LE MONDE APRÈS NOUS de Louda Ben Salah-Cazanas

Dans Le Monde après nous, Louda Ben Salah-Cazanas, 33 ans, raconte l’histoire de Labidi, aspirant écrivain qui se bat pour survivre, aimer et écrire dans un Paris trop cher pour lui. Puisque cette histoire puise directement dans sa propre expérience, il fallait comprendre comment un gamin de la petite classe moyenne s’est rêvé cinéaste, comme son personnage se rêve écrivain.

Quand Louda Ben Salah-Cazanas parle de la route qui l’a mené à son premier long, il prévient : « Je viens d’une famille pas du tout ciné, pas du tout culture… » Néanmoins, le dernier de trois enfants dévore polars et cinéma américain avec sa mère aide-soignante, grâce à l’achat d’un décodeur Canal+. Mais les télévisions qu’il y a « vraiment partout » dans l’appartement familial ne suffisent pas toujours à occuper cet enfant agité d’Éragny (95). On inscrit Louda au théâtre et, à 6 ans, il « met à peu près en scène » une pièce avec d’autres gamins. Quelques années plus tard, c’est sa grande sœur et son grand frère qu’il dirige dans un petit film tourné avec un caméscope que leur père a emprunté au boulot. « J’aime pas les gens qui disent que leur passion remonte très loin mais… j’ai tout de suite voulu faire des films, même si j’avais pas le droit de le dire. » La famille déménage à Lyon lorsque Louda a 11 ans, son père reprenant la gérance d’un café qui, deux décennies plus tard, sera celui des parents de Labidi dans Le Monde après nous. Tandis que les deux grands brillent à l’école, le benjamin redouble, aide un peu au café, se voit vaguement ouvrir une boutique de fringues hip-hop après le BEP vente-action marchande auquel on le destine.  

LE MONDE APRES NOUS 2022 de Louda Ben Salah-Cazanas Aurelien Gabrielli Louise Chevillotte. COLLECTION CHRISTOPHEL © Les idiots – 21 Juin Cinema

Un gros budget de court métrage  

Le bac obtenu « miraculeusement», Louda s’inscrit à la fac et joue surtout de la basse dans un groupe de métal, avant qu’un bon prof ne le réconcilie avec les cours, les révisions et les bonnes notes, en double licence éco/sciences po. Il rêve alors d’école de cinéma et élargit sa cinéphilie « un peu débile », en piochant dans les « 5 DVD pour 20 euros » de la Fnac : À bout de souffle, Le Petit Soldat, Jules et Jim, Shortcuts… Godard le mène à Tarkovski, Resnais, Chabrol, Melville… Il lit André Bazin, Les Cahiers du cinéma,et une lettre ouverte sur les violences policières à Lyon lui permet de « gratter » un stage au service culture de Libération. Ses critiques sont nulles mais on lui présente Gilles Marchand, qui l’aide à préparer la Fémis, qu’il « rate comme une merde ». Le mentor lui conseille plutôt d’apprendre sur le tas. Pour tenir le rythme des étudiants de l’école, il réalise presque un film par an entre 2015 et 2019 et se fait une bande : Olivier le producteur, Amine le chef op’, Jean-Charles le compositeur, Élias le monteur son… Lola, elle, lui donne son nom de famille, Cazanas, après leur mariage en 2018. Pour financer la vie à Paris, Louda vit de petits boulots dans la vente, d’Apple à Leroy-Merlin. De la nécessité naît une routine : il se lève tous les jours sur les coups de cinq heures pour écrire, beaucoup, avant que la journée commence. Pour passer au long métrage, Marchand et son producteur le convainquent d’écrire sur cette vie-là. Labidi le romancier amoureux comme allégorie de Louda, Lola et les autres, et un film que l’on tourne sans financement ni autorisation, en équipe réduite et avec « un gros budget de court métrage »… Le film atterrit à la Berlinale début 2021, avant de sortir enfin en salles. Son vécu et ses souvenirs de galère nourrissent Le Monde après nous mais le jeune cinéaste reste pudique : « Je m’en veux d’avoir eu honte de mes parents, et je crois que c’est ce qui définit un trans-classe, finalement. » Le mot est à la mode, dans un « petit monde du cinéma »  et une société qui ont besoin d’exceptions pour confirmer la règle. Peu importe : avec ce premier film abouti, Ben Salah-Cazanas a gagné le droit de regarder devant.