Le Jour où… LOUIS DE FUNES a déterré ses lingots

Alors que Louis de Funès reprend la casquette du Gendarme pour la troisième fois, son rôle culte depuis 1964, le tournage est perturbé par les « événements » de mai 1968. Mais ce qui inquiète l’acteur, c’est d’être spolié de ses biens, notamment de ses lingots d’or cachés dans son jardin. Tandis que la Cinémathèque française lui consacre une grande expo qui bat son plein actuellement, retour sur une anecdote révélatrice. Par Paola Dicelli

« Il est l’or, l’or de se réveiller ! » La réplique de La Folie des grandeurs de Gérard Oury, sorti en 1971, résonne encore dans la mémoire collective. Au cours de sa carrière, De Funès a régulièrement joué des personnages de rapiats, avec pour apogée son interprétation d’Harpagon dans la version cinématographique de L’Avare, de Molière (1980). Et ce n’est pas un hasard si l’acteur est si juste dans ce registre : « Il avait l’habitude de payer ses taxis par chèque, escomptant que la valeur de sa signature leur éviterait d’être débités », raconte Jérôme Duhamel dans son livre Le XXème siècle bête et méchant : esprit et mauvais esprit de 1900 à nos jours (éd. Albin Michel).
À la sortie de La Folie des grandeurs, De Funès est au sommet de sa gloire, mais cela n’a pas toujours été le cas. Né à Courbevoie en 1914, il se rêve d’abord pianiste, mais connaît les vaches maigres : « Il peut jouer à la demande deux ou trois cents titres en vogue des vingt dernières années (…) mais cela ne fait pas toujours d’énormes pourboires », selon Bertrand Dicale, auteur de la biographie Louis de Funès : grimaces et gloire (éd. Grasset). Ce n’est qu’en 1956, à l’âge de 42 ans, qu’il obtient un début de reconnaissance avec La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara. Parvenu enfin au succès, il n’a aucune envie de connaître à nouveau la galère. D’autant plus qu’il est traumatisé par le souvenir de son père, qui, ayant voulu faire commerce dans les émeraudes de synthèse, a simulé un suicide pour échapper à la ruine, avant de s’évader au Venezuela. Et cette peur viscérale de la pauvreté, il l’a ressentie concrètement trois ans plus tôt, durant le soulèvement de mai 1968.
Cette même année, tout lui sourit. Après plusieurs films dans les années 50, il explose durant la décennie des yé-yés, avec Le Corniaud (1965), La Grande Vadrouille (1966) et surtout, la saga des « Gendarmes », démarrée en 1964, avec Le Gendarme de Saint-Tropez, affichant 5 millions d’entrées au box-office : « Louis de Funès devient un phénomène, qui éclate assez tard. Mais son autodérision, cette truculence très british qu’il porte dans chacun de ses rôles, plaît énormément », analyse Alain Kruger, commissaire de l’exposition à la Cinémathèque. Côté vie privée, l’acteur s’est marié en secondes noces avec Jeanne Augustine Barthelemy, nièce par alliance de Guy de Maupassant, en 1943. Vingt ans plus tard, elle hérite d’une partie du château familial de Clermont, en Loire-Atlantique, que De Funès rachète en totalité en 1967, après le succès de La Grande Vadrouille. Fidèle à sa réputation, il y fait quelques travaux : « Pour se protéger des cambrioleurs, il truffe son château d’alarmes, qui, évidemment, se déclenchent de manière intempestive (notamment lors de ses propres obsèques) », selon Bertrand Dicale. Le comédien enterre également dans son jardin un coffre-fort rempli d’argent et de lingots d’or.

La Grande Trouille
Mais, en 1968, alors qu’il démarre paisiblement le tournage du Gendarme se marie, la colère gronde à Paris. Le 9 février, André Malraux limoge Henri Langlois, le cofondateur de la Cinémathèque, pour mauvaise gestion administrative. Un comité, composé de Truffaut, Godard ou Rivette, se soulève bientôt pour le défendre, et organise une manifestation à laquelle Daniel Cohn-Bendit participe. Bientôt, les étudiants de l’IDHEC (ancêtre de la Fémis, ndlr) cessent d’aller en cours par solidarité, suivis par le syndicat des techniciens du film, le 17 mai. Une grève, qui a un impact direct à Saint-Tropez, sur le tournage du film de Jean Girault, comme le raconte Michel Galabru dans Les rôles de ma vie, en 2016 : « Les discussions ont été longues pour savoir si le tournage devait être ou non interrompu. D’un côté les machinos étaient pressés par leurs syndicats, et de l’autre, les acteurs voulaient continuer. » Claude-Jean Philippe le confirme dans un article de Télérama, en mai 1968 :  « Il a fallu se battre pour que le film prenne le pas sur les événements. Quand les comédiens ont “ça” dans le crâne, ils ne font plus rien, c’est la panique. » Et, c’est le cas de le dire, De Funès s’inquiète sérieusement de la situation.
Il sait l’image qu’il renvoie auprès de la jeunesse, celle qui se rebelle : « Même s’il en joue dans ses films, Louis de Funès est la caricature de l’ancien monde. Il vient d’un milieu bourgeois, est châtelain, va à la messe tous les dimanches et est affecté chaque 21 janvier, jour de la mort du roi Louis XVI », récapitule Alain Kruger. Sa peur la plus terrible ? Qu’on le spolie de ses biens, acquis à la sueur de son front. Un peu comme dans une scène malheureusement coupée de La Grande Vadrouille, pleine d’autodérision : « Moi, avec mes trois voitures, ma villa à Deauville et les visons de ma femme, (…)si les communistes viennent me prendre tout ça ? » Un jour, n’y tenant plus, il va voir Jean Girault, le réalisateur et, lui faisant part de son inquiétude, il lui lance une mission : aller déterrer le coffre-fort de son jardin et le mettre en sécurité. De Funès déplie même un plan de son jardin en lui expliquant, en vrai pirate du dimanche, l’emplacement exact du trésor. Problème : il ne retrouvera jamais le coffre… Parallèlement, De Funès mène une grande campagne pro-jeune dans les médias, comme dans cet article tiré du magazine Noir et Blanc, en 1968, où il s’exclame : « Oh oui, j’aime les jeunes, je ne me sens à mon aise qu’à leur contact (…) il est normal qu’ils réagissent, et, pour ne rien vous cacher, je trouve que ces révoltes sont encore trop timides. » Finalement, l’acteur Daniel Gélin – son ami qui l’a initié à la comédie – le calmera, en lui faisant comprendre à quel point sa psychose est infondée. Pourtant, le comédien sera tout de même victime d’un maître chanteur en septembre de la même année, toujours sur le tournage du Gendarme se marie. Le coupable, Jacques Robert, un multirécidiviste de 34 ans se réclamant d’un mouvement révolutionnaire, voulait s’en prendre « au Gendarme de Saint-Tropezparce qu’il était riche ». Dicale écrit à ce sujet : « En cette période de contestations tous azimuts, cet homme recycle son trouble personnel en un discours de grande virulence politique. » Il lui réclame 150 000 francs mais fut finalement condamné à 18 mois de prison pour extorsion de fonds. Une histoire qui inspirera peut-être Jean Girault en 1971 pour son film Jo, où De Funès est menacé par un maître chanteur… La grande histoire du trésor caché dans le jardin, elle, reste à écrire.