UNE NOUVELLE ANNEE de Oksana Bychkova

– Le film de la semaine : UNE NOUVELLE ANNEE –

Igor et Zhenia s'aiment. C'est incontestable. Il rient ensemble, ils vivent ensemble, prennent soin l'un de l'autre, et font l'amour tendrement. Lui est taxi clandestin, elle est graphiste dans une boîte. Ils se retrouvent le matin à l'aube, et s'embrassent, puis se séparent.

Une Nouvelle année est le troisième long métrage d'Oksana Bychkova, et il se présente dès le générique comme inspiré d'une pièce de théâtre d'Alexander Volodin, publiée en français sous le titre Ne vous séparez pas de ceux que vous aimez, rarement représentée en Europe mais souvent jouée dans les théâtre russes, où son auteur est considéré comme le Tchekhov du 20e siècle. Le film a de tchekhovien la manière de placer les personnages dans un endroit et regarder se dégrader les liens qui les unissent, avec un regard qui oscille entre cynisme et désespérance. La scène n'est pas la datcha traditionnelle, mais l'appartement du jeune couple. Et la nouvelle année qui vient n'est pas une « bonne année » pour lui.
 
Lutte des classes
Car Zhenia et Igor se séparent. On ne le voit pas au début mais en fait la fissure est déjà là et le fossé va s'élargir tout doucement, mine de rien, tout au long du film. C'est que Zhénia a un nouveau travail, et que la boîte dans laquelle elle passe ses journées est jeune, brillante, intello. On y fait des blagues, on y organise des fêtes, on fume, on boit, on danse. Et Zhénia a envie de s'amuser. Igor lui, rêve d'une vie tranquille, un travail pas prise de tête, des factures payées, un bon dîner à la maison. La tension monte doucement mais sûrement, quand par exemple Zhénia se déchaîne sur la musique, dans les bureaux envahis par la fête, alors qu'Igor la regarde, assis ; il l'attend pour rentrer. Le film n'adopte aucun point de vue, les deux personnages sont tour à tour injustes l'un avec l'autre, abusifs tous les deux, sans que jamais la fiction ne penche pour l'un ou pour l'autre. De cette indécision de la mise en scène, que le film parvient à maintenir parfaitement, émane une sorte de douce tristesse, et l'impossibilité de vivre à deux s'impose finalement comme une évidence.
 
Et cette impossibilité, elle n'est pas psychologique, elle est politique. Ce qui se joue entre Zhenia et Igor, c'est plus qu'une lutte amoureuse, une lutte des classes. Elle éclate dans une scène pivot, au cœur du film : ils sont tous les deux dans un bus, elle fait un peu la tête. Il la taquine. Un femme intervient alors, elle pense qu'Igor est un gêneur qui embête une jeune fille bien comme il faut. C'est que la différence sociale s'est inscrite, à l'image, dans leurs attitudes qui différent, dans leur façon de se tenir dans l'espace, dans la couleur de leurs vêtements. Igor le résume ainsi : « on divorce pour raisons techniques. C’est une comtesse et je suis un crétin ». Le film n'est pas une fresque sociale, la narration se maintient à l'échelle modeste du couple, sans jamais prétendre à la généralité bon ton. Mais pour autant se dit quelque chose de la société russe et des modèles qu'elle propose aux jeunes : celui d'une Russie traditionnelle et celui de l'Ouest hipsterisé, deux modèles dont aucun ne fonctionne – l'un est obsolète et aliénant, l'autre est vertigineux et superficiel, et au milieu, une zone d'incertitude toute théâtrale dans lequel le couple se débat. – Lucile Commeaux