Le jour où Nicolas SARKOZY a écrit un scénario

– Le jour où Nicolas SARKOZY a écrit un scénario –

La moiteur de Hanoï, une histoire d’adoption et la figure du Général Leclerc : en 2000, alors qu’il était au plus bas dans sa carrière politique, le futur président de la République prenait la plume pour se fendre d’un scénario de téléfilm. Retour sur un drôle d’épisode. – Par Lucas Duvernet-Coppola
 
L’histoire : un couple de jeunes Français se rend à Hanoï pour adopter un enfant. Par hasard, ils rencontrent Maï, une vieille Vietnamienne, qui parle parfaitement le français. Elle leur raconte qu’elle a vécu une histoire d’amour avec un officier proche du Général Leclerc, lorsque ce dernier était en mission en Indochine pour rétablir l’autorité de la France. Le couple, curieux, lui pose des tas de questions sur cette époque qu’ils connaissent mal. Il y a des retours en arrière et des images d’archives. L’action en Indochine de Leclerc, joué par Bernard Giraudeau, est racontée à travers les souvenirs de Maï. Les images du passé alternent avec le moment présent. Finalement, le couple parvient à adopter, grâce à l’aide de leur nouvelle amie, qu’ils invitent au restaurant. Ils boivent du champagne et mangent de la pastèque. Générique de fin.
 
Intitulé Leclerc, un rêve d’Indochine, ce téléfilm a été diffusé en 2003 sur France 2. Il n’a pas vraiment marqué son époque, mais il aurait peut-être dû. Dès le début, au générique, une ligne indique en effet que le coauteur du scénario, aux côtés du docteur en histoire Jean-Michel Gaillard, n’est autre que Nicolas Sarkozy. Comment le futur président de la République s’est-il retrouvé dans cette aventure ? Ancien militant trotskiste et producteur, Jacques Kirsner est l’homme qui détient la réponse. « J’ai rencontré Sarkozy en 1994, explique-t-il. À l’époque, il venait de publier une biographie de Mandel, Georges Mandel, le moine de la politique. J’en avais acheté les droits car je voulais en faire un film. Et j’avais mis Jean-Michel Gaillard en scénariste pour l’adaptation du bouquin. » Le livre de Nicolas Sarkozy est adapté sur le petit écran en 1997, avec Jacques Villeret dans le rôle de Mandel. L’entente entre Sarkozy et Gaillard, pourtant ancien chargé de mission auprès de François Mitterrand, est idyllique. « Dès que je les ai présentés, ils sont devenus de très bon amis. L’un était à droite, l’autre militant socialiste, mais ils se vannaient sur la politique », replace Kirsner. Quelques années passent. Alors que l’an 2000 arrive, Kirsner se découvre l’envie de produire un téléfilm sur Leclerc. « Avec Gaillard, on voulait raconter l’épisode du libérateur de Paris en Indochine, somme toute assez méconnu », détaille-t-il. Gaillard est partant, mais demande à son producteur un coscénariste. Et pas n’importe lequel. « Il voulait rebosser avec Sarkozy, et moi ça m’allait très bien. »

« Quand je disais que Sarkozy était coscénariste, les portes se fermaient. À l’époque, son nom était tricard. » 
Jacques Kirsner, producteur
 
Là où on ne m’attend pas”
À Sarkozy aussi cela va très bien. « Il avait le temps et était disponible pour découvrir de nouvelles choses », dit Kirsner. Bel euphémisme : en vérité, le politique n’a alors pas grand-chose d’autre à faire de ses journées. Quelques mois plus tôt, le 13 juin 1999, la liste RPR-DL qu’il a conduite lors des élections européennes n’a obtenu que 12,8 % des suffrages, loin derrière la liste du PS. La défaite est terrible. Après quatre années passées à tenter de faire oublier sa trahison de Jacques Chirac en 1995, voilà Sarkozy à nouveau confronté à l’échec. À 44 ans, le maire de Neuilly passe l’été déprimé, bloqué par une sciatique. Comment rebondir ? L’ancien ministre du budget lit, voyage, se forge une culture historique. « Je veux être là où on ne m’attend pas », fait-il savoir à ses visiteurs dans son bureau de la mairie de Neuilly en caressant son labrador jaune. Autant dire que la proposition de son ami Jean-Michel Gaillard tombe à pic. Elle va lui donner l’occasion de se documenter sur le Général Leclerc, qu’il admire, en même temps que lui permettre de se changer les idées. Les deux hommes se mettent au travail, main dans la main. « Ils ont tout fait ensemble, se souvient le réalisateur du téléfilm, Marco Pico. Réfléchi aux séquences, au scénario, et aux dialogues. Sarkozy était très attentif aux dialogues, c’était son truc. Je me souviens que Gaillard écrivait ses textes, alors que Sarkozy les dictait à une secrétaire. » S’il estime être « incapable de distinguer la part du travail de l’un ou de l’autre », Pico se rappelle que Sarkozy avait été « particulièrement présent sur les dialogues, et les séquences entre Leclerc et Hô Chi Minh. » Comme par exemple cette tirade de Leclerc, face caméra : « Mon séjour en Indochine m’a ouvert les yeux : on ne peut pas tout garder. Faut faire des choix, sinon, on risque de tout perdre. » Ou encore cette phrase de l’oncle Hô : « Mes amis, le Vietnam vous ouvre son cœur et ses bras. Vive l’amitié franco-vietnamienne ! Vive la solidarité vietnamienne ! Vietnam ! Vietnam ! »
 
Baby-foot et chaussures de ville
Nicolas Sarkozy se rend même au Vietnam avec Marco Pico, afin de réaliser quelques repérages. Pico n’a pas oublié : « Moi, j’essayais de voir où Leclerc était passé, regarder les quartiers de Hanoï où on aurait pu tourner, alors que Sarkozy était plus là par curiosité, comme en vacances. Ce devait être en 2000, peut-être 2001. En tout cas, il n’avait aucune fonction ministérielle à l’époque. Moi, j’étais habillé comme un technicien du cinéma, lui avait des chaussures de ville, et après la première journée il avait des ampoules. » Pico garde le souvenir d’un homme « assez drôle, et détendu. À l’hôtel après les journées, on jouait au baby-foot ensemble, des trucs d’écoliers. » Le repérage dure une semaine, et c’est une semaine agréable. Les problèmes arrivent ensuite. « On était dans l’incertitude jusqu’au bout, on n’était pas sûrs que le film allait pouvoir se faire »,remet Pico. Kirsner, le producteur : « Quand je disais que Sarkozy était coscénariste, les portes se fermaient. À l’époque, son nom était tricard. Nicolas s’est battu avec moi, et France 2 a finalement accepté de diffuser notre film. » Le résultat n’est pas bouleversant : les allers retours entre 1945-1946 et aujourd’hui sont un peu maladroits. Gaillard, décédé en 2005, avait expliqué dans une interview au Parisien qu’il s’agissait d’une demande de France 2 « pour que les jeunes téléspectateurs se sentent concernés par ce qui se passe. » Lorsque Leclerc, un rêve d’Indochine, est finalement diffusé le 14 juillet 2003, en première partie de soirée, Nicolas Sarkozy en a déjà fini avec le cinéma : il est, depuis un an, ministre de l’Intérieur. – Propos recueillis par LDC