cinéaste intello, Perry n'en est pas moins sensuel : ses films sont méandreux au bon sens du terme, ils vont et viennent, non sans une vraie netteté. Comme Queen of Earth (deux femmes dans une maison), Her Smell témoigne en outre d'un goût pour une certaine théâtralité par son choix de ce découpage en tableaux, quasi-actes. On souhaite qu'il n'oublie pas sa veine plus simple de chroniqueur, mais on est aussi curieux de savoir où ces recherches le mèneront. Nicolas Truffinet