UTOYA 22 JUILLET de Erik Poppe

– LE FILM DE LA SEMAINE : UTOYA 22 JUILLET –

Chaque été, c'est sur la petite île d'Utøya que la Ligue des jeunes travaillistes norvégiens se réunit pour échanger ses idées les plus progressistes, prendre un bain de verdure, draguer, faire des feux de camp… Mais ce jour-là, ce qui ressemble à un pitch de teen movie nordique aux joues roses tourne au cauchemar. Et il n'y a personne ou presque pour les entendre crier. De cette tragédie, Erik Poppe tire un film implacable et glaçant.

Reconstitution ultra-réaliste de la tuerie perpétrée le 22 juillet 2011 par Anders Breivik sur l’île d’Utøya en Norvège qui a fait 77 victimes et traumatisé tout un pays, le nouveau film d’Erik Poppe sera d’abord, et c’est malheureux, vu sous l’angle politique, social et symbolique. On le jugera, l’analysera, le démontera et le repensera à l’aune des enjeux moraux qu’il soulève ou à la lumière d’un événement récent auquel on le reliera plus ou moins maladroitement. Et on ne manquera évidemment pas de citer au passage l’œuvre de Paul Greengrass, qui s’est, lui aussi, attaqué au sujet cette année dans le passablement falot Un 22 juillet (sorti sur Netflix cet automne), mais qui a surtout signé, il y a un peu plus de quinze ans, l’écrasant Bloody Sunday, modèle insurpassable du genre.
On y verra ensuite, et c’est dommage, un exercice de style. Vous le savez sans doute déjà car c’est le genre de choses qu’on vous balance désormais dans les pattes d’emblée, de peur que votre intérêt ne s’émousse trop vite face à un film racontant des événements sordides dans une langue nordique, qu’Utøya, 22 Juillet est composé d’un unique plan-séquence. On saluera le tour de force technique en se bavant dans le col ou l’on décriera avec véhémence l’artifice venu réveiller le goût du spectateur pour la performance à un moment davantage propice à la pudeur ; on oubliera au passage de rappeler que réussir un plan-séquence et réussir un film sont deux choses distinctes (revoir à ce titre Victoria de Sebastian Schipper, si c’est réellement nécessaire), mais on admettra in fine que le choix s’avère ici aussi maîtrisé que pertinent, les notions d’espace et de temps ayant une importance certaine dans ce que raconte le film et dans l’impact qu’il cherche à provoquer (l’île d’Utøya fait seulement 500 mètres de longueur et le massacre a duré moins de 70 minutes en tout).


 
Promenons-nous dans les bois…
On y verra enfin, et il sera regrettable d’attendre tout ce temps pour y arriver, un film. Un film qu’on ne quitte pas à la sortie de la salle, qu’on ne quitte jamais vraiment, qui, malgré les maladresses, vous laisse comme un peu de pourriture et de contagion sur les bottes, comme la trace d’une main humide et glacée sur la nuque. Sec, brutal, effréné, Utøya, 22 juillet joue la carte du réel jusqu’aux limites du soutenable, évitant assez brillamment l’écueil du chantage affectif et de la sanctification de ses personnages (certains d’entre eux sont ouvertement présentés comme des idiots finis) grâce à quelques partis pris narratifs et esthétiques (Breivik n’apparaît jamais à l’écran, les morts ont lieu hors champ). Bien sûr, il y a ici et là quelques errances et on en voudrait presque à Poppe de se contenter de nous secouer là où il aurait facilement pu nous démolir. Mais voilà : qui, aujourd’hui pour s’attaquer à un tel sujet, en faire un film aussi intransigeant et étouffant, et en même temps y insuffler une telle énergie ? Parce qu’au-delà de son sujet, Utøya, 22 juillet est un film souvent électrisant, où l’on sent quelque chose qui ressemble à de la force, de l’envie, voire même à une certaine forme de fraîcheur. Ça peut sembler incongru. À tel point qu’on osera à peine l’admettre. Et c’est sans doute ça le plus malheureux. Lelo Jimmy Batista